Environnement

Sénégal : la ruée vers le zircon menace le désert de Lompoul

Sénégal : la ruée vers le zircon menace le désert de Lompoul
La drague flottante et mobile de la mine Grande Côte Opérations (GCO) qui extrait du zircon, le 5 mai 2023, à Lompoul. SYLVAIN CHERKAOUI POUR « LE MONDE »

A mi-chemin entre Dakar et Saint-Louis, l’énorme drague flottante de la société Grande Côte Opérations avale le sable à la recherche du précieux minerai.

Tels des monstres tentaculaires, les machines reliées par d’épais tuyaux flottant sur un bassin artificiel avancent doucement sur la dune. La mine mobile de la société Grande Côte Opérations (GCO) se rapproche de son but : le désert de Lompoul, à 200 kilomètres au nord de Dakar. Un site très touristique, à mi-chemin entre la capitale sénégalaise et Saint-Louis, qui regorge de minerais, notamment de zircon.

Comme l’ilménite et le rutile, ce minerai utilisé en joaillerie, dans l’industrie nucléaire et le secteur automobile est extrait des sables. Détenue à 90 % par le groupe français Eramet et à 10 % par l’Etat du Sénégal, GCO en est désormais le quatrième producteur mondial. L’entreprise, qui a produit plus de 750 000 tonnes de concentré de sables minéralisés en 2022, dont 15 % de zircon, voit grand. « Notre production va augmenter entre 2024 et 2027, anticipe Guillaume Kurek, son directeur général, car la première partie du désert de Lompoul a une forte teneur en minerai et les dunes sont hautes. »

Le projet de plus de 800 millions d’euros d’investissement est ambitieux : la zone minière qui se déplace de trente mètres par jour s’étend sur plus d’un kilomètre et progresse sur la dune côtière entre la bande de filaos, des arbres plantés pour fixer les dunes, et la zone de maraîchage. En amont, les machines défrichent le terrain, où se trouvent des arbres, des champs, des routes ou des habitations qui sont rasés ou déplacés. Suit la drague flottant sur un bassin artificiel qui pompe le sable, envoyé par de larges tuyaux jusqu’à l’imposante unité de concentration – elle aussi flottante – qui sépare le sable minéralisé du sable ordinaire rejeté à l’arrière de l’unité. Seuls 2 % des 150 000 tonnes de sable traitées chaque jour sont conservés.

A l’arrière, des machines réhabilitent le terrain, en essayant de respecter une topographie similaire au paysage qui a été rasé. Mais l’arrivée de la mine mobile au niveau du désert de Lompoul inquiète les populations, qui craignent que le complexe industriel abîme l’environnement et nuise au tourisme.

Le projet fou de construire une « oasis du désert »

« C’est peine perdue de résister à l’arrivée de la mine », se lamente Justin Sarr, réceptionniste du Camp du désert, un terrain piqué de tentes blanches au creux d’une dune de sable orangé, au milieu des eucalyptus, où il travaille depuis cinq ans. La fermeture du campement est prévue en octobre 2023. « Est-ce que je vais trouver un travail où je vais avoir la même passion que dans le désert ? », se demande le jeune homme.

Même si GCO a promis des contreparties, la même question hante les habitants du village de Lompoul, d’où partent les excursions dans le désert. Pape Yerim Sow vend de l’artisanat local et joue du djembé le soir autour du feu dans les campements. « Toutes mes activités dépendent des touristes. S’il y a la mine, je perds tout », s’insurge le père de famille. « A nous, les impactés indirects, GCO n’a rien proposé car ils vont indemniser seulement ceux qui occupent le désert », critique Pape Yerim Sow, qui pense à déménager dans une autre zone touristique comme Saint-Louis ou le delta du Sine Saloum.

Pour répondre à ces impacts, GCO s’est lancée dans le projet fou de construire une « oasis du désert » de toutes pièces, sur un terrain où est déjà passée la drague, à dix kilomètres du site touristique actuel. Le chantier, encore en cours, a commencé en juillet 2022 et doit se terminer avant que les campements ne ferment pour éviter l’interruption du tourisme. « Nous avons reconstitué la dune originale, planté une palmeraie sur huit hectares, avec au milieu un plan d’eau de 2 000 m2. Nous allons aussi aménager le littoral qui n’est pas loin », détaille Samba Fall, chef du projet pour GCO.

