[Tribune] Il est tant de prendre l’école au sérieux – Par El Hadji Maodo Mbaye
Cet article est une réponse pour ceux qui disent souvent que les enseignants doivent trouver une manière de lutte autre que de déserter les classes et ceux qui pensent aussi que nous cherchons des privilèges. Cette idée serait pertinente si nous avions en face de nous un gouvernement préventif qui anticipe sur les choses au lieu d’attendre que l’irréparable se produise.
Il faut savoir que ce n’est pas avec plaisir que nous abandonnons les classes car nul n’est plus amoureux des élèves que nous-mêmes. Les parents investissent sur leurs enfants pour que ces derniers les prennent en charge plus tard, mais nous enseignants, au-delà du salaire que nous gagnons, faisons tout pour leur réussite. Certains cherchent des papiers administratifs à des enfants du village où ils sont affectés afin qu’ils soient inscrits à l’école. D’aucun ne payent des frais d’inscription, d’autres achètent des fournitures scolaires…. Et la seule satisfaction que nous attendons, c’est de voir ces enfants réussir pour déclarer urbi et orbi tel qu’un vantard : « il fut mon élève ». Outre cela, il ne faut pas oublier que ce sont nos propres enfants biologiques qui sont dans les écoles publiques, donc concernés par la grève, contrairement à ceux qui nous dirigent. Ces derniers envoient les leurs étudier à l’étranger.
Si malgré tout cela, nous menons la grève, c’est parce que nous n’avons pas d’autres choix. D’ailleurs nous avons tout fait pour éviter d’en arriver là, mais l’Etat nous y a obligés. Un préavis de grève a été déposé depuis le mois d’octobre, l’Etat en a fait que dalle ! S’il y a une leçon de gouvernance que notre Président de la République n’a jamais assimilée c’est celle-ci : gouverner, c’est prévenir. Voilà un gouvernement qui s’en tape des alertes, réclamations pacifiques et préavis de grève. N’est-ce pas notre président qui disait qu’il n’aimait pas voir des brassards rouges? Apparemment le Monsieur n’est sensible qu’au rapport de forces.
Nous sommes le 14 Août 2014, Bassirou Faye est tué suite aux nombreuses manifestations des étudiants pour demander à l’Etat de payer leur dû. Le lendemain, les bourses sont virées intégralement à travers le service de transfert d’argent « wari ». N’avait-il pas l’argent la veille ? Pourquoi attendre la mort d’un étudiant pour diligenter ipso facto leur demande. Les mêmes causes ont produit le même effet. Cette fois-ci, c’est le tour de l’étudiant Fallou Sene assassiné le 15 Mai 2018. Aussitôt après, le Président Macky Sall accepte de baisser le prix des tickets de restauration et décide d’augmenter la bourse des étudiants. 10 000 000 F CFA ont été remis aux parents du défunt, son fils déclaré pupille de la nation, sa veuve intégrée dans la fonction publique. Fallait-il attendre un décès encore pour réagir ? N’était-il pas plus facile de payer à temps la bourse des étudiants ?
Les événements de Mars 2021 aussi en sont un exemple. Le pays était à feu et à sang dans presque toutes les 14 régions du Sénégal. Le premier responsable du pays faisait comme si cela ne le concernait pas. Il a fallu plus de 10 morts pour qu’il sorte de sa réserve.
Récemment les syndicats des transporteurs avaient déposé un préavis de grève pendant 21 jours avant. Aucune autorité étatique ne les a convoqués pour discuter. Finalement, c’est après avoir paralysé totalement le secteur du transport public pendant 3 jours d’affilés que le gouvernement a accepté enfin de régler leur problème.
Voilà comment notre pays est gouverné.
La question que je me pose est : est-ce qu’il faut un bain de sang pour que Macky Sall prenne au sérieux nos revendications ? Attend-il la mort d’un pauvre élève ou d’un vaillant enseignant à travers les séries de manifestations organisées partout au Sénégal pour qu’il prenne le dossier en main?
