Afrique

[Tribune] Le Mali, sanctuaire de la Françafrique – Par Asante Harouna

“Violation de son espace aérien par un aéronef français" : le Gouvernement malien hausse le ton
Les présidents Assimi Goita et Emmanuel Macron

Ce qui se passe présentement en terre africaine du Mali est d’un enjeu capital pour la survie de la françafrique. La françafrique est mot utilisé par le président H. Boigny pour qualifier les relations entre la métropole française et ses anciennes colonies africaines. C’est par ce moyen que la France continue d’avoir la mainmise sur ces pays malgré la fin officielle de la colonisation. Le Mali est ce vaste pays sahélien de 1.241. 238 km 2. Il fait précisément 1.84 fois la taille de la France qui n’est que de 672.051 km 2 . Ce pays pourrait donc contenir presque deux fois la France en termes de surface.

Beaucoup d’observateurs se demandent d’ailleurs comment un pays de 672.051 Km 2 arrive encore à dicter sa loi à presqu’un sous continent comme le Mali ainsi que de nombreux pays africains ?
La colonisation de ce pays à partir de la région du Haut Fleuve commence le 18 Aout 1888. Par décret du 27 Aout 1892, le Mali alors Soudan français à l’époque devient une colonie française et Louis Archinard en fut le premier gouverneur. Ainsi , il s’engagea une longue lutte anticoloniale. De nombreux dignes fils du Mali furent torturés , emprisonnés ou envoyés en exil. Ce fut le cas du chérif Hamahoullah, guide religieux musulman qui n’a pourtant jamais pris les armes contre la France, qui fut déporté injustement à Montluçon où il meurt en 1943. La France refuse de rapatrier son corps au Mali. La seule chose que lui reprochait la France était son refus de collaborer.
Grâce au combat mené par Modibo Keita et de ses amis, l’indépendance du Mali est proclamée le 22 Septembre 1960. Modibo Keita était un panafricaniste de la même lignée que Kwame Nkrumah et Sékou Touré. Une fois le pays indépendant, Modibo Keita conscient qu’il n’y a pas d’indépendance sans autonomie monétaire crée sa monnaie en 1962 . Il demande également le départ des bases militaires françaises de son pays . Il sera victime d’un coup d’Etat réactionnaire de la part d’un ancien combattant français à savoir le lieutenant Moussa Traoré. Le pays revint ainsi dans le giron français. Il est bon de rappeler que c’est sous le président Moussa Traoré qu’une guerre fratricide eut lieu entre le Mali et le Burkina d’abord en 1974 et ensuite en 1985 pour déstabiliser le régime du capitaine Sankara. En 1985 , en début d’année, il mène une guerre contre le régime Sankara.
Mais Moussa Traoré a commencé à être moins manipulable ; il fut l’un des rares chefs d’Etats africains à dire à Mitterrand après le sommet de La Baule que ‘’ la démocratie n’est pas une camisole de force’’, il fut renversé par le lieutenant Amadou Toumani Touré suite à des manifestations. Mais l’un des rares mérites de Moussa Traoré était d’avoir doté l’armée malienne de manière efficace contre les attaques sécessionnistes.
Une transition d’environ 14 mois fut mise en place du 26 mars 1991 au 8 juin 1992.
Quand Alpha Oumar Konaré arrive suite à des élections, il détruit quasiment l’arsenal de l’armée malienne. Cette action sera lourde de conséquences par la suite. Ainsi s’ouvrit une nouvelle ère dite de démocratie dans ce pays.
Après la déstabilisation de la Lybie suite à l’assassinat du guide Kadhafi le 20 Octobre 2011 par le président français Sarkozy et l’OTAN , le Mali connut une nouvelle ère d’insécurité. Les soldats frustrés de voir leurs amis mourir au front sans assistance furent obligés de déloger ATT qui dut prendre la poudre d’escampette en fuyant Bamako . Ainsi le Capitaine Amadou Haya Sanogo dut prendre les affaires le 22 Mars 2012. Suite aux pressions de la CEDEAO dirigée à l’époque par Ouattara, il fut obligé de céder en remettant le pouvoir à des civils.