Car l’objectif est d’inciter les touristes à rester plus d’une nuit sur le site. « Cette oasis nous permettra de répondre aux emplois indirects, qui ne sont pas intégrés dans la démarche de compensation obligatoire, et donc de maintenir l’activité des petites restaurations, des loisirs sportifs, des balades en chameaux, des prestations artistiques ou de la vente d’artisanat », espère M. Kurek.

L’inquiétude des acteurs du tourisme

Ces infrastructures construites par la société minière pour un budget total de 5 millions d’euros seront ensuite transférées à la Sapco, société publique d’aménagement et de promotion des côtes et zones touristiques au Sénégal qui aura la charge de trouver les opérateurs. « Nous avons fait un premier tour de table avec les propriétaires des lodges actuels car ils connaissent déjà les circuits touristiques et sont connectés avec les tour-opérateurs », explique M. Kurek.

Mais les acteurs touristiques ont encore des inquiétudes sur les modalités d’attribution de la gestion du lieu. « Pour l’instant, il n’y a pas grand-chose de construit », constate Abdou Ba, gérant du Camp du désert, après avoir visité le chantier de l’oasis de GCO. « C’est luxueux, il y aura une piscine, mais ce n’est pas ce que nous voulons. Nous souhaitons recevoir des dédommagements pour lancer notre propre projet sur un autre terrain », continue le professionnel du tourisme. Des négociations sont encore en cours pour évaluer le montant des compensations distribuées aux entreprises touristiques.

A quelques mètres du bord du bassin où tourne la gigantesque usine de concentration se trouvent toujours de petites maisons blanches devant lesquelles du linge coloré est en train de sécher. Ces habitants n’ont pas suivi la délocalisation du village de Thiokhmat, qui est sur le chemin de la mine vers le désert de Lompoul.

« Il arrive que les négociations prennent du temps, donc nous nous retrouvons avec des hameaux autour de la drague, ce qui n’était pas prévu », reconnaît Ousmane Goudiaby, chef de département des relations avec les communautés de GCO, alors que la mine n’a jamais été aussi proche des habitations. Depuis le début de l’exploitation, trois villages et 2 000 personnes ont été déplacés vers des « villages modernes ». Mais « les mines ont souvent un souci avec une opinion négative sur leur impact environnemental », admet M. Goudiaby.

Autre enjeu : l’accès au foncier

Quelques activistes se mobilisent alors pour dénoncer le projet, notamment en pointant du doigt la grosse consommation en eau de l’industrie minière. « Les pistes construites en latérite manquent d’entretien et déposent de la poussière sur nos cultures », critique aussi Cheikh Fall, du collectif de la zone des Niayes, zone agricole où évolue la mine. Il ajoute qu’avec le défrichement et malgré le reboisement, des « plantes originales ont disparu » et « les sols se sont appauvris. » GCO reconnaît que « le sable a perdu sa couche fertile » et ajoute qu’ils travaillent à « amender le sol avec du fumier et en plantant des arbustes », répond M. Goudiaby.

L’autre enjeu est l’accès au foncier, alors que 85 hectares réhabilités ont été rendus à l’Etat sénégalais et que 1 000 hectares devraient être rendus les cinq prochaines années selon le directeur général M. Kurek. « Mais rien de revient aux populations », s’inquiète Serigne Maar Sow, président de l’alliance des jeunes pour le développement de Lompoul village, qui assure que des agriculteurs et des éleveurs ont perdu leurs terres.

De son côté, GCO fait valoir sa politique sociale et environnementale. « La partie relocalisation et communauté représente 14 % de nos dépenses courantes, soit le troisième poste de dépense après l’énergie et la masse salariale », révèle M. Kurek. Si elle reconnaît que l’impact sur son environnement est certain, GCO met en avant en contrepartie son rôle dans l’économique de la région et du Sénégal.

« Nous avons créé plus de 2 000 emplois locaux et nous sommes le sixième contributeur au budget de l’Etat en termes de société minière, en plus d’apporter des devises, se vante M. Kurek, patron de la société qui fait 300 millions d’euros de chiffre d’affaires. A travers les emplois, les achats et les taxes, les retombées correspondent à plus de 120 millions d’euros pour le Sénégal. »

Théa Ollivier pour Le Monde

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