[Tribune] : déconstruire les Préjugés autour du Cheikh El Hadji Abdoulaye Niass
100e anniversaire retour à Allah du Cheikh El Hadji Abdoulaye Niass (ra)
18 Shawal 1340 / 18 Shawal 1440
Lorsque l’on parle des personnalités de l’Islam aux Sénégal d’aucuns oublient de le mentionner, soit par méconnaissance ou par mégarde. Notre personnage emblématique et mystérieux s’est dissimulé dans l’immensité de la station de la Dissimulation (Katmiya) de telle sorte qu’il est resté inconnu des grandes masses ce qui a généré autant de nuages noirs autour de sa personne. Cet héros national dont la présence auspicieuse en notre sein continue de constituer une Baraka inextinctible pour notre pays qu’il serait commode de transmettre aux générations futures. Il incombe alors de mettre fin à toute clameur afin de réhabiliter El Hadji Abdoulaye Niass à sa véritable place comme figure centrale dans l’écosystème de l’Islam et de la Tariqa Tidjani.
Un Combattant contre les Déviances Païennes et l’Assimilation Coloniale
« Tu as déjà vaincu des armées, humiliées
Par un coup d’épée absolument tranchant,
Qui dispersa une foule diversifiée,
Une épée qui apporta des preuves tangibles. »
Mame Khalifa Niass
Le Jihâd Omarien contre les déviances séculaires a vu son continuateur en Tafsir Maba Diakhou Bâpour qui le très jeune El Hadji Abdoulaye Niass qui avait 17 ans à l’époque où il le rejoignit, fut un relai important. Il participa avec lui aux campagnes pour parer aux raids des esclavagistes et pour protéger les musulmans contre l’oppression des Ceddo. À une époque où la Sénégambie était partagée entre le règne des animistes, l’émergence d’une nouvelle classe maraboutique et le regain de forces des colonisateurs visant à asservir les populations. El Hadji Abdoulaye a très tôt compris l’importance de prendre les armes pour libérer ses semblables en parfaite conformité avec les enseignements du Prophète (saws). Le terme Jihâd, qui après maintes déformations et mal interprétations terminologiques, voudrait plus dire “effort” que “combat à mort”. Il a fait montre d’un génie militaire précoce et étonnant lors de la bataille contre le Chef de guerre français Pinet-Laprade dans la vallée de Pathé Badiane. Une patrouille qu’El Hadji Abdoulaye Niass dirigeait a eu à affronter le lieutenant Le Clairet. Au cours du combat en habile tacticien, il conseilla de couper les arbres aux alentours à hauteur d’hommes, dès lors les soldats de Maba tirèrent leurs turbans pour envelopper la tête des arbres afin que, de loin, par illusion d’optique, les Français croient que ce sont eux. Lorsque les canons de l’ennemi ont été tirés et déchargés, El Hadji Abdoulaye et ses troupes les ont pris par surprise en leur infligeant de lourdes pertes et Pinet-Laprade fut blessé à l’épaule. L’armée française composée de plus 7500 éléments a été défaite par El Hadji Abdoulaye Niass et les guerriers de Maba. Son courage et ces hauts faits d’armes sont décrit par l’érudit Serigne Mbacké Bousso qui dit: « Nul lion au milieu d’un bosquet ne serait comparable à El Hadji Abdoulaye Niass de par son courage et sa bravoure pendant les jours de batailles ».
Son passé de Jihadiste lui voudra plus tard l’inimitié des français à son égard, raison principale pour laquelle il s’exila volontairement en territoire anglaise lorsque sa ville fut brûlée après un complot contre sa personne.
Le traitement de l’administration coloniale à son encontre semble être le fruit de son activisme éloigné du mode de vie qu’ils auraient voulu imposer aux “Serigne” que des réels problèmes qu’il leur aurait causés. Combattant acharné et patriote de première heure, pionnier de la lutte et de la résistance contre la colonisation, le Sénégal hérité des colons a failli à le reconnaître comme tel.
L’Action Educatrice d’El Hadji Abdoulaye au Sénégal.
