Défaite du Sénégal et de Hott à la BAD : autopsie d’un échec diplomatique prévisible pour Dakar


Un revers qui fait trembler Dakar. Le 29 mai 2025, le Sénégal a essuyé une déroute humiliante à l’élection à la présidence de la Banque africaine de développement (BAD), où son candidat, Amadou Hott, n’a récolté que 3,55 % des voix face au triomphe du Mauritanien Sidi Ould Tah (76,18 %). Cette débâcle, loin d’être un simple échec individuel, expose les failles béantes de la diplomatie sénégalaise sous le tandem Faye-Sonko. Une diplomatie en perte de cap ? L’incapacité à mobiliser la région, malgré une rhétorique panafricaniste, révèle un manque criant de stratégie. Un héritage encombrant ? L’association d’Hott au régime controversé de Macky Sall a pu rebuter certains votants. Une surreprésentation sénégalaise mal perçue ? La présence historique de cadres sénégalais dans les instances internationales a pu alimenter des réticences à soutenir Hott. Les tensions avec la France, un boulet ? Le bras de fer de Dakar avec Paris, sur fond de souverainisme, a peut-être coûté le soutien des alliés francophones de l’UEMOA. Cet article dissèque les racines de cet échec et trace une leçon pour l’avenir, alors que le Sénégal doit repenser son rayonnement continental pour éviter de nouveaux camouflets.
Le 29 mai 2025, l’élection à la présidence de la Banque africaine de développement (BAD) a vu la victoire écrasante du candidat mauritanien, Sidi Ould Tah, avec 76,18 % des voix, face à une déroute inattendue du Sénégalais Amadou Hott, qui n’a recueilli que 3,55 % des suffrages. Cette défaite, perçue comme un revers cinglant pour le Sénégal, soulève des questions profondes sur l’état de la diplomatie sénégalaise sous le nouveau régime de Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko. Au-delà de l’échec d’un candidat, elle met en lumière trois dynamiques critiques : une diplomatie sénégalaise en quête de cohérence, une perception de surreprésentation des Sénégalais dans les institutions internationales, et les répercussions des tensions avec la France sur l’influence régionale de Dakar. 24 heures après ce que certains ont vite qualifié d’ «humiliation » pour le Sénégal, Les Échos explorent des angles pour comprendre les causes profondes de cet échec et ses implications pour l’avenir.
Une diplomatie sénégalaise en perte de cap ?
Depuis l’arrivée au pouvoir du président Bassirou Diomaye Faye en avril 2024, le Sénégal s’est engagé dans une politique extérieure marquée par un discours souverainiste et panafricaniste. Cette nouvelle orientation, portée par le tandem Faye-Sonko, vise à rompre avec une diplomatie perçue comme trop alignée sur les intérêts occidentaux sous l’ancien président Macky Sall. Cependant, la campagne pour la présidence de la BAD a révélé des failles dans la mise en œuvre de cette vision. Malgré les déplacements fréquents du président Faye dans la sous-région, notamment en Mauritanie, au Mali et au Burkina Faso, pour promouvoir l’unité africaine et la réforme de la CEDEAO, le Sénégal n’a pas réussi à mobiliser un soutien régional suffisant pour Amadou Hott.
La Mauritanie, en revanche, a orchestré une campagne diplomatique méthodique sous la supervision directe du président Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani. Soutenu par des poids lourds comme la Côte d’Ivoire, le Mali, le Bénin et Djibouti, Sidi Ould Tah a bénéficié d’une coalition large, contrastant avec l’effort sénégalais, jugé timide. Sur les réseaux sociaux, notamment X, des voix sénégalaises ont exprimé leur frustration, qualifiant la diplomatie du pays de « cauchemardesque » et en « détresse ». Ce constat reflète une perception croissante que la diplomatie sénégalaise, sous le nouveau régime, peine à traduire son discours ambitieux en résultats concrets sur la scène continentale.
