[Tribune] Président-politicien, quand vous déciderez-vous à nous prendre au sérieux ?
Oui, président-politicien, cette question, nous ne pouvons pas nous abstenir de vous la poser. Ne pensez-vous pas, quand même, que le temps est venu d’arrêter de nous prendre pour des demeurés ? Depuis votre prestation de serment, le 2 avril 2019, vous vous adressez à nous comme un président qui entame son premier mandat. Les engagements que vous prenez – oui, vous avez encore le courage d’en prendre – nous laissent la forte impression que, dans votre esprit, les sept longues années de votre premier mandat se sont comme par miracle volatilisées.
Monsieur le Président, le politicien pur et dur que vous êtes a présidé, le lundi 5 août 2019 à Diamniadio, le lancement du ‘’Programme d’Appui à la Modernisation de l’Administration (PAMA). Encore un. Un des nombreux journalistes qui couvraient le non-événement, celui du quotidien ‘’L’AS’’ en l’occurrence, le résume ainsi : « DISPARITÉS SALARIALES, COÛTS EXORBITANTS DU TÉLÉPHONE ET DES VÉHICULES : Macky expose les tares de son administration. » Á la place du journaliste, j’aurais ajouté : « Sept longues années après. » Notre président-politicien commence par ‘’s’indigner’’ du caractère dispendieux de notre administration, qui ne ménage pas nos maigres ressources publiques. Ainsi, il révèle, sans état d’âme vraiment : « De 2012 à maintenant, nous avons dépensé plus de 307 milliards francs CFA pour l’achat de véhicules. Je ne parle pas des entretiens, de la consommation de carburant. » Comme dans un ndëpp, il ajoute : « Malgré les efforts qui ont été faits, nous continuons d’enregistrer beaucoup de dépenses. On a évalué les factures de téléphone de 16 à 17 milliards par an pour les agents de l’administration. » Comme pour se moquer vraiment de nous comme il l’a souvent fait d’ailleurs tout au long de sa longue gouvernance meurtrie, il continue son cinéma en estimant que l’administration doit mettre ses ressources au service du mieux-être des populations, plutôt que de s’occuper d’elle-même.
A la grande surprise des Sénégalaises et des Sénégalais qui suivent l’actualité depuis le 2 avril 2012 et douze ans auparavant, le président-politicien ‘’affiche son étonnement’’, se dit ‘’choqué’’ par les disparités observées au niveau des salaires payés dans la Fonction publique entre les agents d’exécution et l’administration centrale. Comme pour se faire plus convaincant, il interrompt son discours écrit et s’adresse directement ainsi à l’assistance : «Je me suis étonné en tant que Président de la République de ces disparités salariales. Pourtant, il s’agit de la même caisse, du même argent pour les mêmes missions, même si des agences ont été mises en place pour accélérer les procédures. Il est apparu des dysfonctionnements et des disparités qu’il faut réguler. » Il annonce alors des mesures de réforme de l’administration, qui vont notamment dans le sens de son efficacité et de la rationalisation des ressources de l’Etat. Notre président-politicien s’est ainsi soucié, du moins en apparence, des nouvelles recrues qui vont entrer dans la Fonction publique. Voici la décision qu’il a prise à cet égard : «Je vais décider de prendre une mesure exigeant la formation des nouvelles recrues de l’administration avant leur recrutement définitif.» Il explique cette décision par le fait qu’il « entend bâtir une véritable administration de développement pour assumer pleinement son rôle de locomotive de la performance et de vecteur de la compétitivité de notre économie ». Dans cette perspective, «il s’agira de (les) inculquer la culture de l’Etat, de l’éthique et de la déontologie ». Ainsi, « ces recrues seront initiées aux fondamentaux de l’administration pendant trois semaines ». Je précise que j’ai cité fidèlement ici, en prenant quand même le soin de mettre entre parenthèses un certain mot.
