[Tribune] des élections apaisées pour une révolution démocratique
En refusant au mandataire du président Ousmane Sonko de disposer des fiches de parrainage, en principe libres d’accès pour tout citoyen sénégalais désireux de prendre part aux prochaines joutes présidentielles de l’année prochaine, la direction générale des élections vient de poser un acte aussi arbitraire que symboliquement chargé et un abus de pouvoir.
Il s’agit, en réalité, de la dernière forfaiture en date perpétrée par les pouvoirs publics à l’encontre de celui qui est désormais considéré comme le chef de l’Opposition sénégalaise, victime d’un harcèlement judiciaire unique dans les annales de l’histoire politique de notre pays et devenu otage de l’État néocolonial. Tant et si bien qu’à cinq mois des élections présidentielles du 25 février 2023, la scène politique nationale renvoie des signaux inquiétants pour tous les patriotes et démocrates de notre pays.
DES SYMPTOMES INQUIETANTS
Le signe le plus effrayant est très certainement cette absence totale de retenue voire de pudeur, de la part de ceux qui n’hésitent plus à s’afficher ouvertement comme des soutiens inconditionnels du régime tyrannique du Benno, ce qui augure de lendemains incertains pour notre pays, à type de chienlit ou de vendetta incontrôlée.
Il s’agit, en premier lieu, à tout seigneur tout honneur, de certains éléments isolés issus de milieux maraboutiques, dont on attendait plutôt une posture d’arbitrage et de régulation, comme savait si bien le faire le vénérable Abdoul Aziz Sy Dabakh. Bien au contraire, ils semblent prendre fait et cause pour la continuité incarnée par des pilleurs et des prébendiers intouchables, écornant le prestige de nos religions, versant, au passage quelques larmes de crocodiles, oubliant –peut-être- que le ndigël était passé de mode, depuis les années 80, au moins !
Il y a aussi de larges pans de l’administration territoriale et de certains secteurs de la Justice, qui font du zèle pour ne pas décevoir le Prince, qui même étant à deux pas de la retraite forcée, met un point d’honneur à parachever son entreprise de destruction de nos fondamentaux démocratiques et républicains, symbolisée par le fameux slogan réactionnaire: « réduire l’opposition à sa plus simple expression ».
De fait, ces supposés serviteurs de l’État –outil de domination et d’oppression par excellence- sont caractérisés avant tout par leur propension irrépressible à obéir aux injonctions les plus aberrantes et illégales de l’Exécutif central, prenant ainsi, à contrepied la maxime qui veut qu’un OUI n’ait de sens que quand celui, qui l’articule, a aussi la latitude de dire NON. C’est ce qui explique toutes ces fins de non-recevoir aux demandes d’autorisations de manifestations publiques et ces recours toujours rejetés par les institutions judiciaires. Il est vrai, que les dictateurs ont horreur d’être contredits …
Pour ce qui est de certaines composantes des FDS, elles semblent occulter la réalité des nervis, ce qui fait dire à certains, qu’elles sont de plus en plus dédiées à la dissuasion systématique de toute velléité de résistance constitutionnelle, devenant, à la longue, vectrices d’insécurité voire de violence d’Etat arbitraire et aveugle.
La grande omerta, qui règne concernant ces atteintes gravissimes et répétées aux droits et libertés, se traduisant par la substitution aux normes juridiques généralement admises (et très largement insuffisantes dans nos systèmes politiques), de nouvelles règles d’un pseudo-droit d’inspiration maffieuse, font pressentir une grande entente tacite pour barrer la route à une véritable alternative sociopolitique.
SONKO TRAQUÉ PAR LE SYSTÈME
On comprend alors mieux cet acharnement, qui défie l’entendement, contre les forces qui proclament leur attachement à une véritable alternative sociopolitique, et qui vont au-delà du PASTEF et son leader. Ce dernier tantôt qualifié de politicien inexpérimenté, (Dieu nous préserve de l’expérience de bureaucrates prédateurs !), tantôt de djihadiste violent semble, en tout cas, être pris au sérieux par la France et les autres puissances occidentales.
Il est encore snobé par une certaine gauche, dont des membres cheminent encore avec Benno Bokk Yakaar, tandis que d’autres viennent à peine de sortir de la grande Coalition présidentielle alors que les plus sincères sont encore, en quête perpétuelle d’une réunification souhaitable, mais plus ou moins éloignée, de la famille marxiste.
