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« Nos chers espions en Afrique » : espionnage à grande échelle de la France au Sénégal, les froides révélations d’un livre sorti en France

Ministère de la Défense France
Ministère de la Défense de France
C’est un brûlot qui vient de sortir en France, mais qui va faire des dégâts en Afrique. Les écrivains Antoine Glaser et Thomas Hofnung ont publié un livre intitulé «Nos chers espions en Afrique» qui revient sur les pratiques d’espionnage de la Direction générale de la sécurité extérieure  (Dgse). Le livre révèle que la France dispose au Sénégal de son plus grand centre d’écoutes à Rufisque, de la présence du géant Thalès impliqué dans le projet du Ter grâce à Macky Sall, suite à un tête à tête avec Emmanuel Macron, du financement des fondations des Premières dames par le biais du Pari mutuel urbain (Pmu)… «Les Echos» vous propose de certaines révélations qui concernent notre pays.

La Gendarmerie, la police sénégalaise, édifiés en «miroir» des institutions françaises  

«C’est un Français, Jean Collin, qui a ‘’monté’’ la Dgse locale, à l’image de sa cousine française». «Les institutions sénégalaises ont été édifiées en miroir des nôtres (Dgse, police, gendarmerie, etc.) . Ici, nous avons des interlocuteurs bien formés et fiables, qui font le boulot au lieu de surveiller les opposants. Dans cet État qui ignore les mutineries et les coups d’État, les forces de sécurité disposent de capacités pour cibler les activités terroristes et criminelles», indique une source diplomatique à Dakar. Un ancien du renseignement sénégalais confirme : «nous travaillons main dans la main avec les Français. Ils n’ont pas besoin de nous espionner». D’autant qu’ils disposent toujours des capacités techniques dont les services locaux ont un besoin crucial et se montrent prêts à les partager, jusqu’à un certain point. Fin 2017, lors du Forum pour la paix et la sécurité à Dakar, le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, a ainsi annoncé la création d’un centre régional de formation à la cybersécurité. Une façon de remercier l’allié sénégalais en consolidant son statut de «hub» sécuritaire dans la région. «Certes, les Français sont moins nombreux sur le terrain. Mais ils ont des conseillers bien placés au sein de nos forces armées, des unités de la police, de la gendarmerie et des douanes», note ce général sénégalais.  Et il ajoute : «ils ont des renseignements de première main… D’ailleurs, ils sont souvent informés avant nous sur ce qui se passe dans notre propre pays».

Le plus grand centre d’écoutes des français en Afrique de l’Ouest se trouve à… Rufisque

«Pour moderniser ses «grandes oreilles» au sol, la France se replie dans son fief imprenable du Sénégal. À la pointe ouest du continent africain, ce pays d’une importance géostratégique majeure est le plus français d’Afrique. C’est justement à Rufisque que l’armée française dispose de son plus grand centre d’écoutes dans la région. Ses antennes balayent une partie de la zone sahélo-saharienne. Elles servent également de relais secret aux sous-marins nucléaires français qui patrouillent dans les fonds de l’Atlantique.»

Quand Macky négocie des marchés avec Macron pour Thalès

«En 2017, la Dgse et les services du ministère de l’Intérieur ont commencé la formation de techniciens et d’analystes sénégalais dans la perspective de monter un nouveau grand centre d’interceptions. Au cœur de cette fête high-tech : l’araignée Thalès et ses nombreux secteurs de défense, de sécurité et de transport terrestre. Thalès est engagé au Sénégal autant dans la vente de deux radars de détection aérienne GM400 – ses modèles les plus récents et performants – que dans le méga projet de Train express régional qui reliera la capitale, Dakar, au nouvel aéroport international Diamniadio. Des affaires conclues en 2017, en tête à tête, entre les Présidents Macky Sall et Emmanuel Macron.»

Christophe Bigot se serait bien vu… 

Belle gueule d’acteur, Christophe Bigot se serait bien vu à la direction d’une Dgse qu’il connaît bien pour y avoir œuvré, de 2013 à 2016, comme directeur de la Stratégie (surnommée la DS en interne) – il y a été affecté juste après avoir été ambassadeur en Israël –, ou bien CNR (coordonnateur national du renseignement) à l’Élysée. Finalement, il restera à Dakar, un lieu où il peut satisfaire son goût pour les affaires délicates. Située sur les rives de l’Atlantique, juste en face de l’île de Gorée, haut lieu de mémoire de la traite négrière, la résidence de l’ambassadeur de France est l’une des plus belles, et des plus vastes, dont dispose l’ex-puissance coloniale sur le continent africain.

