Média : RSF dépose plainte auprès de l’ONU pour les violations de la liberté de la presse pendant l’épidémie de Coronavirus
Reporters sans frontières a déposé une plainte auprès du Rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à la santé, Dainius Pūras, et de son homologue sur le droit à la liberté d’opinion et d’expression, David Kaye, afin qu’ils dénoncent formellement les Etats qui, en violant le droit à l’information pendant l’épidémie de Coronavirus, mettent en danger la santé des personnes.
L’organisation Reporters sans frontières (RSF) a déposé une plainte auprès de l’ONU, le 12 avril 2020, pour demander la saisine et la dénonciation des Etats qui violent le droit à l’information malgré, au prétexte ou à l’occasion de l’épidémie de Coronavirus, et mettent ainsi en danger la santé des personnes, sur leur territoire comme dans le reste du monde. Cette démarche a pris la forme d’une lettre d’allégation au Rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à la santé, le Lituanien Dainius Pūras, et à son collègue Rapporteur spécial sur la liberté d’opinion et d’expression, l’Américain David Kaye.
Les faits rapportés par RSF ont été collectés dans le cadre de l’Observatoire 19, un outil de suivi adapté à la crise sanitaire globale. Dénommé en référence au Covid-19, mais aussi à l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, ce projet a pour objectif d’évaluer les impacts de la pandémie sur le journalisme. Il documente la censure étatique, la désinformation délibérée et leurs effets sur le droit à l’information fiable. Il s’attache à prodiguer des recommandations pour favoriser l’exercice du journalisme. La lettre d’allégation fait état de cas de censure, de détention arbitraire, de harcèlement ou de violences sur des journalistes, ou de développements législatifs inquiétants, dans 38 pays. La liste n’est pas exhaustive.
Au Brésil comme aux Etats-Unis, les présidents s’en prennent avec violence aux journalistes. Des journalistes ont été arrêtés en Algérie, en Jordanie et au Zimbabwe. En Hongrie, une loi orwellienne a imposé un “Etat policier de l’information”. Au Cambodge, le Premier ministre utilise la crise du Covid 19 pour renforcer son pouvoir. Sans parler de la Chine, où la répression du journalisme a permis à l’épidémie de se propager, à Wuhan puis dans le reste du monde. RSF s’alarme aussi de la vulnérabilité face au virus des journalistes maintenus en détention malgré l’épidémie en Turquie ou en Arabie Saoudite.
RSF demande aux Rapporteurs spéciaux de passer de l’avertissement à l’action vis-à-vis des Etats, en saisissant sous la forme d’un “appel urgent” chacun des Etats où sont relevées des violations de la liberté de la presse qui portent atteinte au droit à la santé. L’objectif est d’obtenir des mesures concrètes, telle que la libération des journalistes détenus. Ces Rapporteurs spéciaux appartiennent au département des procédures spéciales des Nations unies, des mécanismes indépendants d’établissement des faits et de protection, rattaché au Haut Commissariat aux droits de l’Homme à Genève. En cas de confirmation des violations, les Rapporteurs spéciaux ont vocation à dénoncer les faits et demander aux Etats d’y remédier. Leurs prochains rapports publics au Conseil des droits de l’Homme et à l’Assemblée générale de l’ONU pourront permettre de qualifier les situations observées.
Le 16 mars 2020, les experts de la liberté d’opinion et d’expression et des médias des Nations Unies, de la Cour interaméricaine des droits de l’homme et de l’OSCE, David Kaye, Edison Lanza et Harlem Désir, ont énoncé avec fermeté l’importance de la mise à disposition d’informations véridiques par les gouvernements, la protection des journalistes et de la lutte contre la désinformation. Le 9 avril, la Haut Commissaire aux droits de l’Homme de l’ONU, Michelle Bachelet, s’est dite « préoccupée » par les mesures prises dans certains pays pour limiter la liberté des médias et la liberté d’expression, craignant que la « prétendue lutte contre la désinformation » risque d’être utilisée pour faire taire les critiques.
Le courrier envoyé par RSF demande aux Rapporteurs spéciaux de proclamer publiquement que le droit à l’information est “inhérent” au droit à la santé. Il n’en est pas seulement une composante essentielle, il lui est nécessairement et intimement lié et en est inséparable. Reconnaître le caractère inhérent du droit à l’information pour le droit à la santé permettrait d’en renforcer la portée en particulier lorsque la sauvegarde de la santé publique est en cause et de lutter ainsi plus efficacement contre ses restrictions arbitraires et la désinformation. La consécration du lien intrinsèque entre droit à l’information et droit à la santé permettrait de condamner toutes les restrictions abusives du premier comme constituant aussi des violations du second. L’équilibre entre les deux droits serait ainsi assuré, de façon à empêcher que la protection de la santé publique ne puisse servir de prétexte à la censure où la désinformation.
Adoptée en novembre 2018 par une commission de 25 personnalités de 18 nationalités, la Déclaration internationale sur l’information et la démocratie assurait dans son préambule que “la connaissance est nécessaire aux êtres humains pour développer leurs capacités biologiques, psychologiques, sociales, politiques et économiques”. Sur ce fondement, 35 Etats ont adopté un Partenariat sur l’information et la démocratie qui reconnaît un droit à l’information fiable, en considérant que “l’information peut être reconnue comme fiable dans la mesure où sa collecte, son traitement et sa diffusion sont libres, indépendants et fondés sur le croisement de plusieurs sources, dans un paysage médiatique pluraliste où les faits peuvent donner lieu à des interprétations et à des points de vue variés”.
“L’épidémie de Coronavirus oblige à imposer le respect des principes de la liberté de la presse et du droit à l’information, rappelle Christophe Deloire, secrétaire général de RSF. Comme l’affirme la Déclaration sur l’information et la démocratie, “le droit à l’information consiste en la liberté de rechercher et de recevoir des informations fiables et d’y accéder.” Violer ce droit, c’est mettre en danger la santé, et même la vie, des êtres humains. Nous attendons que les Etats qui violent ce droit soient dénoncés publiquement par des institutions onusiennes.”