Justice

Conférence du parquet :  les 5 ministres vers la haute cour de justice, près de 16 milliards saisis, près de 400 personnes mises en cause

El Hadji Alioune Abdoulaye Sylla, procureur de la république financier et le ministre de la Justice Ousmane Diagne lors de l’installation des membres du Pool judiciaire financière
le Procureur général près la Cour d’appel de Dakar Mbacké Fall et le ministre de la Justice Ousmane Diagne lors de l’installation des membres du Pool judiciaire financière

Une conférence de presse inédite s’est tenue hier 17 avril 2025, au palais de justice de Dakar. Une rencontre d’une solennité rare, marquée par la présence du Procureur général près la Cour d’appel de Dakar, Mbacké Fall, qui en a assuré la modération, entouré du Procureur de la République de Dakar, Ibrahima Ndoye, et du Procureur du Parquet financier, El Hadji Alioune Abdoulaye Sylla. L’objectif affiché : informer l’opinion sur l’état des poursuites judiciaires en cours, particulièrement celles ouvertes dans le sillage des audits de la Cour des comptes et des rapports d’organes de contrôle tels que la Cour des comptes, la CENTIF et l’OFNAC. L’exercice a été l’occasion pour les parquetiers de faire des révélations de taille que sur les procédures ouvertes par les parquets  à travers le pays.

Le palais de justice de Dakar a été le théâtre d’une conférence de presse conjointe et solennelle, animée par trois figures majeures du système judiciaire : le procureur général près la Cour d’appel de Dakar, Mbacké Fall, le procureur de la République de Dakar, Ibrahima Ndoye, et le procureur du parquet du pool judiciaire financier, El Hadji Alioune Abdoulaye Sylla. Cet exercice, inhabituel dans sa forme comme dans son contenu, visait à informer en détail l’opinion publique sur l’état d’avancement des poursuites judiciaires ouvertes dans plusieurs dossiers sensibles, notamment ceux relatifs à la gestion du Fonds COVID, aux rapports de la Cour des comptes et aux enquêtes confiées aux organes spécialisés dans la lutte contre la délinquance économique.

Une initiative d’explication publique saluée

La conférence a été ouverte par le procureur général, Mbacké Fall, qui a campé le décor et donné le ton : clarté, transparence et rigueur. Selon ses mots, l’exercice visait à “éclairer l’opinion publique sur l’état d’avancement des procédures judiciaires ouvertes par le parquet financier et le parquet de la République”. Il a rappelé que depuis le 17 septembre 2024, date de la création du parquet du pool judiciaire-financier, les magistrats de cette juridiction spécialisée mènent un travail acharné sur les dossiers liés aux infractions économiques et financières. Ces dossiers relèvent souvent de faits complexes : détournements, rémunérations indues, blanchiment, ou encore financement occulte.

Mbacké Fall a précisé que le parquet financier se penche notamment sur les conséquences judiciaires du rapport de la Cour des comptes portant sur la situation des finances publiques entre 2019 et mars 2024, tandis que le parquet de Dakar s’occupe plus spécifiquement des suites judiciaires du rapport sur la gestion du Fonds de riposte et de solidarité contre la COVID-19, aussi connu sous le nom de Force COVID.

Les révélations du procureur de la République de Dakar : des faits graves, des ministres visés

Prenant la parole après le procureur général, le procureur de la République de Dakar, Ibrahima Ndoye, a livré une déclaration détaillée sur l’état des affaires pénales ouvertes à la suite du rapport de la Cour des comptes sur la gestion du Fonds COVID pour les exercices 2020 et 2021. Il a commencé par rappeler qu’il a été installé dans ses fonctions à la tête du parquet de Dakar le 26 août 2024, et qu’avant sa prise de service, plusieurs rapports avaient déjà été transmis au procureur général. Ce n’est que la semaine dernière, selon ses propres mots, que ces rapports lui ont été officiellement communiqués.