Poursuivant dans sa ‘’volonté’’ de rationaliser les ressources de l’Etat, il annonce deux décisions considérées comme radicales par un des journalistes présents : l’une consistant en la dissolution de 16 agences sur les 32 existantes ou en leur transformation en de simples directions ; l’autre, en l’annulation pure et simple des lignes téléphoniques mobiles contractées au nom de l’Etat, cette dernière mesure pouvant permettre d’économiser 15 milliards de francs CFA. Le président-politicien donne encore plus de preuves de sa ‘’volonté’’ en révélant qu’« On a réuni l’Agence de la grande muraille verte, celle des éco-villages et la nouvelle Agence de la déforestation en une seule entité qui aura un budget conséquent et qui pourra donc travailler de façon efficace ». Il annonce ensuite, qu’au Ministère de l’Energie, trois agences vont être réduites à de simples directions au niveau de la Senelec. Ainsi, 16 agences vont connaître le même sort. C’est, du moins, l’engagement qu’il a encore pris.
Nous pouvions donner en exemples d’autres engagements du président-politicien, pris ce 5 août 2019, mais nous préférons nous arrêter à ceux déjà retenus pour les apprécier. D’emblée, nous exprimons notre doute : le président-politicien nous a tellement habitués au reniement de ses engagements que nous ne le croirons plus qu’à l’œuvre, plus exactement qu’à la fin de l’œuvre. D’abord, nous partons de cette étonnante révélation : « De 2012 à maintenant, nous avons dépensé plus de 307 milliards francs CFA pour l’achat de véhicules. Je ne parle pas des entretiens, de la consommation de carburant. » Puis de celle-ci : « Malgré les efforts qui ont été faits, nous continuons d’enregistrer beaucoup de dépenses. On a évalué les factures de téléphone de 16 à 17 milliards par an pour les agents de l’administration. » Je répète que cet homme n’a vraiment aucun respect pour nous. Nous savions que, pendant sa longue gouvernance, de nombreux véhicules ont été achetés. Mais que, de sa bouche, nous apprenions qu’en sept ans, ces véhicules nous ont coûté 307 milliards francs CFA, c’est vraiment une surprise, et une grosse. Combien de véhicules ont-ils été achetés avec autant d’argent ? Dans quelles conditions l’ont-ils été ? Comment ont-ils été répartis ? Combien restent-ils encore en vie ? Où sont-ils ? Quel(s) service(s) les a-t-il (ou les ont-ils) exactement achetés ? Le décret n°2008-696 du 30 juin 2008 qui réglementait l’acquisition, l’attribution et l’utilisation des véhicules administratifs a-t-il été respecté, s’il est toujours en vigueur ? Tous les véhicules ont-ils été achetés au moins avec l’implication du service compétent, notamment de la Direction du Matériel et du Transit administratif (DMTA) du Ministère de l’Economie et des Finances ? Quel serait le niveau de la corruption tout au long du processus de l’achat d’autant de véhicules ?
Il reste d’autres questions à poser et sur lesquelles je reviendrai dans une prochaine contribution. En attendant, je me demande quelle mouche a bien piqué le président-politicien pour qu’il s’étale ainsi au grand soleil, en mettant sur la place publique les tares de sa longue gouvernance, dont il est le seul responsable. Il sait en particulier que, depuis l’accession de son ex-mentor au pouvoir, tous les députés sont dotés chacun d’un véhicule (4×4) rutilant avant leur entrée en fonction parlementaire et que, à la fin de leur mandat, les véhicules leur sont ‘’donnés’’ par le Président de la République. Les nouveaux députés, y compris ceux dont le mandat a été renouvelé, reçoivent chacun un nouveau véhicule (4×4). Ces derniers se retrouvent donc avec deux 4×4 chacun. Je croyais savoir que le budget de l’Assemblée nationale était autonome. Dans ce cas, de quelle compétence le Président de la République se prévaudrait-il pour ‘’donner’’ des véhicules de l’Assemblée nationale, donc de l’Etat sénégalais, à des députés ? Notre président-politicien n’ignore rien des conditions douteuses dans lesquelles ces véhicules de l’Assemblée nationale sont achetés au début de chaque législature. Non plus de celles dans lesquelles l’entretien des véhicules est organisé. L’inamovible questeur de l’Assemblée nationale lui fournirait toutes les informations si jamais il en avait besoin.
