Sénégal

[Tribune]Kaolack, 28 octobre 2023 : le jour où le Sénégal a brûlé un mort

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Kaolack, 28 octobre 2023, le jour où le Sénégal a brûlé un mort

Il y a des images qu’un peuple ne devrait jamais produire. Et il y a des silences qu’une société ne devrait jamais tolérer. Le 28 octobre 2023, à Kaolack, au sud-est du Sénégal, une foule a exhumé le corps d’un homme supposé homosexuel, quelques heures après son inhumation. Devant les caméras de téléphones portables, il a été brûlé publiquement. Un cadavre, profané, livré à la vindicte, sans respect ni pour le mort, ni pour les vivants. Sans respect pour Dieu.

Ce jour-là, ce n’est pas seulement un homme qui a été traité comme un animal. C’est l’humanité même du Sénégal qui a été piétinée. Et si ce n’est pas un sursaut national qui en découle, alors c’est que nous avons collectivement abdiqué notre dignité.

Qu’un homme supposé homosexuel soit aujourd’hui privé du droit au repos éternel, arraché à sa tombe par des mains prétendument pures, et brûlé devant des enfants, des téléphones, des cris de haine — cela n’est pas seulement une scène de barbarie. C’est une alerte. Un miroir. Une chute.

Il n’y a ici ni religion, ni coutume, ni droit, ni moralité qui tienne. Il n’y a qu’un crime. Un acte abject. Un renoncement à tout ce que le Sénégal prétend être : un pays de jomu, kersa ak diom, un peuple croyant et hospitalier, une nation de droit. Ce qui s’est passé à Kaolack devrait nous hanter longtemps. Parce qu’il dit ce que nous sommes devenus. Ou ce que nous risquons de devenir si nous continuons à justifier l’injustifiable au nom d’une prétendue pureté sociale.

Ce que révèle Kaolack, c’est qu’au Sénégal, l’homosexualité – ou même sa simple rumeur – suffit à effacer toute humanité. Vif ou mort, un homosexuel supposé n’a droit à aucune pitié. Vivant, il est traqué, battu, emprisonné. Mort, il est privé de sépulture, arraché à la terre, livré aux flammes. L’État, lui, réagit toujours après. Jamais pour prévenir. Jamais pour protéger. Jamais pour dire clairement : non, on ne torture pas des gens. Non, on ne profane pas des morts. Non, on ne fait pas justice par le feu.

Ce silence, cette hésitation des autorités à condamner frontalement, c’est une complicité indirecte. C’est le renoncement à l’État de droit, au principe même de la protection des citoyens — tous les citoyens, sans distinction.

Que l’on soit croyant ou pas, conservateur ou libéral, il n’existe aucune justification valable pour arracher un cadavre à sa tombe et le brûler. Ce n’est pas de religion dont il s’agit. Ce n’est pas de valeurs africaines. Ce n’est même pas d’homosexualité. Ce qui est en jeu ici, c’est la frontière entre société et sauvagerie.

Plaider pour la fin de cette violence, ce n’est pas « défendre les homosexuels », comme veulent le faire croire certains. C’est défendre l’humain. C’est défendre la société contre elle-même. C’est défendre l’État contre la vengeance populaire. C’est rappeler que la justice ne se rend pas dans la rue. Ni sur un cadavre. Ni avec des allumettes.

Le Sénégal peut-il continuer à se dire État de droit quand un mort est jugé et brûlé sans procès ? Peut-on encore parler de « valeurs » quand le pays regarde sans s’indigner des foules profaner des tombes ? Peut-on continuer à banaliser la haine, à flatter les instincts les plus bas, à faire de la violence un spectacle et du silence une norme ?

À Kaolack, un homme a été tué une seconde fois. La première, la mort naturelle. La seconde, la mort sociale, celle qu’on inflige aux damnés, aux rejetés, aux exclus. Aujourd’hui, qui sera le prochain ? Un chrétien ? Une femme infidèle ? Un talibé dénoncé ? Un intellectuel impopulaire ?

Ce n’est plus une question d’homosexualité. C’est une question de société. Et chacun doit répondre, publiquement, clairement : accepte-t-on que des foules se substituent à la justice ? Accepte-t-on que le soupçon d’un mode de vie suffise à perdre jusqu’à son droit à la sépulture ?

Face à l’horreur de Kaolack, ne pas parler, c’est se rendre complice. Minimiser, c’est approuver. Et détourner le regard, c’est laisser faire. Il faut que ce pays ose affronter ses peurs, ses tabous, ses démons. Il faut dire que non, on ne tue pas les gens pour leurs amours supposés. Que non, on ne brûle pas les morts. Que non, la foi ne peut justifier la barbarie.

Il faut dire que le Sénégal doit rester une société humaine, pas un théâtre de haine. Il est temps d’ouvrir les yeux. Et surtout, de choisir.

Sidy Djimby NDAO

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