Entretien exclusif : Aurélien Taché, député La France Insoumise, propose la panthéonisation d’un Tirailleur sénégalais



Kaolack et le Saloum vus du ciel
Député du Val-d’Oise et membre de La France Insoumise, Aurélien Taché incarne une figure dynamique de la gauche française contemporaine. Son parcours politique, marqué par des engagements successifs au Parti socialiste, à La République en Marche, puis à La France Insoumise, reflète, selon lui, une quête constante de justice sociale, de lutte contre les inégalités et de promotion d’un internationalisme authentique. Dans cet entretien qu’il nous a accordé dans ses bureaux à l’Assemblée nationale française, le député insoumis partage ses propositions novatrices visant à renforcer les liens entre la France et le Sénégal. Président du groupe d’amitié France-Sénégal à l’Assemblée nationale française, Taché plaide l’entrée d’un Tirailleur sénégalais au Panthéon et propose d’ouvrir droit à réparation aux descendants des Tirailleurs sénégalais, en hommage aux soldats africains ayant contribué à la libération de la France. Il propose également la suppression des visas pour les chercheurs et artistes issus de l’espace francophone, afin de faciliter les échanges culturels et scientifiques. Aussi, il suggère d’orienter la coopération internationale vers des domaines d’avenir tels que l’intelligence artificielle et l’exploration spatiale. À travers ces initiatives, Aurélien Taché dessine une vision ambitieuse d’une francophonie solidaire, innovante et tournée vers l’avenir. Celui qui pense que seul un départ d’Emmanuel Macron permettra à la France de sortir de la situation de blocage dans laquelle elle est installée depuis la dissolution de l’Assemblée nationale, aborde également des sujets cruciaux tels que l’unité nationale, la politique migratoire et les défis auxquels est confrontée la jeunesse française.
Les Échos : Vous avez un parcours politique marqué par plusieurs évolutions, du Parti socialiste à la France Insoumise, en passant par La République en Marche. Comment définiriez-vous votre positionnement politique aujourd’hui ?
Aurélien Taché : Alors écoutez, moi je suis vraiment quelqu’un qui a effectivement eu une évolution entre différentes formations politiques, mais jamais sur un certain nombre de fondamentaux qui sont mes convictions, et qui sont que j’ai toujours milité pour une plus grande émancipation des individus, pour finalement l’éradication de la pauvreté et du racisme, parce que je pense que ce sont les deux fléaux qui empoisonnent la société, et pour un internationalisme véritable. Et donc j’ai été formé au Parti socialiste, puisque c’était un parti qui défendait tous ses idéaux, mais dont malheureusement je trouve que, sous l’époque de François Hollande, avec notamment Manuel Valls, Premier ministre, il a abandonné une partie des idéaux que je viens d’évoquer. J’ai pensé qu’Emmanuel Macron, qui était alors ministre de l’Économie, et j’étais moi-même conseiller ministériel à l’époque dans le gouvernement de Monsieur Valls, au ministère du Logement, aurait du coup, quand il a commencé à formuler ses propositions, une approche qui convienne mieux par rapport à ce que je suis en train de dire : émancipation, antiracisme, internationalisme, c’était quelqu’un qui avait un discours sur une France ouverte, plus jeune, qui devait finalement se régénérer, ne pas se replier sur elle-même. Et malheureusement, tout ce que j’ai pu constater comme député quand j’ai été élu en 2017, et pendant les premières années du quinquennat d’Emmanuel Macron, m’ont laissé penser que non. Finalement, ce président de la République, jeune, dynamique, qui avait des convictions modernes, était finalement pire que les autres, et avait finalement balayé la gauche et la droite pour imposer un agenda qui est celui des grandes multinationales et des Etats-Unis. Et je n’ai pas pu accepter ça, donc j’en suis arrivé dans mon cheminement à me dire que seule la France insoumise et Jean-Luc Mélenchon défendaient réellement les combats qui étaient les miens.
Vous êtes député du Val-d’Oise depuis 2017. Quel bilan tirez-vous de votre action parlementaire depuis votre première élection ?
