Législatives, Taxawu, Khalifa, Barth, Sonko… : Abba Mbaye, l’interview vérité
La pilule des investitures pour les législatives n’est pas encore passée chez Abba Mbaye. Investi à la 13ème place sur la liste nationale, le parlementaire a jugé cette place peu honorable, au point d’interpeller Barthélemy Dias, mais la réponse de ce dernier le pousse à penser qu’il n’a plus rien à faire à Taxawu Sénégal. Abba Mbaye regrette que Barthélemy Dias, appuyé par Khalifa Sall, a préféré son Bloc générationnel aux jeunes qui ont mené tous les combats de Taxawu Sénégal.
Les Échos : On ne vous a pas vu battre campagne pour ces législatives, alors que vous étiez investi sur la liste proportionnelle de Samm sa Kaddu. Qu’est-ce qui s’est passé ?
Abba Mbaye : Je n’ai pas battu campagne parce que je ne partageais pas du tout le spectacle qui s’offrait à moi. J’ai été horrifié et choqué par les choix que Khalifa Sall et Barthélemy Dias ont eu à faire. J’entends çà et là les gens dire que Khalifa Sall a été trahi ; il n’en est rien. C’est lui qui a donné carte blanche à Barthélemy Dias, qui a procédé aux investitures. Ce dernier a donc investi en fonction de ses intérêts. Et, à partir du moment où il a fait ce choix, Khalifa Sall aurait dû avoir l’honnêteté de le dire à ses partisans. Ce qui a été le plus choquant pour moi, c’est qu’après 20 ans de compagnonnage avec Barthélemy Dias et 15 ans aux côtés de Khalifa Sall avec les hauts et les bas; des moments de victoires assez brèves, mais surtout trois années de prison et de combats politiques, que Khalifa soit celui qui conforte les choix de Barthélemy Dias avec cette invention foireuse qu’est le Bloc générationnel. Après tous les sacrifices que les jeunes de Taxawu Sénégal ont faits, enduré pour lui, Khalifa Sall n’aurait pas dû accepter que d’autres jeunes soient privilégiés au détriment des jeunes de Taxawu. Ces élections anticipées n’étaient pas des élections de coalition ou d’entité. Elles devraient nous permettre de nous réorganiser, de nous repositionner dans le champ politique. Le seul constat, c’est que Khalifa Sall et Barthélemy ont suicidé Taxawu Sénégal .
Vous étiez donc pessimiste depuis le début ?
Bien sûr que j’étais pessimiste. J’étais surtout choqué de voir des gens avoir aussi peu d’égard pour des personnes qui se sont sacrifiées pour eux, qui ont consacré leur jeunesse à Khalifa Sall avec sincérité, engagement et dextérité. C’est une injure par rapport à tout le parcours qu’on a eu. J’avais la conviction que cela ne pouvait jamais déboucher sur une victoire puisqu’à la base. C’est une ingratitude, en plus de toutes les incohérences politiques qu’on pouvait noter. Il n’y avait aucune stratégie, la seule chose qui unissait ces gens-là, c’est qu’ils ont fait le choix d’être contre Ousmane Sonko. Or, nous ne sommes pas dans le temps du pour ou du contre, c’était le moment d’une réorganisation. Il fallait avoir l’intelligence de la situation et avoir les bonnes projections, malheureusement.
Cette coalition n’était qu’un conglomérat de haineux, rancuniers et d’opportunistes. Chacun a essayé de tirer sa ficelle, son épingle du jeu et les responsables de Taxawu, à savoir Khalifa Sall et Barthélemy Dias, ont accepté la situation au détriment de Taxawu Sénégal.
Pensez-vous que l’idée d’aller en inter-coalition avec Takku-Wallu et Jamm ak Njarin était une bonne idée ?
L’idée d’aller en inter-coalition pouvait être fructueuse si notre objectif était simple. J’ai bien aimé l’attitude du PUR. Quoi qu’on puisse dire du résultat, ils ont bien fait comprendre que leur objectif, ce n’était pas pour diriger, mais d’avoir des députés. Nous sortons d’une élection présidentielle qui a coûté très cher. Les moyens manquent et, sans les fonds nécessaires, il est difficile de créer une dynamique à la base. C’était clair qu’on n’arriverait pas à faire face à la dynamique populaire du Pastef. Il nous fallait juste chercher à avoir quelques parlementaires qui nous permettrait d’exister. Aller en inter-coalition pour chercher une cohabitation, ce n’était qu’une illusion.
Et cette histoire d’inter-coalition était une vrai nébuleuse puisqu’au départ, on était juste avec Amadou Ba. J’ai même vu la fiche qui répartissait les départements entre les deux entités. J’avais même envoyé un message à Khalifa Sall pour faire quelques suggestions par rapport à Saint-Louis. Mais grande fut ma surprise de voir qu’on était en inter-coalition avec Benno. Pourtant, au départ, Barthélemy Dias lui-même était contre cette inter-coalition.
Qu’est-ce que cela vous a fait de voir Mansour Faye, votre adversaire d’antan, être choisi pour diriger la bataille de Saint-Louis ?
A vrai dire, j’étais triste pour Mansour Faye. Un des marqueurs de la vie politique sénégalaise, c’est l’absence de générosité. On ne peut pas gagner les élections locales de manière étriquée, perdre les législatives et la présidentielle et vouloir diriger encore la liste départementale pour les élections anticipées. Il n’aurait pas dû accepter de diriger la liste départementale de Saint-Louis. Quand j’ai appris qu’il était tête de liste, je me suis automatiquement dit que c’est une défaite assurée.
Comment analysez-vous les résultats provisoires de ces élections ?
