Ancien procureur de la Crei : Alioune Ndao assène ses vérités et se déclare candidat à la présidentielle de 2024
Depuis qu’il a quitté la magistrature pour jouir d’une retraite amplement méritée après d’excellents et loyaux services à son pays, en 2019, l’ancien Procureur spécial Alioune Ndao est resté dans son petit coin, pour peaufiner ses projets. Pour bon nombre de Sénégalais, le nom de Alioune Ndao est quasiment indissociable de l’affaire dite «Karim Wade». C’est lui qui avait arrêté le fils de l’ancien président de la République dans l’affaire de la traque aux biens mal acquis, jusqu’à ce qu’un jour l’autorité le limoge en pleine audience, sans daigner avoir l’élégance de l’en informer ; comme quelqu’un qui a peur de ses actes ou qui se soucie peu des règles, ne serait-ce que morales. Du moins, c’est la conclusion qu’il faut en tirer, si l’on en croit Alioune Ndao. Pourquoi l’autorité a-t-elle agi ainsi, à l’encontre du Procureur spécial qu’elle avait choisi pour mener la traque aux biens illicitement acquis ? «J’étais à couteaux tirés avec le ministre de la Justice Sidiki Kaba et avec Macky Sall même», révèle l’intéressé. Traque des biens mal acquis, poursuite des personnalités ciblées, «8 milliards» de biens supposés appartenir à Macky Sall, «7 milliards» de Taïwan révélés par Idrissa Seck, arrêt des poursuites contre Abdoulaye Baldé… l’ancien tailleur devenu maçon, militaire, policier, avant d’embrasser la carrière de magistrat et qui ambitionne de devenir président de la République avec sa formation politique, le Parti pour la Justice, la Démocratie et le Développement (Pj2d) And Doxal Deug, déballe à haute intensité.
Les Echos : Vous êtes un magistrat à la retraite, notoirement connu au Sénégal, pouvez-vous revenir sur votre cursus et votre carrière de magistrat ?
Alioune Ndao : Je peux dire que j’ai un cursus un peu atypique, parce que j’ai quitté l’école un peu tôt pour embrasser le métier de tailleur. Ensuite, après un peu plus d’un an, j’ai quitté pour devenir maçon. J’ai fait la maçonnerie pendant deux ans, puis j’ai abandonné pour aller à l’armée nationale. J’ai eu la chance d’être affecté au Prytanée militaire de Saint Louis. Et j’ai fait toute ma durée légale là-bas. A la fin de mon service militaire, j’ai réussi au concours de la gendarmerie nationale comme élève gendarme, mais, malheureusement, je n’ai pu terminer mon stage parce que j’avais des soucis de santé et j’ai quitté la gendarmerie pour entrer à l’Ecole nationale de police comme gardien de la paix.
J’ai fait donc 12 années dans la police et c’est durant cette période que j’ai commencé des études de droit à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, en capacité. Deux années après, j’ai eu ma capacité en droit. J’ai commencé mes études en droit et j’ai terminé quatre ans plus tard. Ensuite, j’ai fait le concours de la magistrature que j’ai réussi. Après, je suis sorti major de ma promotion.
J’ai fait Ziguinchor, Kolda, Tambacounda avant de rejoindre le ministère de la Justice comme conseiller technique et trois ans plus tard, on m’a affecté au Parquet général de la Cour d’appel de Dakar comme Substitut général dans un premier temps, ensuite Avocat général et puis on m’a nommé à la Cour de répression de l’enrichissement illicite comme Procureur spécial. Moins de trois ans après, je suis retourné au Parquet général de Dakar comme Premier avocat général. C’est là où j’ai pris ma retraite en fin 2019. Je signale également que je fus formateur au Centre de formation judiciaire (Cfj) et j’étais chargé pendant 12 ans de la formation des futurs Procureurs.
De tailleur à Procureur spécial, c’est un beau parcours…
Si j’ai insisté pour mettre en avant mon cursus, c’est pour donner un exemple aux jeunes qui n’ont pas eu la chance d’aller à l’école. C’est une occasion pour leur dire que rien n’est définitivement scellé, qu’il y a toujours un espoir dans la vie.
Avez-vous des faits que vous regrettez que voudriez corriger si c’était à refaire ?
