Marième Ndiaye seule journaliste dans le convoi du Pur attaqué à Tamba : « Je croyais à un moment qu’on allait tous mourir dans le bus»
Envoyée spéciale du Quotidien «Les Échos» auprès du candidat Issa Sall, Marième Ndiaye était la seule femme du groupe des journalistes. Dans cet entretien, elle nous plonge dans la réalité des faits. Comment les heurts ont démarré le matin, comment leur cortège a été bloqué dans la ville par des assaillants de Bby, avant de tomber dans un guet-apens… Elle raconte aussi comment, dans le sauve-qui-peut général, en l’absence de tout soutien de la sécurité du convoi, elle s’en est sortie, en passant par la fenêtre du bus, se blessant au passage au pied et aux mains, et comment elle et un autre confrère, laissés derrière, ont pu être «sauvés» par la voiture des confrères de la Rts. Elle raconte aussi sa solitude, quand elle a dû rentrer seule, en pleine nuit, de Goudiry à Kidira, puis de Kidira à Tambacounda, passant la nuit à la belle étoile, au niveau de la station Total. Hier encore, elle gardait les stigmates de cette journée traumatisante. Les images lui reviennent constamment et elle verse des larmes à chaque fois. Depuis lundi, elle rêve souvent de «choses horribles».
Les Echos : En tant que journaliste, accompagnant la caravane du PUR, vous avez été témoin des évènements de Tamba. Que s’est-il réellment passé ?
On est arrivé à Tamba, vers 3h du matin, parce qu’on a fait la zone Kédougou-Saraya. On a juste dormi quelques heures, avant de reprendre le chemin. A un moment donné, j’ai entendu des tiraillements. C’était au niveau de la maison d’en face, où il y avait des partisans de Bby. En général, on n’était pas avec toute la délégation. Dans la maison où nous avions logé, il y avait les journalistes, les gardes du corps et certains membres de la délégation du PUR. Comme je n’avais pas pris mon petit-déjeuner dans la maison, j’en ai profité pour préparer mes bagages, parce que j’avais le pressentiment que les choses pouvaient dégénérer. Ensuite, je suis partie acheter du pain à quelques mètres. Et là, j’ai vu des gens de Bby insulter, parce qu’on avait déchiré leurs affiches pour y mettre les initiales : PUR. Je n’étais pas présente au moment où les affiches ont été déchirées, mais il y avait bien des affiches déchirées et l’inscription PUR sur les murs.
Quand je suis retournée, j’ai amené mes bagages dans le bus. Et j’ai vu que certains gardes du corps, les autres étaient encore dans la maison en train de mettre leurs tenues, étaient en train d’en découdre avec les militants de Bby. Il y avait quelques journalistes qui étaient en train de prendre des images. J’ai alors demandé au chauffeur d’avancer un peu plus le bus, pour s’éloigner du théâtre des heurts. Et quelques instants après, des confrères sont revenus nous dire qu’il y avait un mort. Les gardes du corps, eux, ne sont pas revenus, ils ont pris leurs voitures et sont partis. Nous on ne pouvait pas partir, parce qu’on voulait avoir des informations sur ce qui s’est passé. Finalement, nous sommes allés rejoindre Issa Sall et sa délégation à l’hôtel (où logeait le leader de PUR). A notre arrivée, les éléments de la sécurité étaient de part et d’autre de l’hôtel. C’est par la suite que la délégation s’est mise en route en prenant la nationale, mais on a juste roulé quelques mètres et on nous a barré la route. On n’a pas pu passer, parce qu’il y avait des centaines de jeunes, de part et d’autre de notre délégation, qui jetaient des pierres. Chargés de la sécurité du convoi, les gardes du corps du PUR les chassaient et couraient après eux. Mais, à chaque fois, les jeunes passaient par d’autres rues et revenaient. C’était comme ça pendant au moins 30 minutes.
Comment a-t-on réagi dans le cortège quand on vous a barré la route ? Qu’est-ce que vous avez fait ?
Dans ces circonstances, je ne sais pas qui a pris la décision, mais on a contourné, pour prendre la nationale qui va vers Goudiry et Kidira. Mais dès qu’on est sorti de la ville, il y a eu un guet-apens. On peut le dire ainsi, parce qu’ils ont surgi devant nous, avec un pick-up blanc et des motos Djakarta. Je n’ai pas le nombre exact, mais il y avait beaucoup de motos Djakarta. Et ils nous attendaient. J’ai vu Issa Sall descendre de sa voiture. Nous on attendait les autres (voitures derrière). Ensuite la décision a été prise de foncer pour essayer de s’en sortir. Il y a eu des jets de pierres ; notre bus, les voitures qui étaient devant, ont tous été caillassés. Celui qui était à côté de moi, Mohamed, Cameraman de Seneweb, a été touché à la tête. Un autre confrère, Khalil Sène d’Igfm, a été touché au niveau de la mâchoire, et il a perdu beaucoup de sang. Quand on a avancé un peu, notre voiture a cogné une autre et on ne pouvait plus avancer.
A quel moment avez-vous décidé de quitter le bus et comment l’avez-vous quitté ?
