[Tribune] : le parrainage, le dérapage, le ratissage, le cafouillage et le réglage
En ce mois de septembre, le parrainage fleurit aux quatre coins du pays. Est-ce un signe de vitalité démocratique ou de ferveur civique ? La réponse s’impose d’elle-même : non. Car la floraison du parrainage – en dépit de son air printanier – empoisonne plus qu’elle n’embaume l’atmosphère. De Touba à Ziguinchor (via Koungheul) l’actualité du parrainage est ponctuée de frictions et de tensions. Même dans les rangs de l’APR qui est censée être la force politique la mieux prédisposée et préparée pour les opérations de parrainage, les grincements de dents ont accouché de sérieuses grognes. L’acte de non allégeance et la parole de révolte du député Moustapha Cissé Lo en font foi. Preuve qu’on fait douloureusement l’apprentissage du parrainage, après avoir promptement voté la loi qui le rend intégral. La charrue avant les bœufs ou la charrue aux antipodes des bœufs ?
En tout cas, le panorama du parrainage est hautement expressif. Grand désordre à Touba où le Maire-APR, Abdoulahad Ka, est sur la sellette, puis gros dérapage à Ziguinchor où une brumeuse et tumultueuse visite des forces de l’ordre dans la famille de l’opposant Ousmane Sonko, défraie la chronique. Une affaire d’autant plus déroutante qu’elle avait, au début, des airs de « Fables de la Fontaine » ou de « Contes de Birago Diop », avant d’afficher les caractéristiques réelles d’un lamentable scandale. Dans ce feuilleton PASTEF-Gendarmerie, l’opinion publique est doublement abasourdie.
Premièrement, les citoyens, c’est-à-dire les parrains, découvrent avec stupeur que le parrainage est vraiment à l’essai, avec des péripéties ni envisagées ni suggérées, encore moins recommandées par loi du 19 avril. L’expérimentation du parrainage – forcément hasardeuse et aventureuse – est ainsi validée comme une application achevée. Deuxièmement, l’irruption de la Gendarmerie désarçonne les observateurs, quand on sait que le processus du parrainage est normalement verrouillé dans le quadrilatère : Partis, Citoyens, Ministère de l’Intérieur et Conseil constitutionnel. Avec la compréhension importante que le Ministre Ali Ngouille Ndiaye intervient dans le déroulement du parrainage, en tant que chef de l’indispensable et neutre administration. Et non fort de ses prérogatives de patron des espions. Même si les deux casquettes sont difficiles à dissocier.
Du reste, l’implication supposée ou réelle de la Gendarmerie crée davantage la gêne que la colère chez les citoyens. Tellement le prestige de ce corps paraît inoxydable. Force hybride (située au carrefour de l’appareil militaire et de l’appareil judiciaire), l’ex-Maréchaussée est, par sa vocation, le rempart de l’Etat impersonnel et de la République pour tous. Sa devise qui exalte l’honneur et sublime la discipline, en dit long.
Dans les moments orageux de l’Histoire, c’est vers elle (la Gendarmerie) que les regards anxieux convergent. Lors du putsch du « quarteron de Généraux », en avril 1961, De Gaulle et son Ministre de la Défense, Pierre Messmer, avaient pris appui sur la Gendarmerie, pour contrer efficacement les officiers séditieux, l’OAS, les Légionnaires embarqués dans l’aventure et même le SDECE (services secrets) noyauté par les auteurs du coup d’Etat. Au Sénégal, dans la sombre « Affaire Tavarès De Souza » comme durant la radiation mouvementée des policiers, en 1987, la Gendarmerie s’illustra de façon admirablement républicaine et loyale vis-à-vis des institutions.
Certes, la Gendarmerie s’informe et se renseigne tous azimuts. Toutefois, elle n’a ni les méthodes ni les mœurs d’une Police politique. D’habitude. Ce qui s’est passé au domicile de la famille du remuant député Ousmane Sonko, découle-t-il d’un dysfonctionnement ou relève-t-il d’une dérive voire d’un excès de zèle isolé et inqualifiable ? Le futur immédiat nous édifiera.
Lorsque le libéral Mamadou Lamine Massaly avait calomnié les gendarmes, en évoquant des tortures imaginaires dans les locaux de la vaillante « Section de Recherches », le Haut-Commandement (indigné et choqué par les mensonges) avait porté plainte contre l’homme politique. Vivement donc que la Gendarmerie, à l’uniforme politiquement immaculé, se dégage rapidement de cet embrouillamini émaillé de cafouillage et de confusion !
Dans cette région de Ziguinchor, le parrainage et le dérapage font bon ménage avec le ratissage. Le Président Macky Sall (leader de l’APR) y a ratissé large au détriment du Maire Abdoulaye Baldé et non moins fondateur de l’UCS, parti d’opposition. L’APR ne débauche plus de façon artisanale. A l’occasion du parrainage en cours, elle industrialise la transhumance. On corrompt, enrôle et exhibe tout un bataillon de déserteurs. Des transhumants assimilables à des fuyards qui quittent le feu brûlant de l’Opposition (les manifestations sont réprimées et les tribunaux bourdonnent de plaidoiries et de réquisitions), pour aller vers le foin fortifiant du Pouvoir. A cet égard, les images du Palais – charriées par les reportages non stop de la RTS – sont, à la fois, saisissantes et glaçantes. Des dizaines d’ex-membres de l’UCS qui dansent, chantent et célèbrent l’abdication et non le triomphe de leur primo-engagement aux côtés d’Abdoulaye Baldé. Avec les impératifs du parrainage, l’heure est à la transhumance sans le paravent de la décence ou le manteau de la pudeur. Chez Macky Sall, le calcul est imbibé de froideur : tout ce qui peut rendre la haie du parrainage difficilement franchissable, s’expérimente, sans états d’âme, contre l’Opposition.
Venons-en maintenant au réglage dont le PDS détient le monopole ! Un réglage qui a d’ailleurs les couleurs d’un ratage autour des fameux Plans A et B. Entre la candidature de Karim Wade (une fiction jusqu’à nouvel ordre) et la candidature étouffée, refoulée ou différée de Madické Niang, le sigle de la formation libérale peut bien être tourné en dérision : Parti des Dissensions et des Secousses (PDS). Justement, au Parti Démocratique Sénégalais, le parrainage n’engendre pas des dérapages et ne favorise guère des ratissages. En revanche, le parrainage fait des ravages dans la « Maison Wade », en hâtant l’heure de vérité qui, elle, précipite les fractures. A Dakar, les libéraux oscillent entre les Plans A et B. A Doha, capitale du Qatar, le Sioux Abdoulaye Wade jongle avec trois Plans : A, B et Z. Le Plan Z signifie : « zéro élection » en 2019. Chez Abdoulaye Wade, il est difficile de tracer la frontière entre bluff et bombe.
Par Babacar Justin Ndiaye