Non ! Je ne pense pas. Je suis un bon musulman. Et en tant que musulman, je crois que dans mon cursus, il y a la main de Dieu. C’est Dieu qui me guide dans les différentes étapes de mon parcours. Et en bon musulman, je dois admettre que le parcours que j’ai effectué, c’est mon destin. Je ne pouvais faire autre chose que cela. Donc je n’ai absolument rien à regretter.
«Le privilège donné à certains magistrats d’aller à la retraite à 68 ans fragilise la magistrature»
Revenons à la magistrature, on voit qu’avec la réforme, la retraite à 68 ans est le privilège de certains magistrats seulement. Quelle est votre position à ce propos ?
Ma position est celle de tous les magistrats qui ne bénéficient pas de cela. Je pense qu’il y a, dans cette loi, une violation du principe constitutionnel de l’égalité des citoyens devant la loi. Parce que vous pouvez être d’une même promotion et que, parmi cette promotion, certains bénéficient des postes de responsabilité qui leur permettent d’aller à 68 ans, alors que d’autres quittent à 65 ans. Et, au-delà de ça, cette loi fragilise une partie des magistrats, surtout ceux qui dirigent la magistrature.
En quoi ?
Parce que, normalement, vous allez à la retraite à 65 ans. Mais quand on vous donne le privilège d’aller à 68 ans, vous ne ferez rien qui irait à l’encontre des désirs du pouvoir exécutif, car votre désir, c’est de rester à ce poste jusqu’à la fin des 68 ans. Pire encore, ceux qui sont à moins de 10 ans de la retraite aspirent tous à bénéficier de ce privilège-là. Et cette fragilisation ne se limite pas à ceux qui occupent les postes, mais à tous ceux qui aspirent à ces postes-là. Et c’est tellement vrai d’ailleurs que l’Union des magistrats sénégalais (Ums), aussi bien le bureau sortant que l’actuel bureau, fait de cette question l’un des points de revendications. J’estime qu’il faut soit revenir à 65 ans ou bien élargir à 68 ans.
La justice fait aujourd’hui l’objet de toutes les critiques ; son autorité, même celle des magistrats, n’est plus respectée, quelle analyse et quel regard portez-vous aujourd’hui sur cette justice ?
C’est vraiment regrettable de le dire, mais cette justice, en ce moment, est sous ordre. Cela ne veut pas dire que tous les magistrats sont sous ordre. Il y a des magistrats indépendants, intègres. Mais, malheureusement, le système mis en place est tel qu’aucun magistrat ne pourra faire valoir son indépendance. C’est pourquoi je suis contre l’actuel bureau quand il dit que l’indépendance est une question de personne. L’indépendance est d’abord une question de système. On a beau vouloir être indépendant, mais quand le système ne permet pas d’être indépendant, vous ne le serez jamais. Si quelqu’un fait acte d’indépendance, au premier Conseil supérieur de la magistrature, il est relevé de ses fonctions. Le cas Ngor Diop est bien là pour le prouver. Même si, par la suite, la Cour suprême a essayé de réparer, mais c’est tardivement que cette réparation a eu lieu. Pour dire que le système actuel ne permet pas à un magistrat d’être indépendant. Par conséquent, c’est sur ce manque d’indépendance que les critiques se fondent et ce sont des critiques justifiées. On a besoin d’une justice indépendante dans ce pays, c’est ce qui manque le plus. L’ancien bureau faisait de cette indépendance de la justice un point de bataille important, mais ce qu’on remarque actuellement, c’est que le nouveau bureau a carrément abandonné cette question-là. On a l’impression que les magistrats se soumettent au pouvoir exécutif. Ils ne se battent plus pour l’indépendance de la justice et c’est vraiment regrettable.
Vous voulez dire qu’actuellement l’Ums ne se bat plus pour l’indépendance de la justice ?