Écoutez, j’ai pu agir sur beaucoup de choses. Même à l’époque, en 2017, quand j’étais avec Emmanuel Macron, je me suis battu pour mes convictions, et notamment puisque je crois que votre journal s’intéresse beaucoup à l’économie. Moi, j’avais réussi à adopter les emplois francs, qui faisaient qu’un jeune qui naît dans un quartier prioritaire au sens de la politique de la ville, un quartier populaire, quand il est embauché par une entreprise, l’entreprise touche 15.000 €. C’était une façon d’accentuer l’emploi pour ces jeunes. J’ai fait un rapport sur l’accueil et l’intégration des réfugiés en France. J’ai fait beaucoup de choses dans tous les domaines sociaux pendant les premières années. Et puis maintenant, beaucoup de combats sur l’international. Et je sais que je suis assez suivi sur ces questions, puisque j’ai pu faire bouger les lignes dans un certain nombre de domaines. Donc un bilan plutôt positif. Cela étant, on a toujours envie de faire mieux. Et on va s’y employer.
Quels sont les combats politiques qui vous tiennent le plus à cœur actuellement ?
« Alors, le plus important pour moi aujourd’hui, c’est de, finalement, ne pas laisser la France se scinder en différentes parties. Nous sommes tous citoyens français, quel que soit l’endroit où on est né, quel que soit le moment où on est devenu français, pour ceux qui le sont, soit au cours de leur vie, soit leurs parents ou leurs grands-parents. Et aujourd’hui, je trouve qu’il y a énormément de gens qui agitent le spectre de la division, de la haine. Je pense bien sûr aux gens du Rassemblement national, mais pas uniquement, et je le regrette. Et je pense que, voilà, ça passe aussi par une certaine vision des choses sur le plan international. Et quand, finalement, on parle extrêmement mal des gens qui immigrent en France, quand on parle très mal de la religion musulmane, par exemple, quand on dégrade à la fois l’équilibre dans notre pays, mais aussi la manière dont la France est vue à l’étranger, et ça a des répercussions, et quand on ajoute à ça un président de la République française, Emmanuel Macron, qui se comporte très mal, d’abord parce qu’il répète les erreurs de ses prédécesseurs en Afrique, et en plus, il ajoute une forme d’arrogance et de mépris qui fait qu’on arrive à une situation où, aujourd’hui, il y a quasiment une incompréhension entre, pas les peuples, mais entre différents pays africains et la France. Moi, je suis de la Cergy-Pontoise. À Cergy -Pontoise, il y a des gens de tous horizons, de toutes origines. Je vois quels, finalement, impact et répercussions concrètes ça a, malheureusement, dans l’équilibre de la France. Donc, moi, les combats qui me sont chers aujourd’hui, c’est que je ne veux pas qu’il y ait, finalement, des Français qui s’opposent les uns aux autres en raison de ces polémiques instrumentalisées en fonction de l’origine, de la religion des gens et autres, et je ne veux pas non plus que les peuples se séparent. Nous partageons une langue. Ça nous permet d’échanger aujourd’hui la langue française. Je suis un grand défenseur de la francophonie, et je suis aussi défenseur d’une diplomatie non-alignée et de la souveraineté des pays africains. Les Français n’ont plus à avoir de bases militaires en Afrique. Les Français n’ont plus à se comporter comme s’ils étaient encore, à l’époque, voilà, de ce qu’on a appelé la Françafrique, ou de ne pas se comporter d’une manière qui serve à un agenda néocolonial. Mais pour autant, moi, je défends cette langue qu’on a en partage et les projets d’avenir qu’on pourrait bâtir ensemble. Voilà mes combats.
Vous venez d’être nommé président du groupe d’amitié France-Sénégal à l’Assemblée nationale. Quelle sera votre feuille de route à ce poste ?