« À mon arrivée, j’ai procédé à un état des lieux des affaires en cours, et j’ai constaté que l’ensemble des rapports liés à la gestion du Fonds COVID avaient déjà été transmis au Procureur général pour étude et exploitation. Cette exploitation constituait une opportunité judiciaire majeure permettant de mettre en lumière un certain nombre de faits graves, imputables à plusieurs personnalités ayant occupé de hautes fonctions, et qui semblent avoir commis des actes préjudiciables à l’État. Il s’agit là de faits caractérisés, relevant du droit pénal, et qui témoignent d’une forme de délinquance financière dont certains cas méritent une attention particulière. », a fait savoir le magistrat.

Poursuivant, il note que ce n’est que la semaine dernière que ces rapports ont été formellement transmis à ses services. « C’était la première fois que je prenais connaissance du rapport COVID, lequel mettait en cause plusieurs personnalités. L’identification des mis en cause n’a pas été difficile. Nous disposons de faits précis et circonstanciés. Je rappelle que lorsqu’on parle d’“auteurs”, cela n’exclut en rien la présomption d’innocence, qui reste un principe fondamental. Néanmoins, en tant que magistrats en charge de la procédure, nous avons le devoir de constater, qualifier, et regrouper les indices, présomptions ou charges qui pourraient justifier l’ouverture de poursuites. », ajoute le procureur.

À la réception des documents, dit-il, ses services se sont immédiatement attelés à l’analyse et à l’exploitation judiciaire des faits soulevés. Il a salué le professionnalisme de ses substituts, qui ont entamé un travail rigoureux d’examen, d’identification des mis en cause et de qualification des infractions. « L’enquête a permis de cibler plusieurs personnes soupçonnées d’avoir pris part aux malversations : auteurs, coauteurs, complices ou receleurs… Les faits relevés dans les rapports sont “précis, circonstanciés et d’une gravité certaine”, a déclaré M. Ndoye.

Huit ministères sont actuellement dans le viseur de la justice. Il s’agit : du ministère des Mines et de la Géologie, du ministère de la Culture et de la Communication, du ministère de la Jeunesse, du ministère des Sports, du ministère de la Santé, du ministère de la Femme, de la Famille, du Genre et de la Protection des Enfants, du ministère du Développement industriel et des PME, du ministère du Développement communautaire.

Révélant que des instructions ont été données aux unités d’enquête pour procéder à des interpellations ciblées, Ibrahima Ndoye déclare que les arrestations se sont multipliées depuis mardi, avec déjà 20 personnes présentées au parquet hier et 7 autres ce hier matin alors que des conduites sont en cours dans d’autres commissariats et brigades.

Le procureur Ndoye a tenu à souligner qu’il ne s’agit nullement d’une opération politique ou de représailles, mais d’une action judiciaire fondée sur des éléments de preuve sérieux. L’objectif : mettre fin à l’impunité, rétablir l’ordre public troublé par des infractions économiques, et garantir la réparation du préjudice subi par l’État. Il a par ailleurs rappelé que le code de procédure pénale sénégalais prévoit que toute personne poursuivie pour détournement de biens publics ne peut bénéficier d’une liberté provisoire que si elle rembourse l’intégralité des fonds détournés ou soumet une proposition sérieuse de remboursement, sauf en cas de raisons médicales. « C’est dans ce cadre que certaines des personnes interpellées ont proposé volontairement des remboursements. À ce jour, les propositions enregistrées s’élèvent à un montant de 258 448 233 FCFA, dont une partie a déjà été exécutée. », déclare-t-il encore.

