Nouvel eldorado des Cartels de drogue : comment l’Afrique de l’Ouest est devenue une cible pour les narcotrafiquants
Considérée depuis une dizaine d’années comme une zone de transit de la cocaïne, l’Afrique de l’Ouest produit aujourd’hui aussi des méthamphétamines au point d’être considérée comme le Nouvel eldorado des Cartels de drogue. Mais comment l’Afrique occidentale est devenue-t-elle devenue une cible pour les narcotrafiquants, tentative de réponse de Le Monde.
La police malienne a récemment fêté un record. Jeudi 19 mai, 2,7 tonnes de cannabis ont été découvertes près de Bamako par son unité antidrogue. « Nous avons procédé à la plus importante saisie de cannabis des vingt dernières années, s’est félicité Sadio Mady Kanouté, de l’Office central des stupéfiants. La drogue, saisie dans un camion, venait du Ghana, après avoir transité par le Burkina… Bamako n’était pas la seule destination du produit. » Deux Maliens ont été arrêtés et d’autres interpellations ont eu lieu au Ghana, confirmant ainsi l’internationalisation du réseau.
Considérée depuis une dizaine d’années comme une zone de transit, l’Afrique de l’Ouest est désormais aussi un marché. On y consomme et y produit quantité de stupéfiants. Le Monde a demandé à Michel Gandilhon, chargé d’études à l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), et à Pierre Lapaque, représentant du bureau régional de l’Office des Nations unies conte la drogue et le crime (ONUDC), de décrypter ces nouvelles tendances.
Plaque tournante du trafic de cocaïne
Selon les dernières estimations de l’ONUDC, datant de mars 2015, au moins 18 tonnes de cocaïne transitent chaque année par l’Afrique de l’Ouest. La poudre blanche, débarquée dans les pays côtiers, remonte ensuite vers l’Europe : 50 % à 60 % seraient réexpédiés en quelques semaines. Par la route, la drogue emprunte les immensités désertiques, via le Maroc, l’Algérie ou le chaos libyen. Par la voie des airs, c’est par des « mules » (passeurs) qu’elle arrive en Europe. « Un douanier européen spécialisé dans la recherche de stupéfiants est censé accorder moins d’attention à un avion provenant de Dakar, d’Abidjan ou d’Abuja, qu’à un autre venant de Cali ou de Bogota », explique Pierre Lapaque.
Les rivages européens étant très surveillés, les cartels de la cocaïne sud-américains ont multiplié ces dernières années les zones de transit le long des côtes ouest-africaines : 2 tonnes de cocaïne ont ainsi été découvertes en Mauritanie en février, 280 kg sur un voilier au large du Cap-Vert en avril. « L’Afrique de l’Ouest est devenue une zone majeure de transit des stupéfiants, explique Pierre Lapaque. La cocaïne y est stockée, car c’est moins risqué qu’en Europe. Les organisations criminelles travaillent en flux tendu : il y a peu de stock et les livraisons se font en continu pour conserver le prix du marché qui se situe aux alentours de 80-90 euros la dose en Europe. Au-dessus, les trafiquants tueraient le marché et, en dessous, ils ne pourraient plus faire face à la demande. L’économie du crime est de l’économie pure. »
L’envoi de faibles quantités, pour limiter les pertes en cas de saisie, et la multiplication des points d’envoi, afin de brouiller les pistes, sont désormais privilégiés.
Une consommation en hausse
« On estimait en 2004 que sur cent consommateurs de cocaïne dans le monde, sept étaient africains. Aujourd’hui, ils sont quinze », explique Michel Gandilhon. Une partie de la cocaïne qui arrive sur les côtes africaines sert donc désormais à alimenter le marché local, qui ne cesse de croître depuis deux ou trois ans. Comme n’importe quels entrepreneurs, les narcotrafiquants, à partir des années 2000, se sont mis en quête de nouveaux marchés, de nouveaux territoires. « Les marchés dans les pays développés sont quasiment saturés, assure Pierre Lapaque. Les narcotrafiquants cherchent des marchés émergents. En vendant moins cher de la drogue en Afrique, ils génèrent un marché qui va leur permettre d’assurer de nouveaux profits. » Plusieurs causes peuvent également expliquer cette hausse de la consommation.