Alors, je veux vraiment que ce groupe d’amitié soit très actif, soit très vivant. Il y a eu des changements politiques importants au Sénégal ces derniers mois et années. J’en ai été à ma très modeste mesure et évidemment en tant que député français sans aucune volonté d’ingérence de quoi que ce soit, mais un compagnon de route. Pourquoi ? Parce que quand j’ai vu finalement ce qui se passait au Sénégal et que la France pouvait ajouter un rôle pour déstabiliser la démocratie, je me suis dit qu’il était très important que quelqu’un ici s’élève pour dire non. Les Français ne devront pas faire ça. Et maintenant que ces changements ont porté une nouvelle équipe au pouvoir et qu’il y a toujours… Et moi, je suis un patriote. J’aime mon pays et je ne veux pas prendre la place du gouvernement. Évidemment, les gouvernements sénégalais et français font ce qu’ils ont à faire ensemble. Mais moi, je veux ajouter ce supplément d’âme à travers le groupe d’amitié à l’Assemblée nationale qui fait que je crois que mes amis sénégalais et notamment l’équipe au pouvoir savent qu’ils ont quelqu’un qui est un ami du Sénégal, qui est quelqu’un de confiance ici à Paris pour s’occuper de ce groupe et qu’ensemble, nous puissions avoir une feuille de route ambitieuse. Donc effectivement, regardez quels sont les grands défis que nous avons ensemble à relever demain sur le plan de la sécurité, sur le plan de l’économie, sur le plan finalement du réchauffement climatique, sur le plan du respect des démocraties et des peuples sur nos deux continents. Je vais dès le mois prochain réunir le groupe d’amitié avec les parlementaires de tous horizons pour leur dire qu’effectivement, toutes leurs propositions sont bienvenues mais qu’on doit se mettre au travail très vite pour rencontrer évidemment d’abord l’ambassadeur du Sénégal qui est ici présent à Paris et puis dans les différents domaines que je viens d’évoquer, sécurité, économie, climat, jeunesse, toute une série d’acteurs soit français soit sénégalais pour qu’on puisse faire vivre ici à l’Assemblée nationale une coopération, faire se rencontrer des gens qui permettront ensuite d’établir des projets et de revitaliser les échanges entre nos sociétés, entre nos parlements car je crois qu’au-delà de la diplomatie officielle des gouvernements, nous avons un rôle central à jouer là-dedans et je suis sûr que je trouverai des interlocuteurs à l’Assemblée nationale sénégalaise, je connais bien mon ami Ayib Daffé ou d’autres, nous verrons qui est le président du groupe d’amitié France-Sénégal côté sénégalais et à partir de là, la première chose que je ferai, je le contacterai, ensemble nous allons définir une feuille de route ambitieuse et des échanges entre nos deux pays très réguliers.
La coopération franco-sénégalaise est historiquement forte, mais certains dossiers, comme les visas ou la politique migratoire restent sensibles. Comment comptez-vous aborder ces sujets dans le cadre du groupe d’amitié ?