Les chiffres du parquet financier : 15 milliards saisis, 262 personnes mises en cause

À la suite du procureur de la République, le procureur du parquet du pool judiciaire-financier, El Hadji Alioune Abdoulaye Sylla a livré une déclaration tout aussi édifiante. Le magistrat est revenu sur la création de la juridiction financière, à travers la loi n°11.2003.2.2023, qui a doté le pays d’un mécanisme de lutte renforcée contre les infractions économiques. Cette juridiction spécialisée a compétence sur tout le territoire sénégalais. Elle est chargée de traiter les infractions les plus complexes et les plus graves : blanchiment de capitaux, corruption, financement du terrorisme, trafic de devises, etc. Elle fonctionne avec des magistrats indépendants et aguerris, dotés de pouvoirs d’investigation renforcés.

Selon ses déclarations, depuis le 17 septembre 2024, date de son installation, la juridiction a enregistré 292 dossiers, mettant en cause 262 personnes. Parmi ces dossiers : 142 sont issus des unités d’enquête (DIC, Section de recherches), 122 ont été confiés aux juges d’instruction, 20 proviennent des rapports de la CENTIF, 8 de ceux de l’OFNAC. Les enquêtes ont permis la saisie de 92 véhicules, 11 titres fonciers dans les zones de Rufisque, Thiès et Mbour, deux titres supplémentaires transférés provisoirement à l’État, plusieurs pirogues et moteurs marins, ainsi qu’un montant impressionnant de 15 milliards de FCFA saisis ou consignés.

« En matière de saisie de sommes d’argent, je précise qu’à ma dernière conférence de presse, il y a deux ou trois mois, les montants saisis ou consignés s’élevaient à 2,5 milliards de FCFA. Aujourd’hui, nous sommes à 15 milliards de FCFA, soit une augmentation significative dans le cadre de la lutte contre la délinquance économique et financière, en seulement sept mois d’activité. », a fait savoir le magistrat. Qui explique des procédures sont toujours en cours à Dakar, Thiès et Saint-Louis. D’autres nécessitent des commissions rogatoires internationales, qui exigent des délais dépendant des juridictions étrangères saisies.

Le procureur Sylla a tenu à rappeler que la lutte contre les infractions économiques n’est ni facile ni rapide. Elle se heurte à des techniques sophistiquées de dissimulation, à la mobilité des auteurs, à la dispersion géographique des faits, et parfois à la complicité de professionnels aguerris. Malgré tout, il s’est dit confiant dans la capacité du système judiciaire sénégalais à faire aboutir ces procédures, dans le strict respect de l’État de droit, des droits de la défense et de la présomption d’innocence.

Un tournant dans l’histoire judiciaire du Sénégal

Cette conférence de presse conjointe, par son contenu, sa forme et la fermeté de ton des magistrats, marque un tournant historique dans le fonctionnement de la justice sénégalaise. Jamais, jusqu’ici, les procureurs ne s’étaient présentés ensemble devant la presse pour livrer, avec une telle précision, le détail des procédures en cours dans des dossiers aussi sensibles.

Elle montre également une volonté manifeste de rendre compte à l’opinion publique, dans un pays où la question de la reddition des comptes a longtemps été une zone d’ombre. Mais cette transparence nouvelle soulève aussi de nombreuses questions. Les personnalités politiques mises en cause, notamment d’anciens ministres, seront-elles effectivement traduites devant la Haute Cour de justice ? L’Assemblée nationale votera-t-elle en faveur de la levée de leur immunité ? Et surtout, au-delà de l’effet d’annonce, ces procédures iront-elles jusqu’au bout, avec des condamnations fermes et la restitution effective des deniers publics ?

L’opinion publique, déjà très attentive, suivra de près l’évolution de ces affaires. Pour les magistrats, le défi est immense : il s’agit désormais de transformer cette démonstration de rigueur en une véritable rupture systémique contre l’impunité. En tout état de cause, le Sénégal semble s’engager dans une nouvelle ère judiciaire. Il reste à savoir si la volonté politique et la solidité des institutions tiendront face à la pression des intérêts et des réseaux d’influence. Mais pour l’instant, la justice semble avoir repris l’initiative.

 

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