Politique

[Reportage] A Ziguinchor, Ousmane Sonko, l’enfant du pays présent partout malgré son absence

Ziguinchor
Ziguinchor

Les partisans du maire de la ville de Casamance continuent de faire la course aux parrainages pour leur champion, emprisonné à Dakar, mais toujours candidat à la présidentielle de février 2024.

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Les haut-parleurs installés par l’équipe des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) crachent sans interruption des chants à la gloire d’Ousmane Sonko, dans les rues de Lyndiane, un quartier populaire de Ziguinchor. L’opposant incarcéré, sous le coup de plusieurs procédures judiciaires, ne pourra sans doute pas concourir à la présidentielle de février 2024. Mais, dans la ville qui l’a élu maire en 2022, ses partisans ne désarment pas.

Posters sur les murs, discours diffusés en boucle, bracelets du parti au poignet de nombreux citadins… A Ziguinchor, son fief du sud du Sénégal, Ousmane Sonko a beau être physiquement absent, l’enfant du pays occupe autant l’espace que les esprits. Ni l’accusation de viol portée par une ancienne employée d’un salon de massage de Dakar, ni les charges retenues contre lui après les manifestations qui ont eu lieu entre mars 2021 et juin 2023, notamment pour appel à l’insurrection, n’ont entamé sa popularité.

Après avoir longtemps refusé d’envisager une alternative à Ousmane Sonko, le Pastef, dissous en juillet par les autorités, a dû se résoudre à désigner, le 19 novembre, un autre champion : Bassirou Diomaye Faye, le numéro deux de la formation. C’est pour collecter une partie des 45 000 parrainages nécessaires à sa candidature que des membres de la section locale des jeunes du parti se démènent devant une épicerie de Lyndiane, transformée le temps d’un soir en centre de ralliement.

« J’y tenais plus que tout »

Pressé par le temps – la campagne pour les parrainages prend fin le 26 décembre –, Bassirou Coly, adjoint au maire chargé de la jeunesse, organise presque chaque soir des rassemblements improvisés dans les quartiers de Ziguinchor. « Les cellules locales font l’essentiel du travail, de notre côté on essaie de capter ceux qui échappent à leurs tournées », explique-t-il. Des électeurs potentiels comme ce passant d’un âge avancé, fier d’avoir signé la fiche de parrainage. « J’y tenais plus que tout », s’exclame-t-il, tout sourire.

« Avant la désignation de Bassirou Diomaye Faye, la campagne n’avait pas vraiment commencé à Ziguinchor », constate Cheikh Cissé, chroniqueur politique pour GMS, un groupe de presse local. Et, si les partisans d’Ousmane Sonko se mobilisent, c’est « uniquement dans l’espoir qu’il s’agisse d’une stratégie pour que Bassirou soit élu et procède à de nouvelles élections afin qu’ensuite le pouvoir revienne à Sonko », selon l’analyste politique.

Pendant quelques heures, le 17 novembre, la ville casamançaise a bien cru que son maire serait finalement en mesure de se présenter à la magistrature suprême. Ce jour-là, la Cour suprême – qui fait office de Cour de cassation au Sénégal – devait se prononcer sur la validité d’un jugement rendu par un tribunal de Ziguinchor demandant la réinscription d’Ousmane Sonko sur les listes électorales. Mais l’enthousiasme qui a saisi les partisans du leader du Pastef a été vite douché : la plus haute juridiction du pays a finalement suivi le recours des avocats de l’Etat et renvoyé l’affaire pour qu’elle soit rejugée devant un tribunal de la capitale.

La décision de la Cour suprême a provoqué des heurts dans la ville acquise à l’opposant. Des traces de pneus brûlés sont toujours visibles sur certaines artères. Mais le mouvement de protestation n’a pas atteint le niveau de violence observé en juin après la condamnation d’Ousmane Sonko à deux ans de prison pour « corruption de la jeunesse » puis en août après son incarcération. Les affrontements qui ont eu lieu pendant l’été avec les forces de l’ordre à Ziguinchor ont fait au total 8 morts selon les informations du Monde Afrique et plusieurs blessés durant ces périodes et laissent toujours des souvenirs douloureux.

Sentiment d’abandon

Comme de nombreux habitants de la ville, Adama Kebe, jeune aquaculteur au chômage résidant au quartier Grand Yoff est convaincu que Ziguinchor paye pour avoir « plus résisté [contre le pouvoir de Macky Sall] que dans les autres régions » à ce qu’il considère comme l’injustice faite à Ousmane Sonko. La Casamance, séparée du nord du Sénégal par la Gambie, pâtit depuis des décennies de son enclavement et du conflit qui oppose le gouvernement central aux séparatistes du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC). Mais les tensions apparues depuis juin ont encore accru ce sentiment d’abandon.

« L’économie est complètement bloquée », se désole Adama, en référence à la fermeture par l’Etat de la liaison maritime entre Dakar et la capitale de la Casamance depuis le 2 juin, au plus fort des émeutes dans le pays. « L’Etat n’a aucune compassion pour les jeunes d’ici, il ne crée pas d’usine pour fournir du travail, mais en plus il empêche nos parents de transporter leurs marchandises pour avoir de quoi vivre », peste le jeune homme qui a apporté son parrainage au candidat du Pastef.

Ce sentiment de « sanction collective » infligée par les autorités risque de souder un peu plus les Ziguinchorois derrière Ousmane Sonko, estime l’analyste Cheikh Cissé. Si le calme est revenu à Ziguinchor, la colère continue de sourdre. Le 24 novembre, une caravane de jeunes partisans d’Ousmane Sonko a été interceptée à la sortie de la ville par la gendarmerie. Plusieurs d’entre eux ont été brièvement arrêtés. Cinq jours plus tard, c’est une séance de projection de discours d’Ousmane Sonko en pleine rue qui a été empêchée par la police.

Bassirou Coly, l’adjoint à la jeunesse du maire incarcéré, l’assure : Ousmane Sonko continue d’administrer sa commune depuis sa prison. « Il avait tout prévu et délégué plusieurs signatures dès son élection pour ne pas ralentir le fonctionnement de la mairie. (…) Il faut toujours son autorisation », avant la signature d’un contrat, précise l’élu municipal qui assure que le choix de Bassirou Diomaye Faye n’a en rien entamé la mobilisation du Pastef à Ziguinchor : « Nous avons déjà dépassé de loin les 20 000 parrainages recueillis pour Ousmane Sonko lors de la présidentielle de 2019. »

Moussa Ngom – Le Monde (Ziguinchor, envoyé spécial)

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