« Alors vous avez raison, ça ne sert à rien de parler de grands défis à relever ensemble sur le plan économie, sécurité, tout ce qu’on veut, si on n’a pas mis à plat un certain nombre de choses qui aujourd’hui polluent la relation entre la France et le Sénégal, et la question des visas est centrale. Moi je vous l’ai dit, je vais remettre un rapport sur l’avenir de la francophonie le mois prochain, et une des choses que je vais dire, c’est comment est-il possible qu’on ait plus de difficultés quand on est Sénégalais à venir en France qu’à aller aux Etats-Unis. Je le tiens d’un exemple, j’espère qu’elle ne m’en voudra pas de la citer, de madame la ministre Yassine Fall ; elle me l’a dit elle-même, quand je n’étais pas encore ministre, nous sommes amis, elle et moi, j’avais plus de mal en tant que chercheuse, alors qu’elle a une partie de sa famille en France, à venir en France qu’à aller aux Etats-Unis. Comment c’est possible que quelqu’un d’une qualité pareille rencontre des difficultés à avoir un visa ? Je vous donne un exemple symbolique, mais vous savez comme moi que c’est le cas pour des milliers d’autres Sénégalais. Donc moi je prône une idée simple, dans l’espace francophone, les décideurs politiques, économiques, les artistes, les chercheurs, ne devraient pas avoir besoin d’un visa pour circuler sur des courtes périodes. Qu’est-ce qu’on envoie comme message à toutes ces gens qui sont des élites dans leur pays, qui veulent faire vivre la relation franco-sénégalaise en leur disant qu’on ne leur donne pas de visa ? On croit que quelqu’un qui est ministre, chef d’entreprise, artiste, va prendre un visa pour rester en France, mais c’est n’importe quoi. Les gens veulent retourner chez eux ensuite. On confond tout. On a tout confondu. Moi, je pense qu’effectivement, pour la politique migratoire, déjà, il faut arrêter de faire peur à tout le monde. Il n’y a pas tant de gens que ça qui viennent en France, mais qu’à la limite, on régule un certain nombre de choses. Pourquoi pas ? Mais confondre ça avec la circulation et les visas est extrêmement grave. Et fait qu’aujourd’hui, nous sommes disqualifiés, discrédités, souvent, avec nos amis sénégalais, notamment, parce que nous confondons tout sur ces sujets, que nous donnons le sentiment que nous nous méfions de chaque personne qui vient ici, alors qu’il a bien mieux à faire dans son pays. Vous savez, moi je pense qu’un jour, il y aura plus de Français qui viendront à Dakar que de Sénégalais qui viendront à Paris.
Après la dégradation de la nécropole du Tata sénégalais de Chasselay, vous avez vivement réagi. Avant ça, vous êtes allés à Dakar, dans le cadre de la commémoration du massacre de Thiaroye. Pensez-vous que la mémoire des tirailleurs sénégalais est suffisamment honorée en France ? Que faudrait-il faire de plus ?
Non, je pense que cette mémoire n’est pas suffisamment honorée. Je me suis rendu à Thiaroye au moment des commémorations pour les 80 ans. J’y tenais beaucoup. Nous étions un certain nombre de parlementaires français. Je crois que j’ai fait une proposition à ce moment-là. Je souhaite qu’en France, ici, à l’Assemblée nationale, ce sera l’un des objets de ma feuille de route, l’Assemblée nationale reconnaisse pleinement le massacre de Thiaroye. Moi, j’ai proposé qu’on ouvre une commission d’enquête pour voir pourquoi ça n’avait pas été fait plus tôt. Qui cache des archives ? Il y en a-t-il encore de cachées ? Combien ? Où ? Pourquoi les Sénégalais n’y ont pas accès ? Je sais que le Premier ministre Ousmane Sonko a mis en place une commission pour faire la vérité. Est-ce que les chercheurs sénégalais ont bien accès à toutes les archives ? Moi, j’ai des doutes. Je souhaite une commission d’enquête ici, à l’Assemblée nationale. Je souhaite aussi que, d’une manière ou d’une autre, si cette commission d’enquête voit le jour, tant mieux. Si ce n’est pas le cas, dans tous les cas, nous devrons dès cette année voter la reconnaissance du massacre de Thiaroye, ici à l’Assemblée nationale, et ouvrir droit à réparation aux descendants. Soit par la bonne indemnité, soit, comme on le propose aussi, il faudra aussi mettre en avant la question d’un procès en révision. L’historienne Armelle Mabon, qui travaille notamment dans la commission mise en place par Ousmane Sonko, c’est la seule historienne française, le dit. Il faut qu’on puisse donner la possibilité aux gens qui ont été emprisonnés ou à leurs descendants d’aller faire réviser les procès. Donc ça, c’est pour le cas spécifique de Thiaroye qui est très important. Mais ça ne suffit pas. Pour une mémoire complète et pour avoir un travail vraiment complet sur le sujet de la justice qui doit être rendue aux tirailleurs sénégalais, Ousmane Sonko a raison : si nous n’avions pas eu les tirailleurs sénégalais en France, peut-être que nous parlerions allemand aujourd’hui en France. Il faudrait, par exemple, des gestes forts. Moi, je fais une proposition. Je ne l’ai jamais faite avant. Je la fais dans votre journal. Pourquoi nous n’aurions pas l’entrée d’un tirailleur sénégalais au Panthéon ? Voilà. Je pense que ça, ce serait important pour reconnaître véritablement le rôle des tirailleurs sénégalais. Faisons entrer, je ne sais pas qui, ce n’est pas à moi de décider, les scientifiques se pencheront sur la question, un tirailleur sénégalais au Panthéon, pour montrer à quel point finalement, vous savez qu’en France, la panthéonisation c’est quelque chose d’important sur le plan symbolique, pour montrer à quel point nous reconnaissons et nous sommes reconnaissants de tout ce que les tirailleurs sénégalais ont fait pour libérer notre pays.