« Ô toi qui demeure dans la quête du savoir et d’éducation spirituelle ou de n’importe lequel des deux,
Dirige-toi vers ce brave homme, ainsi tu obtiendras ton souhait,
De par sa haute aspiration spirituelle, il rendit faciles les tâches les plus ardues,
Mais également, il isola toute zone d’ombre,
Son don est une richesse au service de tout nécessiteux,
Et de tous ceux qui sont en carence et qui parlent à l’improviste ».
Tafsir Moustapha Thiam
Assurément un des érudits de l’Islam les plus lettrés d’Afrique de l’Ouest, sa bibliothèque chose d’ailleurs rare à l’époque était la plus garnie du pays. Fort de ses pérégrinations dans les pays arabes après son pèlerinage à la Mecque en 1890, il en a profité pour visiter la prestigieuse université d’Al Azhar en Egypte. Au cours de cette visite,il fut soumis à une série de joutes oratoires autour de l’islam, exercice à laquelle il réussit avec brio et un diplôme attestant de son érudition lui fut délivrée. El Hadji Abdoulaye Niass devint ainsi le « premier noir diplômé d’une Université du monde arabe ». Il profita de ce séjour pour acheter d’innombrables ouvrages qu’il rapportera au Sénégal et qui contribueront à renforcer la formation de milliers de personnalités. Ainsi du Fouta au Djolof, du Sine Saloum et dans toute la Gambie, ceux qui ont étudié à sa porte se comptent par milliers. D’ailleurs un rapport du commandant de Nioro le décrivait comme le marabout ayant le plus de disciples dans le Rip et dans le Saloum, de même, Paul Marty dans son livre l’Islam au Sénégal (1915) donne une idée assez précise de la distribution des disciples d’El Hadj Abdoulaye Niass dans la Sénégambie, il fait valoir que de tous les groupements religieux dérivés d’El Hadj Omar, sa branche, était la plus importante. À la fin du Jihâd qui était devenu contreproductif par rapport à son ambition d’éduquer les masses à l’Islam, il entreprit à partir 1879 autour de la Sénégambie, de faire l’exégèse du Coran communément appelé “Tafsir Al Quran” , ainsi durant 43 années il battit un record encore inégalé dans le domaine de se prêter 114 fois à cet exercice pas à la portée de tous dans le domaine des sciences islamiques. Aussi à l’aide du “Gamou” un concept qu’il a initié et des séances de Tafsir, il a propagé l’Islam aux quatre coins de la Sénégambie. Autour de Taiba Niassene sa ville, s’était formé un véritable hub de sciences islamiques qui a participé au développement d’écoles comme celui de Ndiaye-Ndiaye Wolof qui à lui seul a revêtu une importance capitale au Sénégal de par son aspect historique et son caractère socio-éducatif et religieux. Shaykh Ibrahim Niass son fils rapporte dans un interview avec le magazine Jawharoul Islam: “ Son centre éducatif était un carrefour pour les érudits et les sommités de la littérature, de l’art poétique et de l’appel islamique, qu’ils furent marocains, maures ou sénégalais.” En effet sa demeure ne désemplissait pas de chercheurs de toute sorte car tous trouvaient à sa porte l’objet de leur quête. Jadis, la quête des sciences islamiques menait bon nombres de nos compatriotes aux pays du Maghreb, l’effluve qui a jaillit entre ses mains a créé le chemin inverse; ainsi des sommités musulmanes maures ou d’autres pays d’Afrique se sont ruée à sa porte dû au faite qu’ « Il est aussi doté d’une érudition sans précédente dans le domaine de la Ḥaqîqa. Je veux nommer le Shaykh de l’Islam, cette lumière qui dissipa les ténèbres, l’illustre Imâm, le grand maître El hadji ‘Abdallah Niass » tel que l’a cité l’éminent Tijânî Ibn Bâba dans le poème qu’il lui a adressé.