Non, non ! Apparemment, cela ne fait plus partie de ses revendications. L’Ums se bagarre plutôt pour des questions matérielles. Mais le principe d’indépendance, à mon avis, a été abandonné dans le cadre de la bataille de l’Ums. Et c’est vraiment dommage. Parce que le pouvoir actuel, tous les pouvoirs qui sont passés ne cèdent sur les questions que dans le cadre de la confrontation. Ce n’est pas dans le cadre de la négociation que ces questions seront réglées. La preuve, c’est que les plus grands acquis de l’Ums ont été obtenus dans le cadre d’une confrontation avec le pouvoir exécutif. Ce n’est pas dans la négociation que l’exécutif va donner l’indépendance à la justice ; ce n’est pas possible. Il ne le fera jamais.
Qu’est-ce qu’il faudrait, selon vous, pour retrouver cette bonne perception de la justice ?
A mon avis, il faut enlever au ministre de la Justice tout le pouvoir qu’il a dans la gestion de la carrière du magistrat. Et créer un organe indépendant, autonome qui sera chargé, à côté du Conseil supérieur de la magistrature, de recevoir les demandes, de les traiter, et de les transmettre au Conseil supérieur de la magistrature. Mais tant que c’est le ministre de la Justice qui décide qui sera affecté, qui sera nommé, l’indépendance de la justice sera toujours sur le plateau. Il faudra maintenant casser ce système-là, enlever au ministre de la Justice tout pouvoir sur la gestion de la carrière du magistrat. Tant que ce dernier aura la possibilité de choisir, la situation ne changera jamais.
Revenons un peu à votre carrière, pour parler de ce fameux dossier dit «Karim Wade», n’est-ce pas le dossier qui vous a le plus marqué durant votre carrière ?
En fait j’ai deux dossiers qui m’ont marqué dans ma carrière. Le premier, c’est le dossier «Alex-Ino». J’ai eu à participer au traitement de ce dossier au niveau de la Cour d’appel. C’est moi qui rédigeais les réquisitoires des renvois, c’est moi qui étais à l’audience pendant 10 jours, avec Antoine Diome à mes côtés. Nous représentions le Ministère public. Il y a ensuite, bien sûr, le dossier Karim Wade.
Où vous vous êtes retrouvés encore avec Antoine Diome à vos côtés ?
Voilà, Antoine Diome est venu à mes côtés. Antoine, on a cheminé ensemble au Parquet général pendant quelques années et puis on s’est retrouvé au Parquet spécial.
«Pour le dossier Karim Wade, j’avais en face des personnes qui avaient des moyens extrêmement puissants, en termes d’argent et aussi en termes mystiques»
Est-ce que c’était difficile, en tant que Procureur spécial, de gérer ce dossier avec toute la pression qu’il y avait ?
C’est sûr que c’était une grosse affaire, pour ne pas dire que c’était une patate chaude. Mais, la chance que j’avais, c’est mon cursus d’ancien militaire, de gendarme, de policier, et surtout ma carrière au parquet. Je suis donc habitué à faire face à de grosses affaires. C’est toute cette expérience qui m’a permis de bien gérer ce dossier extrêmement difficile, avec toute la pression qu’il y avait. J’avais en face des personnes qui connaissaient bien les rouages de l’administration, qui avaient des moyens extrêmement puissants, en termes d’argent et aussi en termes mystiques. Il faut bien que je le souligne. Mais, le bon Dieu nous a permis de faire face.
Donc quand vous parlez de pression, vous faites allusion à tout cela, même le côté mystique ?
Il y a l’argent, le côté mystique, tout, tout et tout. Vraiment ! Et puis le caractère frileux du pouvoir qui tremblait à la petite occasion. On subissait des pressions de toutes parts. Oui, je faisais face à toutes sortes de pressions.
Est-ce que vous avez une fois senti que vous êtiez atteint mystiquement ?
Non pas du tout ! Mais, il m’arrivait d’être fatigué. Avec toute cette pression, un être humain normal parfois rencontre quelques difficultés ; c’est tout à fait normal. Mais, je comptais sur deux choses, d’abord sur le soutien du ministre de la Justice, en l’occurrence Mme Aminata Touré, à l’époque, qui était vraiment très proche de nous, qui m’appelait régulièrement pour voir dans quel état je me trouvais. D’ailleurs, je peux raconter une anecdote ; un jour, elle m’a appelé à une réunion à 9 heures, j’avais les traits un peu tirés, je suis rentré au bureau ; elle m’a dit : ‘’ça va ? Vous allez bien ?’’ Je lui dis : ‘’ça va très bien Mme le Ministre’’. Pour dire vraiment qu’elle était très préoccupée de notre état ; ça je tiens à le dire aujourd’hui. Et puis j’étais avec Antoine (Diome), on était au coude à coude, soudé, cela nous a permis de relever les défis dans la gestion de ce dossier-là.