Avec l’arrivée au pouvoir de Bassirou Diomaye Faye, le Sénégal semble amorcer un tournant souverainiste. Quel regard portez-vous sur cette évolution et sur la place que doit occuper la France dans ses relations avec l’Afrique ?
« Oui, je constate comme vous qu’effectivement, le président Diomaye Faye veut finalement renforcer l’indépendance de son pays, je le dirais comme ça. Quand on est dépendant sur le plan économique de puissances extérieures, quand finalement les ressources sénégalaises peuvent parfois être accaparées… J’ai ce souvenir, j’ai été rencontrer les pêcheurs à Dakar, il y a quelques mois, quand je suis allé, tous m’ont dit « Monsieur le député, aujourd’hui, certains bateaux viennent de l’Europe piller notre ressource halieutique, les poissons qu’on pêche, d’autres de Chine ». Bon, je sais qu’immédiatement, quand ils sont arrivés au pouvoir, l’équipe de Ousmane Sonko et de Bassirou Diomaye Faye a mis fin à tout cela. Je le comprends. Qui peut accepter qu’on vienne piller ses ressources? Donc moi, si c’est ça être souverainiste, ça ne me dérange pas. Que les Sénégalais se battent pour avoir finalement leurs ressources et qu’elles ne soient pas pillées par des forces extérieures, ça ne me dérange pas. En revanche, je pense que ça ne doit pas pour autant arrêter les coopérations entre nous. Il y a le sommet de l’intelligence artificielle ce week-end à Paris. Mon ami le ministre du Numérique Alioune Sall sera présent. J’espère que nous allons pouvoir coopérer dans ce domaine-là. Sur la question de l’espace, ce que font les Sénégalais est incroyable. Vous avez lancé un satellite il y a peu de temps. Très bien que le Sénégal fasse ça avec des partenaires du monde entier. Le Sénégal est le seul à même de décider avec qui il veut travailler. Mais quand même… encore une fois, c’est la langue que nous partageons, la coopération scientifique que nous avons dans certains domaines. J’étais à Thiès pour voir les premières classes préparatoires aux grandes écoles. Je vois ce qui se passe encore. Les coopérations francophones, d’ailleurs avec nous Français, mais aussi avec les Tunisiens qui étaient très présents à Thiès. On pourrait imaginer des choses avec les Marocains. Moi, je tiens beaucoup à ce qu’on mette fin à toute idée de néocolonialisme. Que le Sénégal soit indépendant et souverain, mais que nous soyons des partenaires privilégiés. Moi, je suis un ami du Sénégal. J’ai rencontré énormément de Sénégalais qui sont des amis de la France. Je pense que c’est la majorité pour l’ensemble de nos deux peuples. Nous partageons encore une fois ces plans. Nous avons besoin d’être alliés pour faire face à la puissance américaine ou aux puissances des grands blocs. Je pense que tout ça, nous pouvons le travailler ensemble. En tout cas, moi, c’est mon souhait. Je pense qu’il y a énormément de domaines. Je viens d’en citer des domaines d’avenir. L’espace, l’intelligence artificielle, plein de domaines comme ceux-là où nous pouvons travailler vraiment main dans la main.