Les résultats provisoires ne surprennent pas du tout. La meilleure coalition qui a fait la meilleure campagne et qui a la meilleure dynamique, a gagné. Il n’y a rien d’étonnant. Tout a été fait pour gagner ces élections haut la main. Les gens qui étaient à l’Assemblée ont été investis. Dans des départements emblématiques, le plan politique Ousmane Sonko a préféré faire confiance à des jeunes qui étaient des suppléants, il y a deux ans. Sonko a fait gagner ses équipes à lui, c’est ça la générosité politique. Tout comme il a mis un de ses jeunes à la présidence, il a mis d’autres jeunes à l’Assemblée. C’est tout à fait le contraire à Taxawu Sénégal, où on sacrifie sa jeunesse par pure jalousie. Khalifa Sall ne pouvant plus être député, Barthélemy Dias condamné, des calculs politiques morbides nous ont conduit à cette situation.
Les projections pour la répartition des sièges donnent 3 députés seulement à Samm Sa Kaddu, n’est-ce pas une surprise ?
Cela ne me surprend pas. Barthélemy Dias, tête de liste de la coalition, n’est préoccupé que par les investitures sur la liste nationale et le département de Dakar. Pour lui, tous les autres, c’était du menu fretin ; donc il l’a laissé à Khalifa Sall et aux mandataires. Une coalition d’envergure nationale et qui n’est présente que sur 14 départements, comment peuvent-ils penser faire un bon résultat ? Anta Babacar Ngom et peut-être Pape Djibril Fall iront à l’Assemblée nationale, mais ce n’est pas leur mérite, ce sont les militants de Taxawu et du Pur qui les ont élus. Pendant ce temps, des jeunes de Taxawu sont envoyés à la guillotine par pure mesquinerie politique. Le plus choquant pour nous de Taxawu, nous avons exactement la même situation qu’en 2017, quand on a forcé la présence de Khalifa Sall sur les listes alors qu’il était en prison. Quand il s’est fait radier, on s’est retrouvé avec zéro député. Aujourd’hui encore, ils savent qu’ils ne peuvent pas siéger, alors ils ont créé encore les conditions de zéro député pour Taxawu.
Selon vous qu’est-ce qui n’a pas marché pour Samm Sa Kaddu ?
Samm Sa Kaddu était à la base une alliance contre-nature. L’objectif était trop alambiqué. On sort d’une élection présidentielle où un parti a été conforté. Penser qu’on peut battre ce parti ou lui imposer une cohabitation après huit mois était juste un leurre.
Certains avaient cette conviction et certains étaient venus pour avoir un poste de député, d’autres étaient là parce que c’était le chemin le plus court pour retrouver leur poste de député. Ce n’était qu’un jeu de dupes. Et malheureusement, ils n’ont trompé personne, ils se sont simplement trompés eux-mêmes. Cela s’est d’ailleurs reflété sur le nom. Comment peut-on choisir le nom d’une coalition en parlant à un candidat au lieu du peuple ? La campagne s’est retrouvée autour de ce qu’ils ont appelé le Bloc générationnel qui n’a pas réussi son défi, puisque les démarches étaient à la base sournoises. Certains d’entre eux ont battu campagne durant ces législatives pour préparer la présidentielle de 2029.
Ils ne doivent même pas être surpris par ces résultats. Ceux qui sont élus vont essayer d’atteindre leur objectif, c’est-à-dire préparer la présidentielle à partir de l’hémicycle et les autres vont continuer à être des commentateurs de l’actualité.
Dans votre dernier post sur Facebook, vous avez parlé de règlement de compte pour l’opposition. Qu’en est-il réellement ?
J’ai parlé de règlement de compte pour pointer du doigt certains acteurs qui ont des problèmes personnels avec Ousmane Sonko. La haine contre Ousmane Sonko ne peut pas être un moteur. Faire le choix de s’opposer à Sonko, ce n’est pas forcément chercher à l’humilier ou à le jeter à la vindicte populaire. C’est une démarche contreproductive et vaine. Un bon croyant sait accepter qu’actuellement, Sonko a des supporters qui confortent sa suprématie politique. Il a surtout l’intelligence électorale et certains ont voulu lui imposer une cohabitation, alors que la seule chose qu’ils ont, c’est l’ardent désir de le démystifier. Les insultes et attaques contre sa personne ont fait comprendre aux Sénégalais que Samm Sa Kaddu n’était pas une alternative. Même ceux qui n’étaient pas satisfaits de la gouvernance de Ousmane Sonko ont préféré rester chez eux plutôt que d’aller voter pour des haineux qui ont choisi l’insulte, les quolibets et la moquerie. J’étais choqué de les voir entretenir un débat sur les pastilles pendant que leur adversaire posait un débat de fond. Ils apprendront à leur dépens que «l’anti sonkoisme» n’est pas une doctrine politique.
Quelles sont les perspectives de Abba, son avenir dans la politique se décline comment ?
Quand j’ai demandé à Barthélemy Dias pourquoi je devais être investi après leur Bloc générationnel, après Anta Babacar Ngom, Thierno Bocoum et Pape Djibril Fall ; après tous les combats que j’ai menés pour Taxawu durant les 15 ans de compagnonnage, il m’a répondu que ces gens-là ont des organisations politiques. Une réponse mortelle pour moi. Tous les combats politiques menés pour l’organisation que nous partageons ne comptent clairement pas. Donc la seule évidence qui s’impose à moi, c’est que nous n’avons plus rien à faire à Taxawu Sénégal. Nous n’avons plus rien à faire à côté de Khalifa Sall et Barthélemy Dias.
Ndèye Khady D. FALL avec Le Journal Les Échos