«L’impression que nous avions, c’était que Monsieur Sidiki Kaba a été nommé pour mettre fin à la traque. (…) Le Président m’a dit qu’il ne savait pas que Sidiki Kaba était dans le dossier Karim Wade. Je ne l’ai pas cru»
Il y a eu ce fameux jour où vous avez été relevé de vos fonctions en tant que Procureur spécial au cours du procès. Qu’est-ce qui s’est réellement passé ?
En fait, l’affaire remonte à plus loin que cela. Parce que j’ai eu un contentieux avec le ministre de la Justice et le Président Macky Sall !
Vous parlez de Mme Aminata Touré ?
Non. Je parle de Sidiki Kaba. Avec Mme Aminata Touré, on n’a jamais eu de problème. C’est lorsqu’elle a été nommée Premier ministre que les problèmes ont commencé. Nous, l’impression que nous avons eue avec la nomination de Sidiki Kaba, c’est qu’il a été nommé afin de mettre fin à la traque. C’est la perception que nous avions, pas de manière officielle, mais officieuse. Et d’ailleurs, j’ai interpellé Monsieur le Président de la République un jour lors d’une audience. Je lui ai dit : ‘’Monsieur le Président, pourquoi vous avez nommé monsieur Sidiki Kaba alors qu’il était dans le dossier Karim Wade ? Il m’a répondu qu’il ne le savait pas’’.
Je ne l’ai pas cru. Et ça s’est arrêté là. Et donc, à la fin, j’ai eu des difficultés avec le ministre Kaba; on était à couteaux tirés et même avec le Président de la République lui-même. Le Président m’a appelé un soir, lorsque l’affaire Karim Wade a été pliée, et c’est là où il y a eu une grave injustice à l’encontre de Karim Wade. Lorsque cette affaire a été pliée, j’ai senti des réticences de la part du pouvoir exécutif pour la poursuite des autres dossiers. On a commencé par l’affaire Tahibou Ndiaye. Le Président m’a appelé jusqu’au palais, heureusement que j’ai eu l’intelligence d’emmener Antoine Diome avec moi – donc il est témoin de ce que je dis, en ce moment- il m’a dit : ‘’il paraît que Tahibou ne jouit pas de ses facultés mentales’’ ; je lui dis : ‘’mais non Monsieur le Président, il est plus sain d’esprit que vous’’. Il m’a dit : ‘’est-ce qu’il n’y a pas possibilité… ?’’ Je dis : ‘’non Monsieur le Président, force doit rester à la loi’’. Ensuite la seconde fois, c’était l’affaire Abdoulaye Baldé. Là également, il m’a appelé au palais pour me dire : ‘’laisse Abdoulaye Baldé’’. Je dis : ‘’non, je ne vais pas le laisser, Monsieur le Président ! J’ai déjà fait l’enquête et je vais terminer ma procédure’’.
Et un autre élément s’est ajouté à cela, c’est que dans l’affaire Aïda Ndiongue, j’avais vu que la dame avait fait sortir du territoire national deux fois quatre milliards, qui avaient été versés dans deux emprunts obligataires, en Côte d’Ivoire, donc cela faisait huit milliards. Je voulais savoir si les autres n’avaient pas fait la même chose. Et j’avais demandé à l’équipe d’enquêteurs de la police dirigée par l’ancien patron Bocar Yague de mener des investigations dans les quatre plus grandes banques de ce pays : la Bicis, Cbao, Sgbs, j’ai oublié la quatrième. Et lorsque le Président a été informé de cela, il m’a appelé pour me dire : ‘’Monsieur le Procureur spécial, on me dit que vous êtes en train de créer la zizanie’’ ; je lui dis : ‘’non Monsieur le Président, ce n’est pas la zizanie’’. Lorsque je lui ai expliqué, il a dit : ‘’Ah bon, c’est comme ça ?’’ Je lui dis : ‘’oui’’. Pour toute réponse, il m’a dit : ‘’non, après les enquêtes, vous me donnez les résultats comme ça je vais les tenir sur le plan politique’’. Je me suis dit : ‘’mais pour qui il me prend ce monsieur, il oublie qu’il parle à un procureur ?’’ Je n’ai pas fait ça. Et donc lorsque j’ai eu des résultats, j’ai immédiatement ouvert des enquêtes concernant ces personnes-là.