La France Insoumise a souvent critiqué la politique africaine de la France et son rôle dans le franc Cfa. Quelles mesures concrètes le gouvernement français devrait-il prendre selon vous pour redéfinir ses relations avec le continent africain ?
Je pense que cette question du franc Cfa, qui avait d’ailleurs été abordée, vous me parlez de LFI, par Jean-Luc Mélenchon lui-même, avec Ousmane Sonko, à la conférence à l’Université Cheikh Anta Diop. J’étais présent, évidemment, vous le savez. Ousmane Sonko a été clair là-dessus. Il a dit la question des bases militaires et la question du franc Cfa. Je crois que Jean-Luc Mélenchon était clair aussi. Il avait dit : si c’était moi le président de la République, on pourrait ouvrir le dossier du franc Cfa, M. le Premier ministre. Je regrette qu’Emmanuel Macron ne le fasse pas. Je crois qu’effectivement la question des bases militaires était un point important. Je regrette que les autorités françaises n’aient pas su aborder cette question avec le gouvernement sénégalais, qui a dû prendre sa décision. Il l’a prise, je la respecte, je la partage. J’espère que sur le franc Cfa, nous allons pouvoir mettre les choses à plat ensemble, sans que finalement, il y ait besoin du côté sénégalais d’une dénonciation unilatérale. Mais si ça n’est pas le cas, parce que les Français ne réagissent pas, je comprendrai qu’ils le fassent. Simplement, je prône une autre méthode, pour que justement, nous arrêtions de donner le sentiment qu’un fossé se creuse entre nos deux pays, et que nous puissions aborder ces sujets en face. Le franc Cfa est un autre temps. La présence des bases militaires en Afrique est un autre temps. Je préfère qu’on regarde ensemble vers les coopérations d’avenir comme celles que j’évoquais à l’instant. Arrêtons avec ce sujet des visas. Travaillons ensemble sur l’espace, l’intelligence artificielle, la mer, sur tous les grands défis qu’il faut relever pour que la planète, finalement, soit préservée et que le peuple continue d’avancer main dans la main. Voilà ce que je pourrais vous dire en quelques mots.
On sait que LFI a entretenu des relations avec Pastef Les Patriotes, le parti d’Ousmane Sonko, notamment à travers des prises de position communes sur la politique française en Afrique. Quelle est aujourd’hui la nature de ces relations ?
Nous cherchons vraiment à coopérer de manière rapprochée. Je vous ai dit tout à l’heure que je connaissais bien Ayib Daffé. Il est venu aux universités d’été de LFI en France l’été dernier. Nous avons, lui et moi, tenu ensemble une conférence sur la France et le Sénégal et la révolution citoyenne, parce que ce sujet nous intéresse. Les Sénégalais ont réussi quelque chose que les Français n’ont pas encore réussi. Ils ont mené à bien une révolution citoyenne. En tout cas, ils ont réussi à accéder au pouvoir sur la base de ce projet-là. Maintenant, nous réfléchissons ensemble à ce que ça veut dire une fois qu’on a pu atteindre le pouvoir, comme c’est le cas côté Pastef, qu’est-ce qu’il faut mettre en œuvre pour que cette révolution citoyenne aille au bout ? Nous, ça nous inspire parce que nous espérons pouvoir faire le même chemin. Nous avons des relations étroites. La dernière fois que nous sommes allés à la Dakar, nous avons encore eu une rencontre au plus haut niveau avec les nouveaux députés de la diaspora ici, les nouveaux députés sénégalais, mon ami Aly Diouara, député du 93, qui était avec moi, et toute l’équipe du Pastef pour voir justement comment, sur ces sujets de politique africaine, mais sur bien d’autres sujets, cette révolution citoyenne qui tient à cœur du Pastef et de LFI, nous allons pouvoir continuer à coopérer. Je pense que cela passera par des programmes d’échange entre nos jeunesses, par de la formation. Nous voulons faire de la formation dans les deux sens, que Pastef nous forme sur certaines choses, que LFI forme Pastef sur d’autres. Nous voulons travailler sur tous ces domaines-là pour véritablement montrer qu’un autre monde est possible. Les Sénégalais l’ont montré avec leur victoire. Nous espérons pouvoir faire la même chose en France bientôt.