Tous ont comme dénominateur commun, le fait de sous-estimer la dynamique autoritaire en cours ou de faire abstraction de la lourde chape de plomb, qui s’est abattue sur le pays.
A preuve, la multiplicité des dossiers judiciaires ouverts contre le président et les militants du PASTEF, la tendance à placer tous les accusés d’office sous mandat de dépôt et/ou à inventer des chefs d’accusation factices…Toute cette saga juridico-politique, qui dure depuis plusieurs années, n’a pour objectif que d’installer un modèle obsolète d’autocratie pétrolière (comme au Congo ou au Gabon), ce qui passe nécessairement par une victoire du camp présidentiel aux prochaines présidentielles de février-mars 2024, éventualité ne pouvant être envisagée qu’en cas de sabotage du processus électoral et de neutralisation de l’opposition radicale.
Cela vaut à Ousmane Sonko d’être arbitrairement emprisonné, prétendument radié des listes électorales et de se voir même refuser l’obtention de fiches de parrainage, alors qu’il conserve encore intacte son éligibilité, selon les dires d’éminents et intègres juristes, libres de tout conflit d’intérêts. Or, le bon sens indique clairement qu’une éventuelle tenue d’élections au Sénégal, sans la participation du PASTEF et de son leader risque d’ouvrir la boîte de Pandore de l’instabilité politique dans une sous-région en proie aux démons du djihadisme.
POUR UNE ALTERNATIVE SOCIO-POLITIQUE EN 2024
Le régime de Benno Bokk Yakaar doit se rendre à l’évidence : les élections de février – mars 2024 ne déboucheront pas sur une alternance de plus.
Tout au long des douze dernières années, la supercherie de la « démocratie arachidière » a eu le temps de se dévoiler sans fard, sous nos yeux, les politiciens du pouvoir refusant délibérément de respecter des règles du jeu, pourtant inscrites en bonne et due forme dans la Constitution et notre arsenal juridique. Autant les forfaits des criminels à col blanc et ceux des forces de répression ont bénéficié d’une impunité révoltante, autant des citoyens/ militants faisant prévaloir leur droit à la résistance constitutionnelle et tentant de jouir de leurs libertés élémentaires (de manifestation, d’expression) croupissent en prison pour de longs mois.
Toutes ces horreurs se déroulent dans une atmosphère bon enfant, malgré quelques protestations de très rares organisations de la société civile, la plupart préférant se réfugier dans un équilibrisme de mauvais aloi. Les centrales syndicales prétextent leur caractère prétendument apolitique pour s’exonérer de leur devoirs d’interpellation des hommes du pouvoir sur leur gestion, au moment où ils sont presque tous épinglés par les organismes de contrôle (OFNAC, IGE…).
Il faut reconnaître au président de Benno Bokk Yakaar, qu’il a réussi à faire d’alliés politiques circonstanciels mais aussi de certaines autres forces conservatrices, des partenaires à part entière dans la pérennisation du système d’exploitation néocoloniale, ne rechignant pas à cautionner l’invasion militaire du Niger. Et il l’a fait d’autant plus aisément que notre pays ayant acquis, entretemps, le statut pétrolier et gazier n’a plus que faire des oripeaux de pseudo-démocratie bourgeoise, dont il a toujours aimé s’affubler.
Les stratégies dont use le régime de Benno Bokk Yakaar reposant sur la répression impitoyable, le tripatouillage de la Constitution et des textes de lois, l’instrumentalisation de la Justice et des FDS, les tentatives de subvertir Yewwi et PASTEF de l’intérieur ainsi que l’éviction d’adversaires politiques sont vouées à l’échec, car une profonde lame de fond traverse nos sociétés en direction du changement. Tout cela nous amène à comprendre que notre pays se trouve à la croisée des chemins et qu’il y a une nécessité de ruptures courageuses d’avec le modèle néocolonial et d’un traitement politique adéquat des différends avec les nouvelles générations de forces patriotiques, qui dépassent le PASTEF.
Il faut donc se dresser pour la tenue d’élections transparentes, apaisées et inclusives pour –loin des tentations de putsch militaire- trouver une issue heureuse aux contradictions venues à maturité par le biais d’une révolution démocratique pacifique, suivant l’héritage des Assises Nationales.
Nioxor Tine
leelamine@nioxor.com