Élections

Sénégal : adoubé par Ousmane Sonko, Bassirou Diomaye Faye peut-il mener son camp à la victoire ?

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Bassirou DIOMAYE Faye, SG Pastef, candidat à l'élection présidentielle du 25 février 2024

Au Sénégal, le candidat officiellement désigné par Ousmane Sonko pour le remplacer à l’élection présidentielle débutera sa campagne ce 4 février. En principe, depuis sa cellule du Cap Manuel.

Au sein de leur parti, on les dit « interchangeables ». Ils sont aussi, à leur corps défendant, inséparables. Depuis plusieurs mois, Ousmane Sonko et son bras droit, Bassirou Diomaye Faye, sont incarcérés au même endroit. Dans la même prison mais dans des ailes différentes et avec l’interdiction de communiquer entre eux : les deux hommes, retenus au Cap Manuel en plein centre-ville de Dakar, n’ont pas eu de contact direct depuis longtemps. Et d’ici peu, leurs trajectoires individuelles pourraient prendre des directions bien différentes.

Ousmane Sonko, premier opposant du pays, a perdu tout espoir de se présenter à la présidentielle du 25 février. Plusieurs fois condamné à de la prison ferme pour diffamation et « corruption de la jeunesse », il a vu sa candidature invalidée par le Conseil constitutionnel.

Bassirou Diomaye Faye, co-fondateur des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef, désormais dissous), est lui officiellement candidat. Placé en détention provisoire, il n’a pas encore été jugé pour les faits qui lui sont reprochés : « outrage à magistrat », « diffamation à l’encontre d’un corps constitué », « atteinte à la sûreté de l’État », « association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste » entre autres.

Avec le soutien de Mimi Touré

Ses soutiens l’espèrent : il pourrait être bientôt libéré pour faire campagne. Et s’il en est empêché, d’autres s’en chargeront à sa place. En particulier les candidats Cheikh Tidiane Dieye et Habib Sy, qui ont décidé de ne pas retirer leur candidature mais appellent à voter pour lui. Ce 30 janvier, les alliés de Bassirou Diomaye Faye se sont officiellement réunis à Dakar pour signer la charte de leur coalition baptisée « Bassirou président ». Parmi eux, certains leaders de la coalition d’opposition Yewwi Askan Wi (YAW), comme les anciens ministres du Parti démocratique sénégalais (PDS) Aïda Mbodj ou Moustapha Guirassy, et l’ancienne Première ministre Aminata Touré qui a rompu avec la majorité présidentielle il y a un an.

L’ancienne directrice de campagne de Macky Sall, qui fut sa tête de liste aux législatives de 2022, pourrait constituer un atout précieux pour Bassirou Diomaye Faye. « Mimi Touré », dont le dossier de candidature a été rejeté par le Conseil constitutionnel, a rallié le candidat Pastef immédiatement après avoir été recalée. « Un choix dans la continuité des combats que nous avons menés ensemble, remarque-t-elle. C’est une bonne chose que Bassirou ait été choisi. Il a toujours été un ardent défenseur de nos luttes communes. »

Le rapprochement entre Mimi Touré et le camp d’Ousmane Sonko a pu faire grincer des dents au sein de la coalition YAW. Ce temps-là est-il révolu ? « Ousmane Sonko a toujours été pour les alliances, n’en déplaise à certains, observe son allié Moustapha Guirassy. Cette stratégie va bénéficier à Bassirou Diomaye Faye. Il a la force de la coalition derrière lui, avec sa réserve de voix et l’engagement de ses militants. À terme, toute l’opposition le rejoindra. » Dernière prise espérée : Bougane Guèye Dany, candidat également recalé. Il a reçu le 30 janvier une délégation de la coalition « Bassirou président ».

Pour remporter la victoire le 25 février, Bassirou Diomaye Faye et son équipe misent sur deux choses : être porté par la popularité d’Ousmane Sonko et cristalliser l’espoir des électeurs déçus par Macky Sall et son régime. « L’important, ce n’est pas la personne de Diomaye : c’est ce qu’il incarne », a déclaré Moustapha Guirassy.

