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[Tribune] L’Homo Senegalensis à l’épreuve de l’innovation

Mamadou Oumar SY Etudiant en gestion de projet
Mamadou Oumar SY Etudiant en gestion de projet au CESAG

Dans un monde en constante transformation, le changement et l’innovation sont devenus indispensables pour prospérer. Or, au Sénégal, l’Homo senegalensis semble souvent réticent à adopter des pratiques modernes, en particulier dans des secteurs clés tels que le commerce et les transports. Cette résistance s’explique par des facteurs culturels, économiques et institutionnels. Par conséquent, il est pertinent d’analyser ces obstacles tout en explorant les opportunités qui pourraient inverser cette tendance.

L’influence de la tradition sur le commerce et les transports

Tout d’abord, il est essentiel de comprendre que les traditions jouent un rôle fondamental dans la société sénégalaise.

L’impact des pratiques commerciales traditionnelles

Les pratiques commerciales traditionnelles, telles que la vente sur les marchés informels, sont en effet souvent perçues comme des repères sûrs et fiables. Selon l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD), 97% de l’activité économique nationale provient du secteur informel.

De ce fait, les commerçants privilégient les transactions en espèces, car ils associent cette méthode à la simplicité et à la sécurité. En outre, les relations avec les clients sont souvent basées sur la proximité sociale, qui valorise l’interaction personnelle. Ainsi, les marchés ouverts permettent des négociations directes et une fidélisation basée sur les liens communautaires. À titre d’exemple, un commerçant peut accorder un crédit informel à un client qu’il connaît, une pratique de plus en plus répandue.

Les défis du secteur des transports

Parallèlement, le secteur des transports est largement dominé par les véhicules traditionnels tels que les cars rapides, les Ndiaga Ndiaye, les clandos et les taxis classiques. Bien que ces modes de transport soient emblématiques, ils sont souvent gérés selon des pratiques héritées et non structurées.

Par exemple, les chauffeurs préfèrent payer en espèces, craignant les coûts supplémentaires liés à l’utilisation d’applications modernes comme Heetch ou Yango.

Par ailleurs, les trajets ne sont pas toujours planifiés à l’avance, mais déterminés en fonction de la demande immédiate, ce qui limite l’efficacité globale.

Des moyens de transport comme le Ndiaga Ndiaye sont donc bien plus que de simples outils pour se déplacer ; ils représentent également une identité culturelle que les conducteurs ne veulent pas sacrifier au profit d’une modernisation perçue comme impersonnelle.

Limites institutionnelles et éducatives à l’innovation

A ce stade, il apparaît crucial de considérer le rôle des institutions et du système éducatif dans l’adoption de l’innovation, car leurs faiblesses actuelles constituent un frein majeur à l’évolution de l’Homo senegalensis. Ces limites peuvent être analysées sous deux angles principaux :

Lenteur dans l’application des politiques publiques

De prime abord, les initiatives gouvernementales visant à moderniser les secteurs clés, bien qu’existantes, progressent à un rythme insuffisant pour répondre aux besoins d’un monde en mutation rapide. En effet, la lenteur de la mise en œuvre des politiques publiques, notamment dans les secteurs des transports et du commerce, est souvent due à plusieurs facteurs.

La bureaucratie et la complexité administrative ralentissent les décisions, tandis que le manque de coordination entre les différents acteurs (gouvernements, acteurs économiques, autorités locales) crée des retards importants.
De surcroît, les projets de modernisation nécessitent souvent un financement important, et les budgets peuvent être insuffisants.

La résistance au changement, la corruption, la mauvaise gestion et le manque de vision à long terme contribuent également à ces retards. Par exemple, les tentatives de modernisation des marchés, comme celui de Kaolack, et d’amélioration des infrastructures de transport prennent du temps à cause de ces défis.

Afin d’accélérer ces processus, il est crucial de renforcer la coordination, d’assurer une gestion efficace des ressources et d’adopter des politiques publiques participatives et stratégiques.

Un système éducatif désynchronisé avec les besoins du marché

De son côté, l’éducation joue un rôle crucial dans l’adoption du changement. Mais le système éducatif sénégalais, bien qu’il ait permis des progrès dans la scolarisation, reste fortement axé sur des approches théoriques. Une telle situation limite la capacité des apprenants à s’adapter aux exigences du marché moderne. Au Sénégal, seulement 32 % de la population active possède des compétences numériques de base (Banque mondiale, 2023).

