Sénégal

Penda Mbow : « notre société est vraiment malade… fait de voiler la femme est le symbole de la soumission »

Penda Mbow
Penda Mbow

C’est une sortie qui fera certainement débat, malgré le moment difficile que commencent à traverser les Sénégalais, avec la pandémie du coronavirus. Dans une interview accordée au journal français Sputnik, Penda Mbow, conseillère du président de la République, aborde sans filtre plusieurs questions sociétales telles que les violences contre les femmes, l’homophobie ou encore la question du voile, qui a récemment secoué le pays.

En effet, alors que les crimes et les violences contre les femmes ne cessent d’augmenter, le Sénégal a criminalisé le viol et la pédophilie. Dans un entretien avec Sputnik, l’historienne sénégalaise Penda Mbow analyse les dérives d’une société sénégalaise en pleine mutation. Entre religiosité et conservatisme, la représentante personnelle du Président Macky Sall auprès de l’Organisation internationale de la francophonie (Oif) s’est demandé si le vivre-ensemble à la sénégalaise est compromis.

«Le Sénégal est un pays qui a beaucoup de ressorts. Par exemple, la tentative d’instrumentaliser les confréries religieuses a conduit à la tenue d’Assises nationales (1er juin 2008-24 mai 2009). L’héritage commun de la démocratie, personne ne prendra le risque de le remettre en question. À condition que l’on aille vers un approfondissement de cette démocratie, car il ne faudrait pas qu’elle devienne fossoyeuse de la République», s’est insurgée l’historienne, invitée Afrique de Sputnik France, à l’occasion de la célébration de la Journée internationale de la femme, le 8 mars.

«Le fait de voiler la femme est le symbole de la soumission…»

Poursuivant, dans ses développements, Penda Mbow, qui s’était exprimée publiquement contre le port du voile islamique et donc en faveur de l’interdiction faite par l’école Jeanne d’Arc de Dakar du port du hijab par ses élèves, est revenue sur cette affaire. «Qu’on le veuille ou non, le fait de voiler la femme est le symbole de la soumission et ce n’est pas ce que l’islam – si on le lit bien – nous demande. Pourquoi de surcroît l’imposer à des fillettes ? Il faut leur laisser le choix, plus tard, de décider. Dans nos écoles, en tout cas, il faut veiller à ce qu’il n’y ait de distinction ni entre les riches et les pauvres, ni entre les religions. Car l’école est l’institution par excellence pour former les citoyens et gommer les inégalités. Or, porter le voile est un signe distinctif qui n’est conforme ni à l’Islam, ni à notre culture sénégalaise», a martelé Penda Mbow, qui regrette également que, prises en étau entre des valeurs contradictoires, les femmes africaines musulmanes soient les premières à faire les frais d’un «choc des civilisations».

«L’institution Jeanne d’Arc est peuplée de chiites libanais qui ont d’autres projets de société pour leurs enfants…»

«Moi, en tant qu’Africaine, la question que je me pose est d’abord identitaire : est-ce que je veux rester ce que je suis ou bien me métamorphoser et accepter d’autres valeurs qui viennent d’ailleurs, que ce soit d’Occident ou du monde arabe, même si nous sommes et restons des musulmanes ?», se demande l’historienne des religions.

Pour elle, «l’institution Jeanne d’Arc est peuplée de chiites libanais qui ont d’autres projets de société pour leurs enfants que nous, les femmes sénégalaises. On peut vivre avec, mais on ne peut pas faire nôtre la manière de vivre de ces chiites libanais, des wahhabites saoudiens ou bien des Occidentaux en ce qui concerne, par exemple, les droits des homosexuels (au mariage), sauf à perdre notre propre identité culturelle».

«Plus l’Occident exercera de pression, plus les homosexuels seront rejetés»

Sur le débat sur l’homophobie supposé ou réel du Sénégal, Penda Mbow estime que le repli du Sénégal sur cette question s’explique par les bouleversements dans la société qui provoquent une «religiosité» et un «conservatisme accru», y compris de la part des jeunes générations. À telle enseigne que ce qui était accepté hier ne l’est plus aujourd’hui, comme pour les homosexuels qui ont, pourtant, toujours été acceptés et jouent même un rôle clé lors de certaines cérémonies familiales. «Compte tenu de la montée de l’Islam chez nous et de sa non-acceptation de l’homosexualité, plus l’Occident exercera de pression, plus ils (les homosexuels) seront rejetés. Au-delà de la question de l’homophobie, c’est davantage l’opposition entre deux idéologies et deux mondes qui se fait jour», explique-t-elle.

«Notre société est vraiment malade»

Quant à la nouvelle loi qui a criminalisé le viol et la pédophilie au Sénégal, Penda Mbow se réjouit de cette nouvelle protection offerte aux femmes pour les aider à sortir des violences sexuelles. Mais elle doute qu’une loi, seule, parvienne à faire évoluer les mentalités face à ce qui pourrait apparaître comme une dérive jamais égalée des mœurs au Sénégal «mais n’est, peut-être, que de la violence psychologique d’hommes et de femmes qui se sentent de plus en plus déracinés», se risque-t-elle.

«Dans ce qui apparaît aujourd’hui comme une recrudescence des viols et des crimes sexuels en tous genres, il y a beaucoup d’éléments que nous ne maîtrisons pas. Par exemple, un cas qui a défrayé la chronique, c’est celui d’une jeune fille ayant commis un infanticide. Or, il apparaît que c’est son féticheur qui le lui aurait demandé. Il lui a dit : ‘’si tu n’assassines pas ta petite fille, les djinns vont te poursuivre.’’ Il y a effectivement comme une folie collective qui s’installe dans ce pays», déplore Penda Mbow, qui pense que la loi va changer quelque chose.

«Les femmes oseront sans doute davantage porter plainte. Mais aujourd’hui, il y a quelque chose qui ne va plus. Notre société est vraiment malade. C’est pourquoi il va falloir aller vers d’autres formes d’éducation et de sensibilisation pour contenir toute cette violence psychologique», s’indigne-t-elle.

Jotaay.net

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