Cette faiblesse peut s’expliquer par une focalisation du régime sur les priorités domestiques, comme la réduction du déficit budgétaire (99,67 % du PIB en 2023) et la mise en œuvre du programme « Vision Sénégal 2050 ». Si ces réformes internes sont cruciales, elles semblent avoir relégué la candidature d’Hott au second plan, révélant un manque de coordination et de stratégie pour promouvoir les intérêts sénégalais à l’échelle africaine.
La perception de surreprésentation sénégalaise
Un autre facteur clé dans la défaite d’Amadou Hott réside dans le sentiment, partagé par certains pays africains, d’une surreprésentation des Sénégalais dans les institutions internationales. Historiquement, le Sénégal a placé de nombreux cadres de haut niveau dans des organisations prestigieuses : Ousmane Dione à la Banque mondiale, Makhtar Diop à la Société financière internationale, ou encore Abdoulaye Bathily aux Nations unies. Pour les plus anciens on peut citer d’Amadou Makhtar Mbow à l’Unesco (1974 – 1987), de Jacques Diouf à la FAO (1994 – 2011), de Lamine Diack à l’IAAF (1999 – 2015 )et même d’Abdoulaye Seye Moreau à la FIBA Monde (1998 – 2002). Cette présence, bien que témoignant de la qualité des élites sénégalaises, peut susciter des réticences parmi les autres nations africaines, qui aspirent à une répartition plus équitable des postes de pouvoir.
Dans le cadre de l’élection à la BAD, ce sentiment a pu jouer en faveur de Sidi Ould Tah, issu d’un pays, la Mauritanie, moins associé à une domination des instances panafricaines. Les pays d’Afrique de l’Est, centrale ou australe, en particulier, ont pu voir dans sa candidature une opportunité de diversifier la représentation continentale. Comme l’a souligné un utilisateur sur X, « le Sénégal doit apprendre à partager l’espace africain », une remarque qui traduit une possible lassitude face à l’influence sénégalaise perçue comme hégémonique.
Ce sentiment de surreprésentation s’inscrit dans un contexte où les équilibres géopolitiques sont scrutés de près. La BAD, en tant qu’institution panafricaine, est un terrain où les rivalités régionales et les aspirations à une représentation équitable se manifestent. La victoire de Sidi Ould Tah, avec son profil technique irréprochable et son expérience à la BADEA, a pu apparaître comme un choix moins controversé, permettant à des pays de l’UEMOA et d’ailleurs de soutenir une candidature perçue comme moins marquée par une logique de domination régionale.
Outre les tensions avec la France, la défaite d’Amadou Hott s’inscrit dans un contexte économique africain marqué par des défis majeurs, comme la crise de la dette et la nécessité d’attirer des financements internationaux. La BAD, avec un capital de 200 milliards de dollars, est un acteur clé pour répondre à ces enjeux, et les États membres ont privilégié Sidi Ould Tah pour son expérience à la BADEA, où il a multiplié le capital par cinq et émis un eurobond de 500 millions de dollars. En comparaison, le profil d’Hott, bien que solide, restait associé à l’endettement controversé du Sénégal sous Macky Sall, ce qui a pu refroidir certains électeurs. Par ailleurs, la crise au sein de la CEDEAO, avec le retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger, a affaibli la capacité du Sénégal à mobiliser une coalition régionale, tandis que la Mauritanie a su capitaliser sur ses liens avec des partenaires arabes et anglophones pour élargir son soutien.
L’héritage de Macky Sall : un boulet pour Hott ?
Ministre de l’Économie sous Macky Sall de 2019 à 2022, Amadou Hott, porte l’héritage d’un régime critiqué pour son endettement massif (99,67 % du PIB en 2023) et sa dépendance aux financements internationaux. Ces politiques, marquées par des controverses sur la gestion économique et des accusations de favoritisme envers des partenaires occidentaux, ont pu ternir l’image de Hott auprès des États membres de la BAD.