A vrai dire, notre chef d’Etat n’a que du dédain pour les revendications des enseignants. Il a toujours voulu nous faire croire qu’il a des choses beaucoup plus sérieuses à régler, histoire de nous minimiser, diantre ! nous savons tous que cette crise l’empêche de dormir. Seulement, il joue à la stratégie du désintéressement intéressé pour ne pas accorder trop d’importance aux enseignants. Président, vous ne pouvez pas faire quelque chose de plus important que de gérer cette crise de l’enseignement. Si vous ne commencez pas par parler avec nous, vous allez finir par le faire, autant le faire maintenant que de jouer le sapeur après la mort. Cette stratégie risque de se retourner contre vous, car tout le monde va penser que c’est parce que vos enfants n’étudient pas dans l’école publique sénégalaise que vous en faites le cadet de vos soucis.
La vérité c’est que Macky Sall n’a aucune considération à l’égard des soldats du savoir. Il nous ignore royalement. Il ne négocie avec nous que quand il n’a plus le choix. Et quand il le fait, c’est soit pour prendre des engagements qu’il ne va jamais respecter soit nous jouer un sale tour en nous accordant des miettes qu’il va surimposer à notre insu soit encore nous mettre en mal avec l’opinion. Le gouvernent n’a jamais joué avec les enseignants la carte du respect et de la sincérité. Alors, c’est à nous de nous imposer.
Au même moment que nous attendons la concrétisation des accords de 2018 surtout le nœud du problème portant sur la correction des iniquités et des injustices dans le système de rémunération, point sur lequel l’Etat avait pris l’engagement suivant : « A partir de juin 2018, le Gouvernement mettra en place un groupe de travail pour partager avec les organisations signataires les conclusions de l’étude réalisée par le Gouvernement pour un système de rémunération des agents de l’administration publique plus juste et plus équitable. », notre cher président de la république accorde une prime spéciale de lutte contre l’évasion sociale au profit des Inspecteurs et Contrôleurs du Travail et de la Sécurité sociale et du personnel technique assimilé en service au Ministère en charge du Travail, les montants mensuels de cette prime sont fixés ainsi qu’il suit :
Inspecteurs du Travail et de la sécurité sociale : 400 000 F CFA
Personnel technique assimilé de la hiérarchie A
en service à la Direction Générale du travail
et de la Sécurité Sociale : 400000 F CFA
Contrôleur du Travail et de la sécurité Sociale : 250000 F CFA
Personnel technique assimilé de la hiérarchie A : 200000 F CFA
Personnel technique assimilé de la hiérarchie B : 100000 F CFA
Ce présent arrêté à pris effet le 01 du mois précèdent.
Toujours dans le même mois de Janvier 2022, notre généreux chef d’Etat a encore fait preuve de largesse, cette fois-ci, c’est à l’endroit des travailleurs du Ministère de l’Agriculture et de l’Equipement rural à travers une rubrique dénommée : indemnité de prise en charge agricole fixée ainsi qu’il suit :
Pour les agents fonctionnaires et non fonctionnaires
Hiérarchie
Montant en F CFA
A
300000
B1 et B2
250000
B3 et B4
200000
Pour les agents contractuels :
Hiérarchie ou assimilé
Montant en F CFA
A
250000
B1 et B2
150000
B3 et B4
100000
Voilà les augmentations faites récemment par l’Etat du Sénégal sans tambours ni trompettes. Aux enseignants maintenant, l’Etat propose des miettes étalées sur une durée de trois ans. Le but du jeu est de faire croire à l’opinion qu’ils n’ont pas d’argent. Sommes-nous moins diplômés que les autres agents de l’Etat ? Exerçons-nous un métier subalterne pour mériter cela ?