« Le produit est plus disponible, donc plus accessible, analyse Michel Gandilhon. La croissance du PIB de 5 % à 6 % dans certains pays depuis quelques années, qui a favorisé le développement d’une classe moyenne, explique cette hausse de la consommation, notamment de cocaïne qui, en devenant un objet marqueur de modernité, induit une sorte de fascination. »
Une production locale de méthamphétamines
L’Afrique n’est pas qu’une terre de transit, puisqu’on sait qu’elle produit aussi des méthamphétamines, une drogue de synthèse au fort potentiel addictif, qui est consommée pour ses effets d’hyperstimulation. Un premier laboratoire a été découvert en Guinée Conakry en 2009. Depuis, une douzaine d’autres ont été trouvés dans le sud du Nigeria, « un très gros producteur du marché européen, mais aussi du marché continental », assure Michel Gandilhon.
Le pays le plus peuplé d’Afrique serait aujourd’hui dans le collimateur de toutes les polices. « Ses gangs sont très craints et ont des ramifications en Amérique du Sud, d’où ils importent la cocaïne », détaille Michel Gandilhon. « Les organisations criminelles nigérianes ont réussi à reprendre la main sur le trafic de cocaïne et à laisser la portion congrue aux équipes latinos composées de Colombiens ou de Boliviens, ajoute Pierre Lapaque. Ils sont structurés et très efficaces. Des accords ont même été passés entre Pakistanais, Afghans et Nigérians pour que la sous-région devienne un point d’arrivée de l’héroïne à destination de l’Europe. »
Corruption dans les ports
On estime que 90 % du commerce mondial est maritime. La récente modernisation des ports africains et leur adaptation aux porte-conteneurs pourraient avoir facilité les trafics. « La drogue arrive via les porte-conteneurs dans ces grands terminaux portuaires qu’il est difficile de contrôler », assure Michel Gandilhon.
« Tant qu’un douanier sera payé 100 euros ou 150 euros par mois et que des gens viendront lui en proposer 1 000 pour fermer les yeux sur un coin du port où s’organise un trafic, il sera compliqué de lutter contre les narcos, déplore Pierre Lapaque. La drogue génère des revenus colossaux et offre des pouvoirs de corruption qui permettent d’acheter un douanier, un juge, voire un ministre. Les trafiquants reproduisent sur le continent africain des schémas de corruption qui ont déjà fait leurs preuves ailleurs, et notamment en Europe, comme en Italie. »
Le cas « problématique » de la Guinée-Bissau
La Guinée-Bissau, avec sa centaine d’îles désertes dans l’archipel des Bijagos et son instabilité chronique sur le plan politique, a été dans les années 2000 une importante plaque tournante du trafic de cocaïne. Elle le serait toujours, selon un rapport d’International Narcotics Control publié en mars 2015, dans lequel on peut lire que le système politique reste « sous l’influence des trafiquants de drogues ».
« La Guinée-Bissau est problématique, reconnaît Pierre Lapaque. Son instabilité a fait proliférer les groupes criminels. L’arrestation de Bubo Na Tchuto [chef d’état-major de la marine arrêté en mer en 2013 par des agents américains de la Drug Enforcement Administration] a porté un coup au trafic, mais il est aujourd’hui plus obscur, plus caché. La période d’instabilité que traverse le pays depuis l’été dernier est du pain bénit pour les trafiquants. »
Un centre de lutte contre les addictions
A la fin de 2014, le Centre de prise en charge intégrée des addictions de Dakar (Cepiad) a ouvert dans la capitale sénégalaise. Il est le premier en Afrique de l’Ouest à proposer de la méthadone, un produit de substitution à l’héroïne.
Une enquête menée en 2011 dans la région de Dakar avait recensé plus de 1 300 usagers de drogues injectables, comme la cocaïne, le crack ou l’héroïne. « D’autres centres pourraient se développer dans la sous-région, car on voit de plus en plus de personnes victimes d’addictions, avance Pierre Lapaque. Ces pays, dans lesquels les structures de prise en charge sont très faibles, voire inexistantes, ne sont pas prêts à affronter ce fléau. Certains jeunes, qui n’ont pas les moyens de se payer de la cocaïne, sont parfois atteints de polytoxicomanie à l’alcool, au cannabis, aux médicaments détournés et aux produits inhalants. »
Pierre Lepidi