Ainsi l’élection de IBK le 11 Aout 2013 suscita beaucoup d’espoirs mais les attaques terroristes reprirent de plus belle. Il dut faire appel à la France qui déploya la force Barkhane le 1 er Août 2014 . Malgré la présence de cette force Barkhane, la déstabilisation du pays continuait. Les soldats maliens se voyaient empêchés d’accéder à certaines zones de leur propre pays.
À partir de Juin 2020, les manifestations s’amplifient dans le pays avec à leur tête le charismatique imam Dicko. Les soldats se virent ainsi obligés d’intervenir en prenant leur responsabilité le 18 Aout 2020. Les pressions de la France ainsi que de la CEDEAO reprirent à nouveau. C’est dans ce cadre que ces jeunes militaires furent obligés de faire appel à un ancien à la retraite ainsi qu’à un premier ministre civil francophile. Malheureusement, les actes de ceux derniers les empêchaient de mener toute politique de diversification des partenaires.
Emmanuel Macron ayant compris que ces soldats n’étaient pas manipulables comme les autres dirigeants africains, il entama une campagne de diabolisation en disant qu’il ne le reconnaissait pas. Paradoxalement, le même Macron annonce de manière unilatérale sa volonté de se rendre à Bamako en Décembre 2021. Ce qui est inédit dans le monde de la diplomatie. Mais face au refus de Assimi à se plier à ses ‘’ exigences ‘’, il annula son voyage. Nous rappelons que lorsqu’il se rendait au Mali pour la première en Mai 2017, il n’a pas même pas daigné passer par la capitale , IBK Président du Mali à l’époque a du se résoudre à se rendre à Gao pour rencontrer le chef d’Etat français. Après Thomas Sankara depuis 1986, Assimi est l’un des rares chefs d’Etats africains à ne pas se soumettre au diktat d’un dirigeant français. C’était une raclée pour la France.
Concernant l’organisation des élections, tout homme ayant un minimum de bon sens sait qu’on ne peut même pas parler des élections dans un tel contexte. Sur les 19 régions du pays, seules 6 étaient sous l’autorité de l’Etat. Selon Fousseynou Ouattara vice-président de la commission défense du CNT, il y avait 16.000 villages maliens ayant échappé au contrôle de l’Etat quand Barkhane arrivait. Mais quand l’armée a pris le pouvoir avec Assimi Goita, 12.000 villages ont été libérés sur 16.000 en quatre mois.
Des assises nationales sont donc organisées en fin 2021 avec pour objectifs de faire des propositions. Parmi ces propositions, un délai de 6 mois à 5 ans est proposé pour la durée de restauration de l’autorité du pays . Quand ces assises sont soumises à la table de la communauté sous régionale, celle-ci s’est montrée inflexible et intraitable. Au lieu den se mettre à l’écoute de la détresse du peuple malien, cette CEDEAO dirigée par Akuffo-Ado décide leur imposer des sanctions injustifiées le 09 Janvier 2022 .
Face à la volonté française de porter cette sanction à l’ONU deux jours plus tard , nous sommes en droit de nous demander si ce n’est pas la même France qui était derrière ces sanctions. On se souvient qu’elle ne faisait que demander des sanctions à la CEDEAO depuis des mois ! Tout le monde se souvient aussi des agitations de la ministre française des armées Florence Parly sur la présence russe au Mali. Est-elle plus malienne que les maliens ? Nous sommes tentés de nous demander si Florence Parly aime le Mali plus que les Maliens . Tout porte à croire que c’est la France qui a voulu manipuler la CEDEAO pour sanctionner un pays membre.
Ce sont les vétos russes et chinois qui ont empêché ces sanctions de mettre le Mali à terre.
Une géante manifestation est organisée à Bamako le 14 Janvier. Certains affirment qu’elle aurait mobilisé plus de 6 millions de personnes à travers tout le Mali. C’était presque inédit.