Allez dans le fin fond du Sénégal, vous pouvez ne pas y trouver un policier, un gendarme, un magistrat, un ambassadeur, un député mais vous y trouverez forcément un enseignant qui gère une ou deux classes en même temps avec une école qui ne l’est que de nom, des facteurs climatiques, sociaux et culturels très difficiles à surmonter, des conditions de logement catastrophiques, un système de nourriture difficile à adapter. En ce qui concerne l’eau et l’électricité, ne l’imaginons même pas. Certaines zones n’ont même pas de W. C. Les risques sont énormes, les soldats du savoir cohabitent quotidiennement avec des reptiles comme les serpents et les scorpions.
Malgré ces risques et périls, les enseignants restent engagés à servir la patrie. Car ils sont conscients qu’il n’y a qu’une seule arme pour vaincre la pauvreté et le mal vivre : c’est le savoir et que ces enfants ont droit à l’éducation au même titre que ceux de la capitale et des grandes villes. Plus patriotique que les enseignants, tu meurs. Nous avons le métier le plus noble, nous l’exerçons dans les conditions les plus pénibles. Pourquoi alors devons-nous avoir la vie la plus misérable dans l’administration publique ?
L’argument brandi tel qu’un prêt à porter par le gouvernement est que les enseignants sont nombreux. La moindre augmentation couterait beaucoup à l’Etat. Ok ! Mais la réplique est simple, il faut diminuer drastiquement l’effectif des enseignants. Par conséquent le gouvernement pourrait leur donner le traitement qu’il faut. « Si vous trouvez que l’éducation coûte chère, aurait dit Abraham Lincoln, essayez l’ignorance. » Notre Doyen philosophe Alassane K. Kitane a vu juste en affirmant que « Le traitement que nous réservons aux enseignants est l’image du peu de générosité dont nous faisons preuve envers les générations futures. »
Nous en avons marre d’être les parents pauvres de l’administration qui doivent croire qu’ils ne travaillent pas pour de l’argent mais par sacerdoce, qu’ils doivent se résigner au moment où par exemple l’Etat affecte 700 000 FCFA comme indemnité de logement à certaines castes de l’administration.
S’il y a un corps qui mérite une indemnité de logement plus que les autres c’est bien le corps enseignant. On nous a enseigné en formation à la F.A.S.T.E.F qu’un cours de deux heures doit être préparé en 6h. Où l’enseignant prépare-t-il ses cours si ce n’est à la maison ? C’est chez lui qu’il corrige ses copies et prépare ses cours. Vous vous rendez compte alors que le gros du boulot se fait à la maison. Ceux qui ont des époux, épouses ou parents enseignants savent de quoi je parle. La maison est d’abord un bureau, un cadre de travail avant d’être un lieu de repos pour nous.
L’enseignement n’est pas que « vocation », les enseignants ne sont pas des curés mais des travailleurs qui doivent être rémunérés au prorata de leurs grades et hiérarchies comme le prévoit la législation. Nous ne quémandons pas de la charité, nous ne demandons pas des privilèges, nous ne réclamons pas des choses nouvelles ; nous demandons juste le respect des accords de 2018 et l’application de la loi 61-33 du 15 juin 1961. Le respect de la loi devrait être automatique dans un Etat de droit où l’on prône la bonne gouvernance. Qui plus est, il est temps que le problème de l’école sénégalaise soit définitivement réglé et que l’on passe au travail. On ne peut pas éternellement courir derrière les lenteurs administratives : avancements, rappels, titularisation, alignement et tutti quanti.
Chers collègues enseignants, l’heure de la révolution pour redorer le blason de notre profession a sonné. C’est le moment ou jamais. Accordons-nous les violons, n’acceptons pas la division et la diversion. Tel que le font nos braves militaires en troupe pour se remonter le moral, brandissons cette mélodie pour exprimer notre cri du cœur.
« Nous disons non, nous disons non, non, camarades, camarades enseignants, il est temps que nous disons non »
« Nous disons non, nous disons non, non, camarades, camarades enseignants, il est temps que nous disons non »
« Nous disons non, nous disons non, non, camarades, camarades enseignants, il est temps que nous disons non »
El hadji Maodo Mbaye
Professeur de Philosophie au Lycée de Meri
courriel : mbayephilocom@gmail.com
Mis en ligne Boucar Diouf