Le but de son action éducatrice était de former un musulman qui ne serait pas sujette à l’assimilation française qui était le modus operandi de la propagation de la colonisation à travers l’acculturation. Il abhorrait tout ce qui émanait des français et n’était aucunement disposé à participer d’une manière ou d’une autre à étendre leur domination au Sénégal. Ainsi il prohibait l’école française à ses enfants et n’a jamais participé à l’effort de guerre pour la France en envoyant des disciples comme ce fut le cas pour certains chef religieux. El Hadji Abdoulaye Niass a légué à la postérité beaucoup d’ouvrages dont certains ont été perdus mais son legs le plus important demeure les hommes et les femmes qu’il a formés ou qui ont été formés à sa suite et qui aujourd’hui représentent sa plus brillante contribution à la consolidation de l’Islam au Sénégal et dans le monde. Le Sénégal héritée des colons ne l’a pas encore reconnu comme tel.
Khalife et Grand Commandeur de la Tariqa Tidjani en Afrique de l’Ouest.
« Je suis venu juste après le lieu saint, vous rendre une visite pieuse,
Ainsi, j’ai sillonné des pays qui n’ont connu aucun massacre,
Sois donc pour moi un guide vers le bonheur et l’obtention du souhait,
Tu es l’unique parmi les fils de cette époque,
Tu as traversé les marées de connaissances à l’adolescence comme à la vieillesse,
Ta mention dans le domaine du savoir est tout à fait honorable ».
Shaykh Maḥaḍnu Bâba Ibn Maḥmûd Ibn Shaykh Maḥaḍnu Bâba
Sans doute la plus sujette à polémique et dont il serait intéressant d’éclairer l’opinion une bonne fois pour toute. Le Spirituel à la Sénégalaise voulant coûte que coûte centraliser les voies qui mènent à Allah alors qu’elles sont vastes et diverses et passent par plusieurs chemins outre une même personne ou une même famille religieuse.
El Hadji Abdoulaye Niass a embrassé la Tariqa Tidjani auprès de son oncle Serigne Ibrahima Thiam surnommé Serigne Kellélle en 1873 et a rapidement gravi les échelons dans la voie du fait de son amour pour le fondateur mais aussi grâce à sa large érudition. Sa rencontre avec Thierno Mamadou Diallo à Wack Ngouna marque l’obtention de sa première Ijaza dans la Tariqa, il est ainsi élevé au rang de Muqaddam dans la voie à travers une chaine de connection Hafizite et Omarienne. Du fait de son influence sans cesse grandissante et le nombre de disciples sans cesse augmentant, il décida de voyager vers Fès en 1910. C’est à la Zawiya de Cheikh Ahmad Tidjani qu’il verra la réalisation de l’ensemble de ses voeux. De là il recevra 6 Ijaza des 6 plus grandes personnalités de la Tariqa à cette époque à savoir : Cheikh Muhammad Al-Bachîr Tidjani, Cheikh Ahmad Al Abdallawy, Cheikh Sidi Taib As Sefiani, Cheikh Muhammad Al-‘Araby Al-Mouhib Sajelmassy, Cheikh Abdu’Karîm Bâniss et Cheikh Ahmad Skiredj ainsi qu’un Septième dans des circonstances où il faudrait un ouvrage entier rien que pour l’expliciter. Une liste complète de tous ces Ijaza figure dans le livre le Salasiloul Nuzar de l’éminent savant mauritanien Muḥammad Maḥmud al-Ḥanafî. Il devint ainsi un des premiers dignitaires Tidjani du Sénégal à recevoir le titre de Khalife de la Tidjaniya pour l’Afrique de l’Ouest.
El Hadji Abdoulaye Niass rentra au Sénégal la même année et séjourna à Dakar où il s’est livré à des séances de questions réponses autour de l’Islam avec les dignitaires musulman lébou, puis il visitera à Thiès El Hadji Ahmad Barro Ndieguene pour qui il tracera les contours de la zawiya à l’aide d’un rouleau de corde qu’il rapporta de Fès. El Hadji Abdoulaye Niass séjournera ensuite à Thiamène Kajoor chez son disciple Modou Thiam Fougeras c’est dans ce village que le Cheikh El Hadji Malick Sy viendra lui rendra visite dans le but de récupérer le dépôt qu’il lui a ramené de Fès, il s’agissait en faite de secret de la Tariqa faite de codes non retranscriptibles et dont la passation se fait de bouche à oreille. C’est après celà que le Cheikh El Hadji Malick Sy dans sa courtoisie légendaire l’invitera à séjourner à Tivaouane chez lui. Ce qu’El Hadji Abdoulaye Niass fera entre Janvier et Mars 1911.