A Indépendamment de la perception de surreprésentation sénégalaise, certains pays ont pu douter de sa capacité à incarner un leadership panafricain impartial, voyant en lui le symbole d’une gouvernance économique contestée. Cette méfiance, combinée à la campagne efficace de la Mauritanie, a pu détourner des soutiens clés, notamment au sein de l’UEMOA, où des pays comme la Côte d’Ivoire ou le Bénin ont privilégié Sidi Ould Tah.
Les tensions avec la France : un facteur aggravant
Un troisième angle, particulièrement pertinent, concerne les relations tendues entre le Sénégal et la France depuis l’arrivée du nouveau régime. Sous Faye et Sonko, Dakar a adopté une posture critique envers l’influence française, notamment sur des questions comme le franc CFA et les accords de coopération militaire. Cette rhétorique souverainiste, bien que populaire auprès d’une partie de la population sénégalaise, a créé des frictions avec Paris, qui reste un acteur influent dans les capitales francophones de l’UEMOA, comme Abidjan, Cotonou ou Lomé.
L’absence de soutien des pays de l’UEMOA à Amadou Hott, pourtant issu d’un poids lourd régional, suggère que ces tensions ont pu jouer un rôle. La Côte d’Ivoire, par exemple, hôte de l’élection et proche partenaire de la France, a activement soutenu Sidi Ould Tah, de même que d’autres pays comme le Bénin ou le Congo. Ces nations, qui bénéficient de financements et de partenariats français, ont pu hésiter à appuyer un candidat sénégalais associé à un régime perçu comme défiant Paris. Comme l’a noté un commentateur sur X, « le Sénégal paie le prix de son bras de fer avec la France », une analyse qui reflète l’idée que la posture anti-française de Dakar a pu isoler le pays dans des cercles où l’influence de Paris reste forte.
Cette dynamique est d’autant plus significative que la Mauritanie, bien que moins dépendante du franc CFA et de l’UEMOA, entretient des relations pragmatiques avec la France. Sidi Ould Tah, avec son bilinguisme (français, anglais, arabe) et son expérience dans les cercles financiers internationaux, a pu apparaître comme un choix plus consensuel pour des pays soucieux de maintenir un équilibre diplomatique avec Paris.
Une leçon pour l’avenir
La défaite d’Amadou Hott à la BAD ne doit pas être réduite à un simple échec individuel. Elle révèle des défis structurels pour la diplomatie sénégalaise dans un contexte de transition politique et géopolitique. Le manque de mobilisation régionale, la perception de surreprésentation, et les tensions avec la France se sont conjugués pour affaiblir la candidature sénégalaise face à une Mauritanie stratégique et efficace. Cependant, il ne faut pas sous-estimer le mérite de Sidi Ould Tah, dont le bilan à la BADEA et la campagne bien orchestrée ont su convaincre une large majorité des votants.
Pour le Sénégal, cet épisode doit servir de signal d’alarme. La diplomatie sénégalaise, si elle veut conserver son rayonnement, devra mieux articuler ses ambitions souverainistes avec une stratégie proactive pour mobiliser ses partenaires régionaux. Cela implique de renforcer la coordination diplomatique, de diversifier les alliances au-delà de la CEDEAO, et de naviguer avec prudence dans les relations avec des partenaires historiques comme la France, tout en défendant ses intérêts nationaux.
En conclusion, la défaite d’Amadou Hott à la BAD n’est pas seulement celle d’un candidat, mais celle d’une diplomatie sénégalaise en quête d’un nouvel équilibre. Dans un continent où les rivalités géopolitiques et les aspirations à une représentation équitable façonnent les décisions, le Sénégal devra redoubler d’efforts pour réaffirmer son leadership. La leçon est claire : une vision ambitieuse ne suffit pas ; elle doit s’accompagner d’une stratégie pragmatique pour transformer les aspirations en influence concrète.
Sidy Djimby NDAO