«Le Président m’a dit : laisse Abdoulaye Baldé (…) J’ai orienté des enquêtes vers les gens du régime et même les biens du Président»
Quand vous dites les autres, vous faites allusions aux 25 autres personnes qui étaient sur la liste qui vous a été remise ?
Oui, mais cela fait même plus de 25, parce que j’ai ouvert d’autres dossiers. J’ai même orienté des enquêtes vers les gens du régime actuel.
Ah oui ?
Oui ! J’avais commencé à investiguer sur le patrimoine du président Macky Sall. Il a déclaré 8 milliards de francs, mais attendez, je me suis dit : ‘’mais, comment en 7 ans de présence dans les plus hautes sphères de ce pays, il peut se retrouver avec 8 milliards ?’’ Ensuite j’ai commencé à investiguer sur les 7 milliards de Taïwan que Monsieur Idrissa Seck dénonçait régulièrement lorsqu’il était dans l’opposition. Je voulais savoir d’où venait l’argent et comment cet argent a été utilisé ? Et j’ai eu des traçabilités. Donc, l’un dans l’autre, j’étais une personne indésirée. Maintenant, le jour de l’audience, contrairement à ce qui a été dit, je n’ai pas reçu de SMS. On était en pleine audience et à un moment donné, le président Henry Grégoire a demandé que l’audience soit suspendue. Alors on a suspendu, comme on le fait tous les jours. Après, il me dit qu’il est convoqué au ministère. Puisqu’on avait aménagé deux salles de repos pour le parquet et pour le siège, je suis allé dans la salle de repos qui nous était aménagée. J’avais mis un petit lit pour pouvoir me reposer. Je me suis étalé sur le lit. Environ 5 minutes après, mon téléphone sonne et c’était une cousine, Ndèye Kane, qui m’appelle pour me dire : ‘’mais Badou -comme on m’appelle dans la famille-, il paraît qu’on vous a remplacé ?’’ Je dis : ‘’Ah bon ?’’ Elle me dit que la télévision était en train de passer l’information. Je dis : ‘’ok, on va voir’’. Quelques minutes après, mon épouse m’appelle pour me dire la même chose. En réalité, Henry Grégoire a été appelé au ministère pour être informé de ce que je venais d’être limogé. Alors lorsqu’il est revenu, il était avec son équipe, ils sont venus me voir et je lui ai dit : ‘’Monsieur le Président, c’est dommage, je viens d’apprendre la nouvelle, je l’ai apprise avant vous. On a ri. Il a repris l’audience, je suis rentré chez moi.
Aujourd’hui, avez-vous des regrets par rapport à cela ? Quel sentiment vous anime ?
Non ! je n’ai pas de regrets. Je ne regarde jamais derrière, je regarde toujours devant moi. Pour moi, j’avais une mission à accomplir au niveau de la Crei, j’ai terminé cette mission et puis c’est fini, je regarde devant moi. Je n’ai vraiment aucun regret. D’ailleurs, pourquoi avoir des regrets ? Car, si vous voyez les magistrats qui sont actuellement à la Crei dans quelle situation ils sont, vous comprendrez pourquoi je n’ai aucune raison d’avoir des regrets. J’ai retrouvé mon indépendance de parole. J’ai recouvré toute ma liberté. D’ailleurs, l’un d’eux est venu jusque dans mon bureau pour me dire : ‘’grand vous pouvez lever haut la main et dire : ‘Diarama Alhamdulillah’ pour ce que vous avez fait’’. Et il me dit : ‘’pour savoir combien vous aviez raison, il faut venir nous trouver à la Crei pour voir dans quelle situation nous nous trouvons’’. Quel regret devrais-je avoir pour avoir quitté cette Cour alors que ceux qui sont restés sont dans cette situation ?
Mais fouiller dans le placard du président de la République, n’était-ce pas trop osé ?