Il sait aussi, notre président-politicien, que les ministres et les directeurs d’institutions diverses disposent chacun de plusieurs véhicules pour leurs services, pour ceux de leurs partis et même pour leurs familles, semble-t-il. Un quotidien, en l’occurrence ‘’LES ÉCHOS’’, faisait état, dans son édition du 3 mai 2019, d’«un ministre dont l’inventaire en perspective de la passation de service avait fait ressortir qu’il avait huit (8) voitures de services chez lui ». Le même quotidien précisait dans son édition du 18 mai 2019 (page 2), que le nouveau ministre se frottait les mains, ayant récupéré les voitures. Lui-même, ce président-politicien, donne une idée du nombre de véhicules au ‘’service’’ de l’administration. On se souvient qu’il avait déplacé la République quand il allait poser la première pierre de l’Université Cheikh Ibrahima Niasse du Sine Saloum (la première attend toujours la seconde quatre ans après). Sa caravane, comme toutes les autres, comptait un nombre impressionnant de gros véhicules grand luxe, qu’on ne voit ni derrière Emmanuel Macron, ni derrière Angela Merkel, encore moins derrière un chef d’Etat ou de gouvernement d’un pays scandinave. En essayant donc d’afficher une certaine indignation devant le montant faramineux de 307 milliards que nous a coûté l’achat de véhicules depuis 2012, le président-politicien se moque carrément de nous, se sachant le premier responsable de cette situation.
Il nous étonne aussi et nous indigne, ce président-politicien, en nous révélant qu’« on a évalué les factures de téléphone de 16 à 17 milliards par an pour les agents de l’administration ». Seize à dix-sept milliards par an ! Combien de milliards gaspillés ainsi en sept ans ? Gaspillés pour rien ou presque, puisqu’il annonce l’annulation pure et simple des lignes téléphoniques mobiles contractées au nom de l’Etat, cette dernière mesure pouvant permettre d’économiser 15 milliards de francs CFA, sans qu’elle gêne de façon significative le fonctionnement de l’administration. Nous savons tous comment ces mobiles étaient utilisés.
Il a décidé aussi, du moins c’est ce qu’il annonce, de faire passer le nombre des agences nationales de 37 existantes à 16, ces dernières étant destinées les unes à être dissoutes dans des structures, les autres à être érigées en ‘’petites directions’’. Il convient d’abord que le président-politicien nous donne la preuve que ses chiffres correspondent à la réalité. Même si, par extraordinaire, c’était le cas, on peut avoir des réserves par rapport à sa mesure qui ne fait que déplacer les problèmes. En particulier, elle est muette sur les différents personnels et sur leurs contrats ‘’juteux’’ souvent établis à la tête du client. Tous seront-ils versés dans les nouvelles structures ? Ce serait un très mauvais choix, du moins, de mon modeste point de vue.
Tout devrait commencer par un audit profond des agences et de leurs personnels. Cet audit s’appuierait sur la loi d’orientation desdites structures, loi souvent ignorée d’ailleurs. La mesure annoncée par le président-politicien leur serait appliquée si elles ont apporté une valeur ajoutée à l’administration, au développement du pays ; cette valeur que les dispositions de la loi d’orientation attendaient d’elles. Sinon, pourquoi les reconduire sous d’autres formes ? L’audit s’attarderait aussi sur les différents personnels dont on sait comment, en général, ils sont recrutés au niveau des agences nationales. Le recrutement s’y fait rarement, très rarement en fonction de la compétence, du profil, des besoins de la structure, mais davantage à la tête du client. Ce sont des parents, des camarades de partis, des recommandés du couple présidentiel, des ministres de tutelle, des chefs religieux, etc., qui s’y taillent en général la part du lion. On en trouve en grand nombre, qui ‘’n’ont vraiment rien dans le ventre’’, et qui sont pratiquement payés à ne rien faire. Faut-il reconvertir tout ce beau monde dans les nouvelles structures, surtout avec leurs gros salaires immérités ? Ce serait injuste, voire scandaleux.
