Présidentielle au Sénégal : Ousmane Sonko candidat envers et contre tout
Pour faire enregistrer la candidature de l’opposant à la présidentielle de 2024, son équipe de campagne a dû user de subterfuges face aux obstacles posés par l’administration.
Jusqu’ici tout va bien. C’est, en substance, le message adressé à la presse, ce 27 décembre, par l’état-major des ex-Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef, parti dissous par les autorités). S’il fallait s’en convaincre, le courrier reçu du Conseil constitutionnel par le député Ayib Daffé, mandataire du candidat Ousmane Sonko, afin que celui-ci délègue un représentant lors du tirage au sort de l’ordre d’examen des dossiers de candidature à la présidentielle du 25 février – qui doit se tenir le vendredi 29 décembre – en offre la confirmation. À ce stade préliminaire, le dossier de l’intéressé a en effet été considéré comme complet par l’institution suprême en matière électorale.
Bras de fer
Lors de cette conférence de presse, Ayib Daffé a récapitulé le chemin semé d’embûches qui l’a empêché, à plusieurs reprises au cours des trois derniers mois, de procéder au retrait des fiches de parrainage du candidat emblématique de l’opposition. Une situation découlant du bras de fer engagé par l’État du Sénégal face à Ousmane Sonko, condamné par contumace à deux années de prison le 1er juin pour « corruption de la jeunesse » et incarcéré depuis le 31 juillet après avoir été inculpé dans une autre affaire pour laquelle il risque la réclusion à perpétuité.
Prématurément radié des listes électorales, ce qui l’empêcherait de concourir à la présidentielle, Sonko a par la suite bénéficié de deux décisions de justice successives ordonnant sa réintégration immédiate sur lesdites listes.
Situation incertaine
Mais, faute d’avoir pu obtenir dans les délais de la Direction générale des élections (DGE, dépendant du ministère de l’Intérieur) les fiches de parrainage nécessaires au dépôt de sa candidature, le candidat Ousmane Sonko a dû contourner l’obstacle. Peu avant la date fatidique du 26 décembre, l’un de ses lieutenants a donc déposé son dossier de candidature malgré la situation toujours incertaine du fondateur de l’ex-Pastef.
Concernant son investiture, son parti ayant été dissous, Ousmane Sonko a pu bénéficier de l’appui de Moustapha Mamba Guirassy. Ancien ministre – durant le second mandat d’Abdoulaye Wade – et ancien maire de Kédougou, le fondateur de l’Institut africain de management (IAM) a divulgué l’information au lendemain de Noël dans un communiqué. « Forts des convictions premières relatives aux valeurs et à l’espoir que M. Ousmane Sonko incarne, forts de la vision commune que nous avons du projet politique de transformation de notre pays, nous n’avons, dès lors, d’autre choix que d’appuyer la candidature d’Ousmane Sonko à travers la coalition Sonko 2024 », indique dans ce texte le bureau politique du SET (Sénégal en tête, le parti de Moustapha Guirassy).
Nous avons assisté à des manipulations administratives du droit électoral par des fonctionnaires qui ont voulu usurper les prérogatives et responsabilités du Conseil constitutionnel.
« Depuis le 29 septembre 2023, nous avons assisté à des manipulations administratives du droit électoral par des fonctionnaires qui ont voulu usurper les prérogatives et responsabilités du Conseil constitutionnel, qui est le seul juge de la recevabilité et de la validité des candidatures », a de son côté dénoncé Ayib Daffé devant la presse, non sans préciser que, jusqu’au bout, des obstacles se seront dressés pour entraver la participation d’Ousmane Sonko à la prochaine présidentielle.
Le 30 novembre, le député avait pourtant pu déposer sans encombres le chèque de caution du candidat à la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Après vérification, indique-t-il à Jeune Afrique, ses interlocuteurs « ont vérifié que ce chèque de banque était bien provisionné et [lui] ont remis une quittance ».
Mais au début du mois de décembre, quand Ayib Daffé mandate un huissier pour réclamer à la CDC une véritable attestation afin de joindre ce document au dossier de candidature, « le directeur général de cet organisme a joué à cache-cache » avec celui-ci, précise-t-il. « Nous avons constaté, au niveau des services du ministère de l’Intérieur et de la CDC, qu’ils persistaient dans le banditisme administratif, les voies de fait et la forfaiture, qui sont autant de délits réprimés par le code pénal en son article 106 », assène encore le député.
Plan B
Reste la question fondamentale des parrainages. Depuis trois mois, il a été impossible à Ayib Daffé de retirer auprès de la DGE les fiches en question au nom d’Ousmane Sonko, lesquelles auraient dû comporter un numéro d’identification spécifique. À quelques jours de l’échéance, face à ce blocage, son équipe de campagne a donc reproduit à l’identique les fiches distribuées aux autres candidats, dont les modalités avaient par ailleurs été définies dans un décret pris le 27 septembre.
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Tandis que Bassirou Diomaye Faye, le numéro deux de l’ex-Pastef faisant office de « plan B », lui aussi candidat incarcéré – mais pas encore jugé –, a présenté un dossier de candidature complet en bonne et due forme, Ousmane Sonko a donc dû se contenter d’un dossier de candidature dérogeant légèrement aux formes requises, faute d’avoir obtenu le concours de l’administration en charge des élections.
Et Ayib Daffé d’invoquer une jurisprudence du Conseil constitutionnel datant de 1998, lors des législatives, pour plaider qu’en cas de manquement caractérisé des instances administratives dans un tel contexte, les sept sages ont la prérogative de rétablir dans leurs droits les candidats entravés.
Mehdi Ba Pour JA