Mais, la loi sur l’enrichissement illicite s’applique à tout le monde, y compris le président de la République. Je dois faire une précision de taille, parce qu’il y a beaucoup d’amalgames sur l’enrichissement illicite. Beaucoup de gens croient qu’il faut trouver la personne avec une fortune et puis on lui demande de s’expliquer sur cette fortune. C’est faux ! l’enrichissement illicite s’applique à ceux qui ont un mandat public. L’enrichissement illicite ne s’applique pas, excusez-moi de les nommer, à un Bougane Guèye Dani, à un Youssou Ndour, à un Serigne Mboup, parce que c’est des gens qui ont bâti leur propre fortune, mais ceux qui ont eu des mandats publics, qu’ils soient présidents de la République ou ministres ou magistrats, etc. et qui, pendant cette période, se sont enrichis de manière inconsidérée, ce sont ceux-là qui sont les justiciables de l’enrichissement illicite.
Apparemment vous n’avez pas totalement tourné la page de la justice, car vous venez de créer le Parti pour la Justice, la Démocratie et le Développement (Pj2d) And Doxal Deug, est-ce cet événement qui vous a poussé à vous lancer dans la politique ?
En fait, j’avais un projet de me lancer dans la politique depuis plus de 10 ans. Cela veut dire que ce projet dépasse largement la traque, le dossier Karim Wade etc. Je m’étais toujours dit qu’après la retraite, j’allais m’engager en politique. Il est vrai qu’on ne peut pas avoir passé plus de 30 ans dans un secteur sans qu’il y ait des traces dans votre esprit et que ces traces émanent de ce secteur. La justice m’a bien formaté, ça je le reconnais. Mais, la justice dont je parle dans le cadre de mon parti dénommé Parti pour la Justice, la Démocratie et le Développement (Pj2d) And Doxal Deug, c’est la justice in globo, y compris la justice judiciaire ; c’est la justice dans sa globalité. Ce qu’on a remarqué dans le régime de Macky Sall, c’est qu’il y a eu beaucoup d’injustices, aussi bien sur le plan judiciaire que sur les autres plans. Je prends l’exemple de l’hôpital Le Dantec ; ce qui s’est passé est un scandale. Un vrai scandale. Comment peut-on se réveiller du jour au lendemain et fermer un hôpital, alors qu’il y a des milliers de malades qui se lèvent tous les jours pour venir se soigner, sans aucune mesure d’accompagnement ? Je connais un proche qui suivait son traitement à l’hôpital Le Dantec mais qui ne sait plus à quel saint se vouer.
«Je suis candidat à l’élection présidentielle de 2024»
Avez-vous l’ambition de vous présenter à l’élection présidentielle de 2024 ?
Oui ! Si j’ai décidé d’entrer en politique, c’est principalement pour briguer le poste de président de la République. Donc, j’ai décidé, avec les membres de mon parti, d’aller à l’élection présidentielle de 2024. Ça c’est une décision irrévocable. Je vais être candidat à l’élection présidentielle de 2024.
Participer à l’élection présidentielle demande une bonne assise financière. Etes-vous prêt financièrement ?
Tout est une question d’organisation. Nous sommes en train de nous préparer, les membres de mon parti et moi, pour trouver les moyens nécessaires pour pouvoir participer à cette élection ; d’abord pour battre campagne et même avant, pour aller vers les gens et ensuite préparer notre caution et battre campagne. Nous sommes optimistes sur ce plan.
Pourquoi avez-vous décidé d’y aller seul, pourquoi ne pas s’aligner derrière un candidat ?
C’est une décision de mon parti que j’aille seul au premier tour. Maintenant, lorsqu’il y aura un deuxième tour, c’est là où naissent les alliances. Mais, dans un premier temps, comme l’ont fait ceux qui m’ont précédé, mon parti a décidé que j’y aille seul. Maintenant, cela n’exclut pas qu’il y ait des liens d’alliance ou en tout cas de bons rapports avec les partis de l’opposition, parce que je signale que mon parti est ancré dans l’opposition et que son objectif, comme pour tous les partis d’opposition, c’est mettre fin au règne de Macky Sall en 2024. Et donc sur ce plan, nous pourrons avoir de bonnes relations. Mais quant à nous aligner derrière un candidat, c’est une hypothèse qui a été d’office exclue par les membres de mon parti.