Lorsque Jean Yves Le Drian utilise des mots inamicaux pour qualifier le gouvernement malien, les autorités du pays appellent au départ de l’ambassadeur français Joël Meyer.
Suite à la révocation de l’ambassadeur Joël Meyer du Mali , Florence Parly affirme : » La junte Malienne a rompu ses engagements et multiplie ses provocation ». Le colonel MAIGA Abdoulaye, ministre de l’administration du territoire lui répond : » Vous savez nous avons été surpris ces derniers temps d’entendre une fausse accusation de la part du ministre des armées français Florence Parly, accusant les autorités maliennes de faire de la provocation.
Je pense qu’il est très important de rappeler que le Mali tient aujourd’hui au respect de sa souveraineté et nous invitons madame Parly à plus de retenue, à respecter le principe élémentaire de non ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat, principe élémentaire des relations internationales. Nous l’invitons également à faire sienne cette pensée de Alfred de Vigny, sur la grandeur du silence. On ne parle pas beaucoup c’est par éducation et compte tenu de notre très grande culture.
Nous ne ferons pas d’affirmations gratuites mais il est très important d’adresser quatre questions au ministre Parly.
La première interrogation, lorsqu’un Etat décide de soutenir un autre Etat, qui décide unilatéralement de déployer des forces spéciales sur notre territoire, il est important de se poser la question de savoir qui est dans la provocation ?
La deuxième question, lorsqu’un aéronef viole notre espace aérien, il coupe son transpondeur pour ne pas être identifié, il coupe la radio pour ne pas être en contact avec les opérateurs de contrôle, on se pose la question qui est dans la provocation.
La troisième question, lorsqu’on divise les maliens en pour ou contre la transition, on se demande qui est dans la provocation ?
Dernière interrogation, lorsqu’on tente désespérément d’isoler le Mali en instrumentalisant les organisations sous régionales, on se demande enfin qui est dans la provocation ?
Soit dit en passant les problèmes qui concernent les maliens ne regardent que les maliens.
Soit dit en passant, les problèmes entre le Mali et les organisations régionales ne concernent que les africains liées par l’histoire, la culture et la géographie.
Avant de terminer, il voudrait ici rappeler que le Mali tient à la paix, a la sécurité internationale et à la coexistence pacifique entre les Etats. Nous ne sommes pas un peuple violent ni belliqueux, et nous tenons au respect de notre Etat et notre dignité en tant que peuple ayant une riche histoire et surtout issue de très grandes civilisations….
Lorsque France 24 fait un reportage sur les pseudo mercenaires russes au Mali, le pouvoir réagit pour une première fois. Dans un communiqué publié le jeudi 17 Mars 2022, le pouvoir malien “rejette catégoriquement ces allégations contre les vaillantes Fama” (Forces armées maliennes), précise le communiqué du colonel Maïga qui “interdit à toutes les radios et télévisions nationales, ainsi qu’aux sites d’information et journaux maliens, la rediffusion et/ou la publication des émissions et articles de presse de RFI et de France 24″. Suite à cette suspension, Macron commet l’imprudence de demander à la CEDEAO de mettre des pressions sur le Mali. Il présente encore la françafrique dans toute sa laideur.
Cependant , nous avons des remarques par rapport à la gestion de Assimi dont je suis personnellement assez insatisfait . S’il veut réellement parvenir à libérer le Mali, il doit s’améliorer sur deux choses : il doit mettre fin à cette forme d’opportunisme et se mettre au travail .