LFI envisage de déposer une motion de censure contre le gouvernement de François Bayrou. La soutiendrez-vous ?
Bien sûr. Je soutiendrai cette motion de censure. Nous devons censurer ce gouvernement au plus vite. D’ailleurs, ça va être dans quelques heures, là. Donc après notre échange, je vais aller voter pour cela. Car en effet, je crois qu’aujourd’hui, François Bayrou n’apporte aucune solution au problème des Français, que finalement, nous avons gagné les élections en juillet dernier avec le Nouveau Front Populaire et LFI, mais que le président de la République, qui commence un petit peu à avoir des accents autoritaires… Il n’a pas voulu reconnaître le résultat des élections législatives, il a continué à nommer ses amis au gouvernement alors qu’aujourd’hui, ils sont très minoritaires dans l’Assemblée nationale, cette situation est un problème pour nous Français. Et on a du mal à en sortir. Nous avons des gens qui ont été battus dans les urnes et qui continuent de mener la même politique. Donc nous allons les censurer. Et j’espère même que cette nouvelle censure, si elle aboutit, conduira à la démission du président de la République française, pour que nous puissions enfin avoir une nouvelle élection présidentielle. La situation est bloquée en France. La situation est bloquée. Elle ne se débloquera que par le départ d’Emmanuel Macron.
Mais pour censurer, il faut forcément un regroupement de la gauche au moins. Aujourd’hui la gauche française est divisée avec la décision du Parti socialiste de ne pas censurer. Quel regard portez-vous sur le Nouveau Front Populaire ? Pensez-vous que l’union de la gauche est viable sur le long terme ?
Je pense que malheureusement, les dirigeants du Parti socialiste ont fait un choix qui met en péril le Nouveau Front Populaire, en refusant de voter la censure, en reconnaissant qu’on pouvait ne pas respecter le résultat des élections. Parce que quand ils ne demandent pas avec nous la démission d’Emmanuel Macron, ça veut dire qu’ils acceptent qu’Emmanuel Macron nomme un gouvernement qui n’est pas issu du bloc, qui est arrivé en tête aux élections législatives. Donc tout ça me préoccupe. Mais je vois chaque jour des militants ou des élus socialistes et des collègues qui ne sont pas d’accord avec les décisions de leurs dirigeants. Je vois aussi que les écologistes et les communistes continuent de voter la censure et de vouloir faire vivre le Nouveau Front Populaire. Donc j’appelle à un sursaut. J’appelle mes collègues socialistes à un sursaut. N’écoutez pas les consignes de la direction de votre parti. Écoutez ce que vous demandent vos électeurs, les gens qui vous ont élus en juillet dernier avec nous autres insoumis et avec les écologistes et les communistes pour finalement avoir une politique qui soit vraiment différente de celle qui est menée depuis 8 ans. Et aujourd’hui, ce que propose François Bayrou, c’est une politique qui non seulement ne varie pas sur la plupart des sujets, mais qui est même pire encore. 15 milliards d’euros d’économies sur les services publics, un refus de faire contribuer les plus riches, une politique étrangère scandaleuse… On continue malheureusement de laisser faire Israël et ses crimes de guerre. On continue de ne rien dire ou si peu au régime de Paul Kagame qui est en train de s’en prendre à nos amis congolais. Sur tout ça, ça n’est pas possible de continuer ainsi. Les socialistes doivent reprendre raison. Et moi, j’appelle mes collègues à rompre les rangs. Votez la censure avec nous. Laissez les directions des bureaucrates de votre parti de côté et remettez-vous du côté du peuple français. Et à cette condition-là, nous arriverons à faire une union de la gauche ou même une union populaire, comme Jean-Luc Mélenchon l’appelle.
Vous avez été un défenseur actif des droits des migrants et de l’accueil des réfugiés. Comment jugez-vous aujourd’hui la politique migratoire du gouvernement français ?
