Sonko et Amadou Ba côte à côte : réconciliation en téléchargement ou simple sauvegarde des apparences ?


Une poignée de main, quelques mots échangés et un sourire en prime : l’image aurait pu passer inaperçue. Mais entre Ousmane Sonko et Amadou Ba, l’histoire est trop chargée pour que cette scène légère soit anodine. La cérémonie de lancement du livre de Pierre Atepa Goudiaby a offert un moment de cordialité inattendu entre les deux anciens adversaires. De là à parler de réconciliation ? Pas si vite.
Le décor était posé : ambiance feutrée, convives en costume, et un ouvrage célébrant cinquante ans d’architecture sénégalaise. Mais ce qui a véritablement attiré les projecteurs, ce n’est pas l’œuvre de Pierre Atepa Goudiaby, mais bien la poignée de main — presque hollywoodienne — entre Ousmane Sonko, Premier ministre, et Amadou Ba, ancien Premier ministre et rival malheureux à la dernière présidentielle.
Un geste, un clin d’œil, une remarque teintée d’humour — « Ça, c’est un ex-grand frère », lâche Sonko dans un éclat de sourire — et voilà les réseaux sociaux qui s’enflamment. Certains y voient un signe de maturité politique. D’autres, un simple numéro de théâtre républicain, destiné à faire bonne figure. Mais dans le fond, qui cherche-t-on à convaincre ?
Car enfin, que n’a pas dit Ousmane Sonko à propos d’Amadou Ba ? Qu’il est un voleur, qu’il a falsifié les chiffres de la dette, qu’il a ruiné le pays, qu’il est plus dangereux que Macky Sall lui-même… Il l’a même peint, en pleine campagne, comme le diable en personne, symbole du système à abattre. L’homme qu’il ne fallait jamais laisser approcher les rênes du pouvoir.
Et voilà que ce même Sonko, désormais Premier ministre et patron de l’administration sénégalaise, tend la main à son ancien bourreau verbal. Mieux : il rit avec lui. Côté Amadou Ba, le contraste est tout aussi saisissant. Le candidat traîné dans la boue, accusé de tous les maux, semble n’avoir gardé ni rancune ni colère. Il se permet même de murmurer quelques mots à l’oreille de son ancien accusateur, comme si rien ne s’était passé, manquant ainsi du respect à tous ceux qui ont mis leur réputations en jeu pour le défendre quand le patron de Pastef l’accusait de tous les péchés d’Israël.
Alors, que comprendre ? Assistons-nous à une réconciliation sincère, un aggiornamento entre deux hommes d’État qui ont pris de la hauteur ? Ou est-ce simplement un instant de mise en scène, une opération cosmétique pour masquer les fractures profondes du passé récent ? Un fichier en téléchargement, dont personne ne sait encore s’il ira jusqu’à 100 % — ou une sauvegarde des apparences, dictée par le protocole et la pression sociale ?
Dans un Sénégal encore marqué par les clivages de l’élection présidentielle et les violences politiques qui l’ont précédée, ces images questionnent. Le peuple a-t-il le droit de se demander si tout cela n’était finalement qu’un jeu de rôles ? Si la virulence des discours d’hier peut être gommée d’un simple sourire ? Au fond, entre tactique politique, communication bien huilée et obligations protocolaires, chacun jugera. En tous les cas, cette poignée de main n’a rien d’anodin. Elle oblige. Elle engage. Elle interroge surtout sur la nature du lien entre parole politique et sincérité. Surtout quand ça vient de Pastef. À moins que la vérité ne se cache, comme toujours, dans les silences.
Cette scène révélatrice soulève en effet une autre question, bien plus dérangeante : et si tout cela n’était qu’un jeu ? Un théâtre où les adversaires politiques se livrent à des joutes violentes en public, tout en partageant, en coulisses, sourires, accolades et souvenirs communs ? Une fois les caméras éteintes et les foules dispersées, que reste-t-il de leurs promesses de rupture, de justice, de changement radical ? Souvent, juste une connivence silencieuse entre gens du même monde.
Les Sénégalais n’ont pas la mémoire courte. Ils se souviennent des discours de feu, des accusations graves, des campagnes menées tambour battant au nom de la vérité, de l’éthique et du peuple. Mais ils se rappellent aussi des gaz lacrymogènes, des jeunes arrêtés, des morts parfois, des familles endeuillées au nom de cette guerre politique. Une guerre dans laquelle la plupart des leaders n’ont jamais pris de coups, préférant se replier derrière leurs cortèges climatisés pendant que les militants s’étripaient dans les rues.
Voilà le paradoxe : pendant que les citoyens se divisent, s’insultent et parfois s’affrontent pour des candidats, ces derniers finissent toujours par se retrouver, échanger des mots doux et se faire des bisous républicains. Une poignée de main suffit, et les offenses les plus graves deviennent « anecdotiques ». Le peuple, lui, n’a droit ni à la réconciliation, ni à l’oubli.
Ce petit théâtre du pouvoir, fait de coups de gueule en direct et de complicité feutrée en coulisses, trahit une vérité amère : la violence politique est souvent à sens unique. Elle s’exerce sur le dos des citoyens, manipulés comme des figurants dans un scénario qui ne les concerne pas. Pendant qu’on les dresse les uns contre les autres, les élites, elles, se connaissent, se respectent, se protègent. Peu importe les injures, les accusations de corruption, les menaces de prison. Tout cela peut disparaître en un sourire, une accolade, une cérémonie.
Et c’est précisément ce que redoutent les Sénégalais lucides : que l’histoire ne se répète, encore et encore. Que les nouveaux venus finissent par ressembler aux anciens. Que les promesses de rupture ne soient que des versions recyclées des pactes d’hier, maquillées en changement. Au bout du compte, ce ne sont pas les retrouvailles entre Ousmane Sonko et Amadou Ba qui choquent. C’est ce qu’elles révèlent d’un système qui, trop souvent, sacrifie la sincérité sur l’autel de la stratégie. Et où le peuple est toujours le dindon de la farce.
Sidy Djimby NDAO