Quel est votre avis, par rapport à une éventuelle candidature de Macky Sall ? Peut-il avoir un 3ème mandat, selon vous ?
Cette question, vous la posez aux étudiants de première année de droit, la réponse sera claire et nette. L’article 27 de la constitution ne prévoit que deux mandats consécutifs.
«Je demande gentiment à mon frère Antoine Diome de me délivrer mon récépissé»
Etes vous prêts pour vous engager dans l’arène politique ?
Avant de répondre à cette question, je précise sur un point. Le parti a été créé le 24 novembre 2021. Et depuis février 2022, j’ai déposé le dossier de reconnaissance juridique à la préfecture de Guédiawaye, aujourd’hui, le dossier traine au niveau du ministère de l’Intérieur, chez mon jeune frère Antoine Diome. Vraiment, je lui demande gentiment de me délivrer ce récépissé, parce qu’on l’avait retourné pour correction et j’ai fait toutes les corrections nécessaires. Je ne veux pas que cette question soit sur la place publique ; on a rempli toutes les conditions pour avoir le récépissé. Donc je demande gentiment à mon jeune frère Antoine Diome de me délivrer ce récépissé. Les membres de mon parti veulent que l’on fasse la politique d’une autre manière. Ils ont beaucoup insisté là-dessus. Nous n’allons pas nous inscrire dans les injures, les calomnies et autres. D’ailleurs, la dénomination de notre parti est suffisamment claire. En wolof c’est And Doxal Deug. Nous allons nous inscrire dans ce cadre ; tout ce qui est Deug, tout ce qui est vérité, nous allons y adhérer, mais tout ce qui n’est pas ça, ce n’est pas notre problème. Nous voulons une autre manière de faire de la politique. Maintenant, si nous sommes attaqués, nous allons répondre.
Aujourd’hui si vous aviez la possibilité de changer quelque chose au Sénégal, vous commenceriez par quoi ?
J’estime qu’au Sénégal, tout est priorité. Les paysans ne sont pas contents, les pêcheurs ne le sont pas, les personnels de santé non plus, les enseignants, les élèves idem. Mais, je commencerais par le secteur que je connais le mieux, la justice. Il faut assurer à la justice une indépendance claire. Parce que d’après ce que j’entends chez les gens, j’ai l’impression que le peuple a besoin d’une bonne justice. Tout le monde se réunit autour d’une bonne justice. Parce que c’est une question de législation. On règle cette question et on avance. Ensuite la démocratie sénégalaise. Il faut qu’on ait une bonne démocratie, qu’on revienne aux fondamentaux du code consensuel de 1992. Abdoulaye Wade a été élu sur la base de ce code, Macky Sall également, mais il a modifié toutes les règles du jeu. Donc on va revenir aux fondamentaux pour que tous les citoyens qui veulent entrer en politique aient la possibilité de le faire pour participer aux élections.
Pour arriver à vos fins, il vous faudra le vote de la majorité des Sénégalais…
Je tends la main à tous les Sénégalais, parce que mon vœu, mon souhait, c’est de faire sortir ce pays des goulots d’étranglement dans lesquels les hommes politiques, notamment le régime en place, l’ont mis. Vraiment nous voulons développer ce pays ; nous ne parlons pas d’émergence, nous parlons de développement. Nous voulons faire développer ce pays, parce que nous sommes en retard par rapport à beaucoup de pays. Les autres sont en train de nous laisser derrière. Au Sénégal, on a un problème de dirigeants. Ce sont les dirigeants qui ont causé ce retard parce que dès qu’ils sont élus, ils se préoccupent de leur réélection, de sorte qu’ils ne travaillent plus. Je pense qu’il va falloir sortir de toutes ces considérations, mettre ce pays sur les bons rails, dans la droiture, avec une justice qui ne sera pas une justice sélective. Une justice qui sera au-dessus de tout soupçon. Car la corruption va disparaître. Donc je tends la main aux Sénégalais que ce soit ceux qui font la politique ou la grande masse que sont les Sénégalais qui ne sortent que pour voter.
Alassane DRAME Pour Les Echos