Il en résulte que les commerçants et les transporteurs n’ont souvent pas les connaissances nécessaires pour utiliser les outils modernes, ce qui entrave leur transition vers des pratiques innovantes.
Entraves psychologiques et économiques au changement

Il est également important de considérer les obstacles psychologiques et économiques qui amplifient cette résistance au changement.

La peur de l’échec et ses conséquences

En effet, l’échec est souvent perçu comme une stigmatisation sociale. Cette peur limite la prise de risques, notamment dans le commerce. Le changement est souvent considéré comme une rupture avec des pratiques éprouvées depuis des générations. Les commerçants de rue, très présents dans les grandes villes comme Kaolack et Dakar, illustrent parfaitement cette résistance. La proposition de relocalisation dans des marchés modernes et structurés se heurte ainsi à des rejets massifs, car :
Ils perdraient l’accessibilité directe de leur clientèle.

La charge financière que représentent les loyers ou les taxes imposés aux nouveaux locaux est perçue comme un fardeau.

Les contraintes économiques comme frein à l’innovation. Les contraintes économiques entravent également l’accès à des solutions modernes, en particulier dans un contexte où les revenus moyens restent faibles. Les commerçants et les transporteurs opérant dans le secteur informel n’ont souvent pas les moyens d’épargner ou d’investir dans des infrastructures modernes, car leurs revenus servent principalement à couvrir leurs besoins quotidiens.

Signaux d’espoir et nouvelles opportunités

Cependant, malgré ces défis, plusieurs signaux positifs montrent que l’Homo senegalensis peut évoluer.

L’essor des technologies numériques

Les technologies numériques, tout d’abord, gagnent progressivement en popularité. D’ici 2023, Wave comptera environ 8 millions d’utilisateurs actifs mensuels et Orange Money environ 3 millions d’utilisateurs actifs au Sénégal, selon les rapports publiés par Jeunes Afrique. De plus, des entreprises locales comme JokkoSanté dans le secteur pharmaceutique montrent qu’il est possible d’adopter des modèles modernes tout en restant accessible.

Le rôle transformateur de la diaspora

La diaspora sénégalaise joue un rôle important dans la transformation de l’économie. Les transferts de fonds de la diaspora représentent une source de revenus essentielle pour de nombreuses familles sénégalaises. Selon la Banque mondiale, les transferts de fonds vers le Sénégal ont atteint 2,7 milliards de dollars en 2022, soit 10 % du PIB national. Une partie de ces transferts est utilisée pour financer des projets communautaires, tels que la construction d’écoles, de centres de santé et des projets entrepreneuriaux dans des secteurs tels que l’agriculture, l’immobilier, le commerce et les services.

La jeunesse comme moteur de changement

Enfin, la jeunesse est un moteur de changement. Avec un accès croissant à Internet et aux réseaux sociaux, les jeunes sénégalais sont de plus en plus ouverts aux idées et pratiques innovantes. Des startups locales telles que Yobanté Express dans le transport logistique, JokkoSanté (une plateforme de santé communautaire), et Teliman (services numériques de taxis-motos) montrent que l’innovation est en plein essor au Sénégal. Ces initiatives répondent à des défis clés dans les secteurs de la logistique, de la santé et du transport. Leur succès prouve que la jeunesse sénégalaise, dotée des bons outils et d’un écosystème favorable, peut transformer le pays.

En résumé, l’Homo senegalensis n’est pas intrinsèquement résistant au changement, mais il est freiné par des facteurs culturels, institutionnels et économiques. Pour autant, les opportunités offertes par les technologies numériques, le rôle de la diaspora et la dynamique de la jeunesse montrent que l’évolution est possible. Aussi est-il essentiel de renforcer l’éducation, de rendre les politiques publiques plus inclusives et d’améliorer l’accès aux outils modernes. Ces efforts concertés sont indispensables pour que l’Homo senegalensis puisse s’approprier pleinement le changement et l’innovation, tout en préservant ses valeurs culturelles.

Mamadou Oumar SY
Etudiant en gestion de projet, CESAG

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