Quand les voitures ont foncé, c’était la confusion totale. C’est ainsi que notre voiture a cogné une autre, et on ne pouvait plus avancer. On a décidé de sortir du bus, parce qu’il y avait déjà de la fumée. Mais, au moment de sortir, on s’est rendu compte que la porte était bloquée. Il a fallu que quelqu’un l’ouvre de l’extérieur pour permettre aux gens de sortir. Comme moi j’étais loin de la porte, que tout le monde voulait sortir en même temps, et qu’il fallait parer au plus pressé, j’ai décidé de passer par la fenêtre du bus, juste à ma hauteur. En c’est en sortant par la fenêtre, que je me suis blessée avec les éclats de verre, au niveau du pied et des mains. J’ai juste eu le réflexe de plonger ma main pour prendre le petit sac à main que j’avais. Tous mes autres bagages, dont mon ordinateur, sont restés dans le bus, parce que les bagages lourds étaient sur le porte-bagages. Et on ne pouvait pas se risquer à tenter d’aller les chercher, parce que les assaillants arrivaient à grands pas et pouvaient nous tuer tous s’ils nous trouvaient sur place. On s’est mis à courir. J’étais derrière. Devant moi, il y a avait Daouda Diouf (Rfm) qui a buté et a roulé à terre avant de se relever, juste au moment où la voiture des confrères de la Rts est arrivée à notre hauteur. Ils n’étaient pas dans le convoi, mais ils suivaient derrière nous. Leur voiture a été aussi caillassée. Ils nous ont pris avec eux, (elle et Daouda Diouf) jusqu’à Goudiry. Et c’est une fois là-bas que nous avons appris que nos bagages ont été volés et le bus brûlé.
Mais, avant d’arriver à Goudiry, on a rencontré une voiture de la gendarmerie. Ce sont ces gendarmes qui nous ont indiqué un poste de santé, où nous sommes allés. C’est là-bas que je me suis fait un pansement pour mes blessures au pied, après qu’on m’a enlevé les éclats de verre.
Ça n’a pas dû être facile pour vous. Surtout que c’était votre première expérience. Comment avez-vous vécu ces évènements, surtout en tant que seule femme journaliste dans le groupe ?
C’est vrai que j’étais la seule femme dans le bus, mais je pense que j’étais dans la même situation que tout le monde. J’avais peur. Chacun essayait de sauver sa peau. C’était vraiment le sauve-qui-peut. On a essayé de sortir du bus, comme on peut. Quand j’ai vu que la porte était bloquée, au moment de sortir, je me suis dit : ‘’on va tous mourir dans le bus’’. Heureusement que quelqu’un a ouvert la porte. Moi je suis sortie par la fenêtre. C’était difficile. Car, en temps normal, je ne serais jamais sortie par la fenêtre d’un bus. J’avais vraiment peur, c’est pourquoi j’ai pu faire cela. C’était un moment difficile. Surtout que les autres voitures nous dépassaient et poursuivaient leur route, sauf la voiture des confrères de la Rts.
Pendant ce temps, où était Issa Sall ?
C’est quand nous sommes arrivés à Goudiry qu’on a trouvé là-bas les autres voitures, dont celle d’Issa Sall et l’autre voiture des journalistes. Et c’est sur place qu’ils nous ont informés qu’eux aussi ont été attaqués dans un village et qu’ils n’ont dû leur salut qu’à l’intervention de la Gendarmerie. A Goudiry, on est allé d’abord à la Gendarmerie, puis à une station-service. J’avais perdu tous mes bagages et mon argent. J’étais déboussolée, perdue, je ne savais plus quoi faire. Même mes chaussures, je les avais perdues. C’est Yves de la Rts qui m’a donné ses chaussures. On était laissé à nous-mêmes. C’est par la suite que le chargé des relations avec la presse, Tapha Sarr, est venu dire qu’ils vont donner le transport à chacun, pour qu’on puisse rentrer sur Dakar. Il m’a remis 50.000 F Cfa, je pense. Oui…
Comment avez-vous fait pour rentrer à Dakar dans ces conditions ?
Je me suis dit que je ne pouvais pas prendre le risque de retourner directement à Tamba, de peur d’être reconnue par les assaillants. Parce qu’ils étaient quasiment en face de nous et pouvaient facilement me reconnaître. De Goudiry, Je suis allée jusqu’à Kidira. De làbas, j’ai pris une voiture pour rejoindre Tamba, où je suis arrivée à 1 heure du matin. Je me suis sentie seule. Et j’étais seule en réalité. J’ai parcouru Goudiry-Kidira et Kidira-Tamba, seule, en pleine nuit. Je suis arrivée à Tamba à 1h du matin. Et j’ai passé la nuit à la belle étoile. J’ai attendu jusqu’à 5h du matin, au niveau de la station Total, avant de rejoindre le garage. Et c’est finalement à 8h 25 que j’ai pu quitter Tamba pour Dakar.