Elle est véritablement abjecte. Je trouve que quand on est un pays comme la France, quand on a mis le droit d’asile, qui est un des droits de l’homme fondamentaux, au cœur de notre Constitution, de notre vision des choses, traiter les personnes et les migrants comme on le fait, en les laissant périr en mer… Je sais qu’il arrive régulièrement, encore beaucoup trop souvent, que des bateaux, finalement, échouent dans la Méditerranée. Je sais que parfois, certains partent du Sénégal. Je sais que nos amis espagnols, eux, commencent à envisager des choses différemment pour que ces drames s’arrêtent. Moi, j’ai honte que la France n’en fasse pas autant, parce que vraiment, la France ne joue plus son rôle. La France ne joue plus son rôle de ce point de vue-là. Nous devons pouvoir avoir le minimum d’humanité envers tous nos frères humains, quels qu’ils soient. Et quand on laisse comme ça des bateaux périr, quand on va s’en prendre à des gens qui n’ont rien et qui dorment sous une tente ou autre, et que la police française vienne arracher leur tente, leur duvet, quand on refuse que les gens puissent au moins déposer leur demande d’asile, leur dossier, et puis qu’ensuite ils soient examinés, puis on voit si c’est accepté ou pas. Quand on refuse tout ça, on rompt avec des traditions françaises d’une République, finalement, universaliste, d’une République qui avait comme fierté de défendre ces droits de l’homme partout dans le monde, et surtout sur son propre territoire. Et donc, je ne peux pas comprendre que la France tourne le dos à cette histoire qui a fait, finalement, ces grandes heures.
En France, on note que de plus en plus de jeunes votent le Rassemblement national. Selon vous, qu’est-ce qui explique cela, et quels sont les défis les plus urgents pour la jeunesse française d’aujourd’hui ?
« Oui, je vois cela comme vous. Je veux quand même dire que la jeunesse vote d’abord avant tout France Insoumise. Mais beaucoup votent aussi Rassemblement national parce qu’il y a une préoccupation. Mais les idées du Rassemblement national, je les ai combattues et je les combattrai toute ma vie. Mais je ne peux pas ne pas comprendre aussi que certains jeunes Français s’inquiètent parce qu’en réalité, quand vous avez un pays qui, finalement, a laissé tomber son industrie, semble plus préoccupé par répondre aux règles de Bruxelles dans l’Union Européenne ou de Washington sur l’Otan, qu’aux aspirations de sa jeunesse, que les gens se disent, finalement, « moi, j’ai travaillé dur pour mettre mes enfants à l’école. Est-ce qu’ils vont pouvoir avoir un emploi demain ? » Et quand M. Macron, avec sa politique qui favorise uniquement les intérêts financiers des multinationales, ne fait rien pour qu’on puisse réouvrir des usines en France, pour qu’on puisse défendre notre économie face aux Américains, face, finalement, à tous ceux qui veulent la concurrencer, je pense que cela crée du désespoir. Alors moi, je leur dis à cette jeunesse, ne vous trompez pas. La solution n’est pas dans la division. Le racisme n’apportera aucune réponse à vos problèmes. Et au contraire, en divisant, le peuple français va même, finalement, abaisser, affaiblir la France. Mais je comprends leurs préoccupations. Je leur dis, regardez plutôt du côté de ce que nous proposons, nous, France Insoumise, Union Populaire. Nous avons des réponses pour l’ensemble des catégories populaires françaises qu’elles habitent dans le plus petit village, comme à Saint-Pompein, où je suis né, dans les Deux-Sèvres, ou à Cergy, où je suis élu aujourd’hui, près de Paris. Nous voulons réunir le peuple en France pour que, finalement, la finance ne puisse pas prospérer sur sa division. Et c’est aujourd’hui, malheureusement, ce qui se passe. Et c’est ça qui pousse une partie des jeunes vers le Rassemblement national. »
Entretien réalisé par Sidy Djimby NDAO
