[Tribune] Homosexualité au Sénégal : l’humanité en question


Il est des causes qui dérangent. Des sujets que l’on évite, que l’on cache sous le tapis du conformisme culturel, religieux ou social. L’homosexualité, au Sénégal, en est un. Elle n’est pas un sujet de débat rationnel, mais un tabou, un repoussoir, une ligne rouge que beaucoup refusent même de regarder en face. Pire : elle est devenue un prétexte pour justifier la violence, l’exclusion, l’humiliation et la négation de l’humanité d’autres Sénégalais — nos frères, nos sœurs, nos voisins, nos enfants parfois — simplement parce qu’ils aiment autrement.
Au Sénégal, l’homosexualité est criminalisée. L’article 319 alinéa 3 du Code pénal punit de 1 à 5 ans de prison toute personne reconnue coupable « d’acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe ». Une disposition héritée du colonialisme français, comme beaucoup d’autres lois pénales, et pourtant défendue avec un zèle nationaliste inquiétant. À cette base légale s’ajoute une société profondément hostile à la diversité des orientations sexuelles. L’hostilité, dans ce cas, ne s’arrête pas au rejet ou à la critique : elle se traduit en rafles policières, en passages à tabac, en dénonciations publiques, en expéditions punitives, en appels au meurtre sur les réseaux sociaux, en rejet familial, en exclusion professionnelle et même en assassinats.
Ce qui se passe au Sénégal n’est pas un simple débat de société. C’est une répression. Une chasse à l’homme qui ne dit pas son nom. Les personnes homosexuelles vivent dans la peur, obligées de cacher leur identité, d’inventer une double vie, de fuir ou de se taire. Des Sénégalais et Sénégalaises comme tous les autres, qui aspirent à aimer, à vivre librement, à contribuer à la société, mais à qui on dénie cette possibilité au nom de traditions, de croyances ou de “valeurs”.
Est-ce une valeur que de piétiner l’autre ? Est-ce un mérite culturel que d’exclure et de diaboliser des minorités ? Qu’est-ce qui, dans notre foi ou nos coutumes, peut justifier la haine ou la violence ? Ceux qui se réclament de l’islam devraient se rappeler que le Coran condamne l’injustice, que le Prophète (PSL) n’a jamais humilié qui que ce soit dans la rue, encore moins torturé ou tué pour l’orientation sexuelle. Ceux qui parlent de morale devraient d’abord faire l’inventaire de leur propre conduite. Ceux qui disent défendre la nation devraient comprendre que celle-ci ne se construit pas sur l’exclusion.
Il est temps de le dire clairement : aimer une personne du même sexe n’est ni une maladie, ni un vice, ni un crime. C’est une réalité humaine, que l’on peut choisir de ne pas comprendre, mais qu’on ne peut plus ignorer ou rejeter au mépris de la dignité humaine. La sexualité, l’intimité, l’amour sont des domaines qui relèvent de la liberté individuelle, pas de la police ni des tribunaux.
Plusieurs défenseurs de la criminalisation de l’homosexualité affirment que l’homosexualité est « importée » par l’Occident. C’est une contre-vérité historique. Des recherches sérieuses démontrent que des formes d’homosexualité ont toujours existé dans les sociétés africaines, y compris dans les royaumes précoloniaux. Ce qui est importé, c’est la criminalisation, les lois répressives copiées du Code pénal français ou britannique. L’homosexualité, elle, est une constante humaine.
Quand une société accepte que certains de ses membres soient battus ou emprisonnés à cause de ce qu’ils sont, elle pose un précédent dangereux : celui que la majorité peut écraser les minorités, que le droit peut être soumis à la peur collective, que la religion peut justifier toutes les exclusions. C’est ainsi qu’on glisse lentement vers le fascisme moral, vers un ordre social où seule une norme étroite de « pureté » est tolérée, au détriment de la diversité, du dialogue et de la liberté.
Refuser la violence faite aux homosexuels, ce n’est pas militer pour leur visibilité publique ou leur reconnaissance sociale immédiate. C’est d’abord refuser la haine, l’arbitraire et la répression. C’est dire que personne ne mérite d’être emprisonné, lynché ou rejeté parce qu’il aime différemment. C’est dire que les droits humains ne sont pas négociables, pas sélectifs, pas conditionnels.
Le Sénégal peut être une société fière de ses valeurs, mais il ne doit pas être une société fière de sa cruauté. Le vrai courage n’est pas de suivre les foules qui hurlent, mais de tendre la main à ceux qu’elles veulent écraser. Le vrai patriotisme n’est pas de désigner des ennemis imaginaires pour flatter la morale collective, mais de construire une société où chacun peut vivre sans avoir à se cacher.
Aujourd’hui, il ne s’agit pas de convaincre tout le monde d’accepter l’homosexualité. Il s’agit d’exiger que l’État respecte la dignité de tous ses citoyens, sans exception. Il s’agit de rappeler que derrière chaque insulte, chaque rafle, chaque condamnation, il y a un être humain. Un frère. Une sœur. Un enfant de ce pays.
Et cela devrait suffire.
Sidy Djimby NDAO