Ça a dû être terrible pour vous…
J’ai vécu une situation difficile. Je n’avais jamais vécu une situation pareille. J’ai eu heureusement le soutien de mon Directeur. Il m’appelait à tout moment. Ma mère aussi m’appelait tout le temps. Mes amies sur WhatsApp et Facebook, tout le monde m’envoyait des messages. La seule chose que je regrette, c’est qu’on n’ait pas eu de soutien au moment le plus difficile. C’est-à-dire quand on a perdu notre voiture. On n’a vu personne. C’était le sauve-qui-peut. Moi je n’ai pas senti la sécurité du PUR en ce moment. Déjà, dans notre bus, il n’y avait aucun membre de la sécurité. Par contre, il y avait quelqu’un dans l’autre voiture de journalistes. Après, également, à part Tapha Sarr, je n’ai vu personne. J’avais perdu tous mes bagages, tout mon argent. Je ne savais pas quoi faire…J’ai vécu un moment très difficile.
Psychologiquement ce n’est pas facile. Comment vivez-vous au quotidien cette situation, depuis lundi ?
C’est vrai! Mais quand je suis arrivée, j’ai eu le soutien de ma famille. Ma mère, mes frères et sœurs, tout le monde était là. Dès que j’ai franchi la porte, ma mère s’est écriée : ‘’Alhamdoulilah’’, parce que j’étais saine et sauve, mais j’avais mal au pied. Je ne pouvais même plus marcher correctement. Elle m’a emmenée dans sa chambre. Quand je suis entrée, et que j’ai touché mon sac (sac à main qu’elle a pu sauver), c’est comme si ça me brûlait. Les moments que j’ai vécus me revenaient…(elle s’arrête et laisse couler des larmes). J’ai crié, j’ai pleuré, j’ai jeté tout ce que j’avais dans les mains.
Les images me reviennent tout le temps. La nuit je n’arrive pas à dormir. Et même ce matin (hier matin), je me suis endormie un peu, mais j’ai rêvé de choses horribles. C’est difficile pour moi d’oublier. C’est difficile…
Quand je revenais sur Dakar, un cameraman de la SenTv m’avait appelée pour me dire qu’il y avait des psychologues qui avaient offert leurs services et qu’un rendez-vous était fixé à 17h (le mardi, lendemain du drame). En ce moment, il était 15h et j’étais à hauteur de Kaolack. Je lui ai dit que je ne pourrais pas arriver à temps et ne pourrais donc pas être à ce rendez-vous. Il m’avait dit que le Synpics allait m’appeler, mais entre-temps, Bamba Kassé (SG Synpics) avait voyagé. Personnellement je n’ai pas eu de suivi psychologique.
Je pense aussi à la garde rapprochée du candidat Issa Sall arrêtée à Tambacounda pour les besoins de l’enquête. A chaque fois que je ferme les yeux, les images me reviennent, parce qu’ils étaient très sympathiques avec nous. Ils m’ont bien accueillie, parce que j’étais le seul journaliste femme du groupe. Et parmi eux, il y a deux personnes que je connaissais déjà, car ils habitent le même quartier que moi, ici à Castors. Je sais que ce sont des gens bien. Ils sont restés là-bas, je ne sais pas s’ils sont innocents ou pas, mais je sais que ce sont des gens bien, qui ne veulent du mal à personne.
Avant l’étape de Tamba, Est-ce qu’il y a eu des moments, pendant la campagne, où vous avez senti que quelque chose de mal pouvait se passer ?
Oui, quand on a été à Kolda, on a eu quelques difficultés pour passer, parce que, disait-on, la délégation du président Macky Sall, ou lui-même allait passer. Il y a eu des altercations. Les gens en sont venus aux mains quand Issa Sall a voulu forcer pour passer. Et je me suis dit que ça ne va pas s’arrêter là. Ça nous a suivi jusqu’à Tamba. Et je n’ai pas trop compris ; pour une histoire d’affiches, on en arrive à se bagarrer et à poignarder quelqu’un…Je n’avais rien compris, parce que je n’avais jamais vécu ces situations-là. Quand j’ai appris qu’il y a eu un mort, je n’y croyais même pas. C’est quand les confrères sont revenus qu’ils m’ont confirmé qu’il y avait bien mort d’homme.
Entretien réalisé par Mbaye THIANDOUM
«On n’a pas eu de soutien au moment le plus difficile. C’est-à-dire, quand on a perdu notre voiture. On a vu personne. C’était le sauve-qui-peut. Moi je n’ai pas senti la sécurité du PUR en ce moment»
«Dès qu’on est sorti de la ville, il y a eu un guet-apens. On peut le dire ainsi, parce qu’ils ont surgi devant nous, avec un pick-up blanc et des motos Djakarta. Il y avait beaucoup de motos Djakarta. Et ils nous attendaient».
Quand je suis entrée, et que j’ai touché mon sac, c’est comme si ça me brûlait. Les moments que j’ai vécus me revenaient. J’ai crié, j’ai pleuré, j’ai jeté tous ce que j’avais dans les mains»
«La nuit, je n’arrive pas à dormir. Et même ce matin, je me suis endormie un peu, mais j’ai rêvé de choses horribles. C’est difficile pour moi d’oublier»