Je ne m’attarderai pas sur cet ‘’étonnement’’, qu’il exprime en ces termes : «Je me suis étonné en tant que Président de la République de ces disparités salariales. Pourtant, il s’agit de la même caisse, du même argent pour les mêmes missions, même si des agences ont été mises en place pour accélérer les procédures. Il est apparu des dysfonctionnements et des disparités qu’il faut réguler. » Ces propos, nous les avons souvent entendus de sa bouche. Nous nous rappelons surtout qu’il avait commandité un audit pour corriger ces dysfonctionnements et disparités qui entachent le système de rémunération des agents de la Fonction publique.
Les conclusions de l’audit dorment sur son bureau depuis de très longs mois, et il n’a pas le courage d’en appliquer les recommandations pertinentes. Qu’il arrête de nous prendre pour des demeurés, ce président-politicien !
Sa dernière décision (annoncée) sur laquelle j’ai aussi des réserves, c’est celle-ci : «Je vais décider de prendre une mesure exigeant la formation des nouvelles recrues de l’administration avant leur recrutement définitif. » Il se fait plus explicite : « Il s’agira de (les) inculquer la culture de l’Etat, de l’éthique et de la déontologie ». Ainsi, en trois semaines, « ces recrues seront initiées aux fondamentaux de l’administration », conclut-il. L’idée peut être considérée comme pertinente, si elle est sincère.
Mais, comme les autres, elle inspire des questions, des réserves. Comment le recrutement va-t-il se faire ? Á la tête du client ou après concours ? Nous pensons que, dans un premier temps, en fonction des besoins, il faut recruter par voie de concours sélectifs, des jeunes gens qui vont bénéficier de la formation en question. Cette option ne sera d’ailleurs que temporaire.
Á la longue, il faudra réhabiliter les différentes écoles de formation, qui recruteront les meilleurs candidats, en fonction des besoins exprimés par les différents ministères. Les programmes seront réformés pour prendre en compte les nouvelles préoccupations du président-politicien. Ce ne sera pas l’essentiel d’ailleurs, si les jeunes formés, même les meilleurs, retrouvent l’administration sénégalaise en l’état, c’est-à-dire outrancièrement politisée. Cette administration-là, si elle n’est pas profondément réformée, en commençant par sa dépolitisation systématique, ne servira jamais de rampe de lancement du pays vers le développement.
Pour permettre aux lecteurs et aux lectrices intéressés d’en avoir le cœur net, je les renvoie au ‘’Rapport public sur l’état de la Gouvernance et de la Reddition des Comptes’’ de juillet 2013 de l’Inspection générale d’Etat (IGE), plus particulièrement au Chapitre 2 (causes de mal gouvernance financière pp. 147-149). Ce serait encore mieux s’ils pouvaient lire, faute de le faire pour tout le ’’Rapport’’, les six pages de conclusion (173-178).
Pendant sept longues années, le président-politicien a royalement ignoré les recommandations pertinentes de l’IGE, de la Cour des Comptes comme de tous les autres organes de contrôle, dont il bloque d’ailleurs depuis quelque temps la publication des rapports. Voilà qu’il trouve le courage, aujourd’hui, de nous regarder les yeux dans les yeux, pour prendre encore des engagements de bonne gouvernance, dont au moins les Sénégalaises et les Sénégalais lucides savent qu’il ne les respectera pas. Il en est incapable, l’habitude étant une seconde nature. Que donc, de grâce, il termine tranquillement son second et dernier mandat – nous espérons que ce le soit vraiment – et nous laisse souffrir notre martyre, faute de nous respecter !
Mody Niang