« Bassirou, c’est moi ! »

« Bassirou, c’est moi ! Il faut que notre projet se concrétise dès 2024, lançait Ousmane Sonko dans une vidéo enregistrée avant son arrestation, en juillet dernier, mais diffusée à la fin du mois de janvier seulement. Entre tous les cadres de son parti, il a fait le choix de son « petit frère », en qui il voit son double, son clone. « Il a mille fois plus confiance en Bassirou qu’en tous les autres, glissait un de ses proches il y a déjà plusieurs mois. C’est son compagnon de toujours, qui est décisionnaire de tout dans leur parti. Et l’idée de faire élire un candidat emprisonné, après tout ce que Macky Sall lui a fait subir, ne lui déplairait pas. »

Tant pis si Bassirou Diomaye Faye a échoué à décrocher un mandat local lors du scrutin de janvier 2022, où il avait récolté seulement 17 % des suffrages. « Quelle que soit la personne désignée par Ousmane Sonko, elle remportera cette élection. Bassirou a une expérience en tant que commis de l’État, il est bien entouré. Il va s’en sortir. L’important, c’est de balayer le pouvoir », assure un cadre de sa coalition.

Né dans le village de Ndiaganiao, dans le département de Mbour, Bassirou Diomaye Faye est issu d’une famille politisée – son père était membre du Parti socialiste (PS) sénégalais. Comme Sonko quelques années avant lui, il intègre l’ENA de Dakar avant de rejoindre les Impôts et Domaines. En 2018, il est nommé président du mouvement national des cadres du Pastef, puis secrétaire-général du Pastef en 2022. Réputé intègre, il n’a pas le parler « cash » de son aîné mais en partage les combats, son refus d’une opposition conciliante et son désir d’un changement « radical ». « La machine de communication de la coalition présidentielle a présenté Ousmane Sonko comme un radical insurrectionnel. De Bassirou, sage, calme, ils ne pourront rien dire », assure Moustapha Guirassy.

« Leur slogan ne dit-il pas : Sonko c’est Bassirou, Bassirou c’est Sonko ? » rétorque un cadre de la coalition présidentielle. « Si nous nous retrouvons face à lui au second tour, nous misons sur un sursaut républicain, assure notre interlocuteur, également membre de l’équipe du Premier ministre Amadou Ba, candidat de la majorité. Les Sénégalais ne voudront pas placer le pays entre des mains inexpérimentées. »

« Son seul défaut ? Être en prison »

Porteur du même projet qu’Ousmane Sonko (qu’il a conçu avec lui) sans avoir subi les mêmes critiques, Bassirou Diomaye Faye saura-t-il rassembler les voix de l’opposition autour de sa candidature ? « Il n’a qu’un seul défaut, c’est d’être en prison », avance Aminata Touré. Les cinq demandes de liberté provisoire déposées jusqu’ici par ses avocats ont toutes été rejetées. Ses proches espéraient pourtant le voir sortir, ce mardi 30 janvier, mais le doyen des juges a rejeté sa requête.

« Cette question de la libération provisoire est une patate chaude entre les mains du pouvoir, remarque le cadre de la coalition « Bassirou président » cité précédemment. Si les autorités le maintiennent en détention, cela va amplifier son aura et sa notoriété. Si elles le libèrent, ce sera une victoire galvanisante pour le Pastef. » Deux responsables politiques, en l’occurrence Barthélémy Dias puis Khalifa Sall, avaient été élus députés alors qu’ils étaient incarcérés. Bassirou Diomaye Faye parviendra-t-il, lui aussi, à se faire élire depuis sa cellule du Cap Manuel ?

Issue imprévisible

En 2021, quelques semaines après le dépôt d’une plainte pour viol contre le chef du Pastef, lui-même n’envisageait pas l’avenir de son parti sans son leader. « Mettre Sonko en prison, ce serait la folie. Ils pourraient le faire, mais avec quelles conséquences ? », s’interrogeait-il alors.

Le Sénégal n’en était qu’aux prémices du marathon judiciaire d’Ousmane Sonko, qui rythma la vie politique du pays pendant trois ans. À l’époque, Bassirou Diomaye Faye croyait encore à la victoire de Sonko. Il n’avait pas encore la notoriété qu’il a acquise ces dernières années. « Tant qu’ils feront de lui ou de n’importe qui d’autre une victime, ils augmenteront son capital sympathie », nous confiait-il alors. Un capital dont il pourrait à son tour bénéficier, à moins d’un mois d’un scrutin présidentiel à l’issue imprévisible.

Marième Soumaré – JeuneAfrique

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