Les relations entre les nobles Cheikh El Hadji Malick Sy et El Hadji Abdoulaye Niass ont débuté au Djolof. Leurs parents respectifs Sayyid Ousmane Sy et Sayyid Mouhamad Niass font partie avec Mame Mor Anta Saly Mbacké, Serigne Lamine Sakho et Imâm Serigne Samba Toucouleur des personnalités qui ont rejoint Maba Diakhou Bâ dans le Saloum lors de son appel au Jihad. Ils ont combattu côte à côte pour parer à l’animisme et la colonisation tout en instituant l’Islam et ses hautes valeurs morales. El Hadji Abdoulaye Niass a participé à ce Jihad aux côtés de Seyyid Ousmane Sy dont il a été témoin du martyr à la bataille de Somb. Serigne Cheikh Tidjani Sy al Maktoum mentionne ces faits dans son livre «L’inconnu de la Nation sénégalaise » sur l’hagiographie Shaykh Sayyid El Hadji Malick Sy (ra), à la page 10 en ces mots : « Je me suis appuyé sur des paroles envoyées par l’éminent érudit El Hadji ‘Abdallah Niass à l’Imam El Hadji Malick Sy afin de lui fournir les informations relatives aux circonstances du décès de son père Sayyid ‘Usmân Sy Ibn Mu‘âdh…»
Au cours de son séjour, El Hadji Abdoulaye sera fait l’Imam de la mosquée et celui qui dispensait l’enseignement, un honneur qui était d’usage à l’époque entre confrères. Le but de ce séjour à Tivaouane loin d’être à des fins d’affiliation, d’éducation spirituelle ou de compléter un quelconque manquement de ce qu’il a reçu de Fès comme l’affirment les langues fourchues et les dénégateurs qui ont attenté maintes falsifications à cette histoire; il s’agissait en vérité dans la démarche d’El Hadji Malick Sy d’obtenir auprès des autorités coloniales qu’El Hadji Abdoulaye Niass s’établisse pour de bon au Sénégal car disait-il “cet Homme est une baraka immense pour ce pays”. Ce qu’il fera en employant un avocat mulâtre Me Carpot qui fera un médiation à succès auprès du gouverneur William Merlaud-Ponty. Le commandant Brocard installa par la suite El Hadji Abdoulaye Niass à Kaolack il appellera son nouveau village Lewna qui veut dire licite, chose à la laquelle il était tellement attaché qu’il finit par racheter le terrain à hauteur de 2000 fr de l’époque afin qu’il soit des plus licite pour lui et sa famille afin surtout qu’ils puissent rester indépendant vis à vis du colonisateur et ne jamais à avoir à leur formuler de quelconques requêtes.
Aujourd’hui 100 années depuis son retour à Allah (swt), il nous incombe de revisiter son histoire afin de nous inspirer et d’inspirer les générations futures confrontés à des défis contemporains tel la perte de leur identité, le néocolonialisme dans un monde ou le matérialisme a fini de triompher. En une vie de 72 ans il a véhiculé des valeurs de quête incessante du savoir, de travail méthodique, d’engagement communautaire, d’activisme militant, et surtout d’éducation et d’éveil des masses.
Le Sénégal hérité des colons s’est évertué à nous diviser au nom de clivages inter-confrériques étrangers à l’esprit de l’Islam. Notre belle religion n’est pas pour la balkanisation créant des murs de Berlin de part et d’autres d’entres les Turuq. L’essentiel pour la nouvelle génération d’hommes et de femmes de notre pays est de connaître l’histoire de nos érudits et grandes figures afin de bâtir ou de consolider notre identité nationale et par la même occasion déconstruire les préjugés autour de personnalités tel la fierté de l’Islam, El Hadji Abdoulaye Niass envers qui nous avons à jamais un devoir de mémoire et de reconnaissance.
Al Faqir Filah, Khadimu Khalifa
El Hadji Idrissa Dioum
Nayloul Maram