Nous entendons par opportunisme son attitude à nager selon le vent de ses intérêts et non en fonction de ses convictions. Après sa prise de pouvoir, il a préféré nommer un homme hors du Mali qui trainait des casseroles de corruption en lieu et place de ceux qui se sont battus sur le terrain. Il a préféré Mouktar à Ouane à Choguel. C’est lorsque désillusionné par la collaboration du vieux Ba Ndao et Ouane qu’il dut à nouveau supplier Choguel avant que ce dernier n’accepte le poste. C’est beaucoup de temps perdu . Peut-on entièrement donner tort à la CEDEAO sur la question de la durée de la transition ? Toujours concernant son attitude opportuniste, il avait arrêté Ben Souk, un opposant au régime de Ouattara à Bamako juste pour satisfaire ce dernier. C’est lorsque la CEDEAO l’a sanctionné le 09 Janvier qu’il se résolut à libérer l’exilé politique. Cela frise la manipulation. Par rapport à ses relations avec la Russie, il doit se souvenir que face au projet de sanctions déposé par Jean Yves le Drian à l’ONU, c’est la Russie qui s’y est opposé à travers son véto. Mais lorsqu’on a voulu sanctionner la Russie dans cette même assemblée, le Mali n’a pas eu le courage de s’opposer. Il a préféré s’abstenir. On y ressent presqu’un manque de fermeté. Il y a à ce sujet un évènement qui a échappé à beaucoup d’observateurs : juste un jour après l’abstention du Mali, nous avons appris le décès de 46 soldats maliens à Mondoro. Des colonels maliens ont dont Sadio Camara, ministre de la défense ont du se rendre discrètement à Moscou. Tout porte à croire que c’est pour raffermir les liens. Mais ils venaient de rater l’occasion suite à cette forme de test. Toutefois, nous précisons que nous ne sommes pas en train de dire que nous prenons position pour la Russie. Mais nous avons trouvé cette attitude de Assimi incohérente. Bachar Al Assad , autre partenaire de la Russie n’a pas hésité à s’opposer aux sanctions contrairement au gouvernement malien . En tout cas si Assimi veut donner les gages d’un allié fiable à son nouveau partenaire, il doit assumer ses positions.
Assimi Goita doit également se mettre au travail. Nous avons l’impression qu’il tâtonne trop. Depuis son arrivée le 18 Aout 2020, qu’a-t-il apporté concrètement sur le plan économique ? Quelles sont les actions qu’il entreprend pour faire face aux sanctions ? Personnellement, je constate une certaine forme d’immobilisme. Thomas Sankara à son arrivée au pouvoir présentait un bilan chaque année. Assimi doit comprendre qu’on ne dirige pas un pays uniquement avec des émotions si légitimes soient-elles encore moins avec du populisme . Nous pensons que ce n’est pas le rôle du gouvernement à appeler le peuple à des manifestations de soutien. La société civile peut valablement s’en charger. Assimi doit arrêter d’accueillir les activistes de toutes sortes et se concentrer sur l’essentiel, c’est-à-dire le bien être des maliens . Nous ne sommes pas en train de dire qu’il doit chasser les activistes qui viennent dans le pays. Mais il doit laisser la tache de l’accueil à des personnes plus appropriées. Il doit être occupé à des soucis plus importants . Toutefois, il ne faudrait pas se servir de passage pour prétendre que nous méprisons les activistes. Loin de là . On dirige un pays avec la culture du résultat. Même si les résultats semblent satisfaisants sur le plan sécuritaire, Assimi doit veiller à ce qu’ils soient aussi sur le plan économique. Il doit être en mesure de présenter un bilan au peuple au moins chaque année. C’est ce qui est attendu de lui. Dans le cas contraire, il pourrait avoir de mauvaises surprises.
Quoiqu’il en soit , ce qui se passe au Mali est d’un enjeu capital pour la survie de son empire en Afrique . On peut donc dire que c’est le début de la fin de l’empire français qui joue au Mali . Mais Assimi Goita sera-t-il à la hauteur face à ces enjeux ? En tout cas, c’est ce que nous pouvons espérer.

Auteur
Asante Harouna
Chercheur indépendant
asanteh@live.fr

Mis en ligne par Boucar DIOUF

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