Mais Dakar n’est pas que prestige. C’est aussi un poste stratégique, légèrement en retrait du chaudron sahélien. Une place idéalement située pour surveiller ce qui s’y passe et pour y faire face. Siège de grandes organisations internationales actives dans la région, la capitale sénégalaise est un carrefour où se croisent diplomates, humanitaires, chercheurs et militaires. L’écrivain et académicien Jean-Christophe Rufin, ex-ambassadeur à Dakar sous Nicolas Sarkozy, en a fait son miel en rédigeant Katiba, roman à clef sur la menace djihadiste publié en 2011, juste avant la vague d’attaques qui a frappé l’Hexagone. L’endroit est sensible.

Révélation sur l’attaque avortée des terroristes visant un hôtel : Les Usa et la France s’étripent

En octobre 2017, les Américains ont déclenché l’alerte rouge sur un projet d’attentat imminent visant un hôtel de luxe du bord de mer dans la capitale sénégalaise, provoquant la fermeture immédiate d’un établissement cité nommément par les services de Washington. «Pas de panique !», répondit, en substance, le représentant de la France sur place, Christophe Bigot, pour la plus grande satisfaction des autorités locales, qui redoutent l’impact ravageur de ce genre d’affaire sur le secteur touristique. Les ressortissants français dûment répertoriés par les services consulaires ont ainsi reçu ce message sibyllin sur leur portable : «Sécurité : seuls les messages émanant de l’ambassade de France à Dakar sont à prendre en considération». Les collègues américains ont dû apprécier… Mais Paris estimait que leur renseignement, obtenu dans la Guinée-Conakry voisine, émanait d’une source peu fiable, non recoupée. En tout cas, d’attentat, il n’y eut point.

Terrorisme, la menace se rapproche

«Au-delà de ces bisbilles entre alliés, les services sont effectivement sur le qui-vive à Dakar, sans doute la dernière grande ville de la région à ne pas avoir été la cible d’une attaque terroriste. Contrairement à Bamako, Niamey, Ouagadougou et Abidjan (ou, plus précisément, Grand-Bassam). Mais la menace se rapproche. En juin 2017, deux terroristes soupçonnés d’appartenir à la mouvance de l’État islamique sont expulsés par les autorités turques, destination Dakar. À leur plus grande surprise, ils débarquent tranquillement à l’aéroport international de la capitale sénégalaise, sans personne pour venir les cueillir à leur descente d’avion. Il faut dire que les autorités d’Ankara avaient oublié un léger détail : prévenir leurs homologues sénégalais.»

«Les Présidents veulent juste savoir qui couche avec qui !»

Les Présidents africains sont fans de tous ces matériels d’écoute. «Mais ils les achètent rarement pour la sécurité du pays», confie un cadre africain, sollicité dans ces milieux pour sa connaissance du marché de la sécurité. «L’entreprise pour laquelle je devais vendre du matériel a demandé à l’entourage sécuritaire du Président de dresser une liste de quinze personnes à cibler, autrement dit à écouter. Seules cinq demandes concernaient des opposants. Les dix autres se sont avérées être des demandes pour des affaires de mœurs. Tout ce qu’ils voulaient savoir, c’est qui couche avec qui !», se lamente ce professionnel.

Le Pmu pour financer les fondations des Premières dames

Si Robert Feliciaggi était à l’origine incontournable au Congo-Brazzaville et dans les casinos de l’Afrique centrale pétrolière, Michel Tomi devint vite le roi des Pmu africains. Une «super idée», initiée par Robert mais surmultipliée par Michel, d’abord en Afrique centrale puis en Afrique de l’Ouest : faire miser les Africains sur des chevaux courant à Vincennes, Chantilly ou Longchamp. Les Corses obtiennent les autorisations exclusives des ministres de l’Intérieur des pays africains concernés. Au début, le Pmu français a fait la grimace.

Ses dirigeants ont fini par faire contre mauvaise fortune bon cœur. D’autant que la fortune a finalement été en partie partagée, par la création, au début des années 1990, d’un Grand Prix annuel de l’amitié France-Afrique. Les Corses des Pmu sont alors au faîte de leur pouvoir en Afrique. Ce Grand Prix les conforte un peu plus. Une fois par an, une course sur l’hippodrome de Vincennes est destinée aux parieurs africains des pays où est implanté le Pmu. Chaque manifestation a une marraine, la Première dame de l’un des pays. La veille de la course, un grand gala est organisé au Pavillon d’Armenonville, à la lisière du bois de Boulogne, avec une tombola dont les recettes sont réservées à la fondation de la Première dame de l’année. Toutes les épouses des chefs d’État du pré-carré africain de la France ont ainsi eu leur jour de gloire sur les champs de courses parisiens : Antoinette Sassou-Nguesso, Chantal Biya, Chantal Compaoré, Viviane Wade…

Samba THIAM-Les Echos

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