Fossé entre ses promesses d’hier et sa gestion : Pastef, une confiance populaire en danger


Depuis leur arrivée au pouvoir en mars 2024, le Président Bassirou Diomaye Faye et le Premier ministre Ousmane Sonko, figures de proue du parti Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), portent les espoirs d’une nation en quête de renouveau. Leur discours, centré sur la rupture avec les pratiques de l’ancien régime, la souveraineté économique et la justice sociale, a galvanisé des millions de Sénégalais, en particulier la jeunesse, lassée par des décennies de mauvaise gestion et de corruption. Pourtant, moins d’un an après leur victoire, des décisions controversées – les multiples voyages présidentiels, l’utilisation de l’avion présidentiel puis d’un jet privé Falcon 7X par le Premier ministre Ousmane Sonko ou encore l’achat de plus de 165 véhicules pour les députés, à l’opposé des positions défendues par le parti dans le passé – suscitent un tollé et révèlent un écart troublant entre les promesses d’hier et la réalité d’aujourd’hui. Dans un pays aux prises avec une crise économique aiguë, ces polémiques fragilisent la crédibilité du Pastef et menacent la confiance populaire. Décryptage d’une gouvernance sous haute pression.
Lors d’une conférence de presse tenue le 14 février dernier, le Bureau politique du Pastef, en évoquant les difficultés économiques auxquelles font face les Sénégalais, a appelé « le peuple à faire preuve de patience et à continuer de faire confiance au président de la République ainsi qu’à son Premier ministre pour la transformation systémique du Sénégal ». Il a également souligné « une situation actuelle qui ne laisse guère à l’État une large marge de manœuvre ». Cependant, alors qu’il invite les Sénégalais à se montrer résilients, le régime du Pastef semble, en réalité, s’adonner à la jouissance du pouvoir. « Ku Ayé Wal Sa Momé », me disait un ami député membre de Pastef, quand je l’ai interpellé sur la fossé entre les promesses du Pastef et les dépenses controversées du régime, au détour d’une discussion au téléphone.
Ma déception était profonde. En effet, ce nouveau discours s’oppose diamétralement à celui qui prônait la rupture avec les pratiques de l’ancien régime, la souveraineté économique et la justice sociale, ainsi qu’à l’engagement d’opérer un changement radical dans la gestion des ressources publiques, en faveur d’une gouvernance sobre, transparente et équitable. Moins d’un an après leur accession au pouvoir, des décisions controversées, telles que l’utilisation d’un jet privé Falcon 7X par Ousmane Sonko pour une tournée régionale, les fréquents voyages présidentiels et l’acquisition de plus d’une centaine de voitures pour les députés, mettent en lumière un décalage troublant entre les promesses d’hier et la réalité de la gestion actuelle du pouvoir.
Un vent de changement porté par un discours antisystème
Dans l’opposition, le Pastef s’est forgé une réputation de parti radical, dénonçant les dérives d’une élite politique déconnectée des réalités sénégalaises. Ousmane Sonko, avec son charisme et ses prises de position incisives, s’est imposé comme le porte-voix des frustrations d’une population confrontée à la pauvreté, au chômage et à l’inflation. Une vidéo, toujours en circulation sur les réseaux sociaux, le montre qualifiant de « scandaleux » l’achat de voitures de luxe pour les députés, une dépense jugée indécente dans un pays où 37% de la population vit sous le seuil de pauvreté, selon les données de la Banque mondiale pour 2024. Ce discours antisystème a résonné auprès d’une jeunesse en quête d’espoir et de justice.
Le programme du Pastef, porté par la victoire écrasante de Bassirou Diomaye Faye à la présidentielle de mars 2024 et consolidé par une majorité parlementaire de 130 sièges sur 165 aux législatives de novembre 2024, promettait une transformation profonde. Le parti s’engageait à renégocier les contrats pétroliers et gaziers pour renforcer la souveraineté économique, à enquêter sur les violences politiques de 2021-2024, à abroger la loi d’amnistie controversée de Macky Sall et à indemniser les victimes des manifestations. Une réforme fiscale visant à élargir l’assiette fiscale tout en réduisant les inégalités était également au cœur de leur projet. Par-dessus tout, le Pastef promettait une gouvernance sobre et transparente, où chaque franc dépensé serait justifié par des priorités claires : éducation, santé, emploi. Ces engagements ont répondu à un besoin urgent de changement dans un contexte économique marqué par un déficit budgétaire de 10,4% du PIB et une dette publique atteignant 76,3% du PIB en 2024, selon les déclarations de Sonko lui-même en décembre dernier.
Des décisions controversées qui ébranlent la confiance
Malgré ces promesses, plusieurs décisions du régime Pastef ont suscité des critiques virulentes, mettant en lumière un décalage entre le discours d’opposition et les pratiques au pouvoir. En juin 2025, Ousmane Sonko a entrepris une tournée économique dans trois capitales ouest-africaines – Abidjan, Conakry et Freetown – pour promouvoir une coopération régionale axée sur le développement. Pour ces déplacements, il a utilisé un jet privé Falcon 7X, un avion d’affaires de luxe fabriqué par Dassault Aviation, connu pour son autonomie de 11.000 km et son coût horaire pouvant atteindre plusieurs dizaines de milliers de dollars. Si l’objectif de la tournée – renforcer les liens économiques sous-régionaux – est salué, le choix d’un jet privé a choqué l’opinion publique. Dans un pays où le gouvernement appelle la population à « fournir des efforts » face à la crise économique, l’opacité entourant le financement de ces vols a amplifié le malaise. Des posts sur X, relayés par des médias comme Senenews, ont questionné la conformité de cette dépense avec le décret 2017-1371, qui encadre les dépenses publiques pour les déplacements officiels. Bien qu’aucune violation explicite n’ait été prouvée, l’absence de communication claire sur la source des fonds – budget de l’État ou partenariats privés – alimente les soupçons d’incohérence avec le discours de sobriété prôné par le Pastef.
Le Président Bassirou Diomaye Faye n’échappe pas aux critiques. Ses nombreux voyages internationaux à bord de l’avion présidentiel, souvent accompagnés de délégations importantes, ont été décrits comme un « tour du monde » par certains observateurs. Ces déplacements, justifiés par la nécessité de renforcer la diplomatie sénégalaise et d’attirer des investisseurs, contrastent avec les déclarations du Pastef selon lesquelles « il n’y a pas d’argent dans le pays ». Dans un contexte marqué par la hausse des prix des denrées de base et un chômage persistant, ces dépenses sont perçues comme difficilement justifiables par une population en proie à des difficultés économiques.
Une autre décision controversée est venue de l’Assemblée nationale, présidée par El Hadj Malick Ndiaye, membre du Pastef. L’achat de plus d’une centaine de véhicules pour les députés a ravivé les critiques, rappelant les pratiques que le parti dénonçait autrefois. La vidéo où Sonko qualifiait de telles dépenses de « scandaleuses » circule toujours sur les réseaux sociaux, amplifiant le sentiment de trahison parmi les électeurs. Cette mesure, perçue comme un privilège pour l’élite politique, est d’autant plus maladroite que le Pastef dispose d’une majorité écrasante à l’Assemblée, lui offrant un contrôle quasi total sur les décisions législatives. Une telle dépense aurait pu être évitée pour préserver l’image de sobriété promise.
Un fossé entre discours et réalité
Ces décisions – jet privé, voyages présidentiels, achat de voitures – mettent en lumière un fossé entre les promesses électorales du Pastef et sa gestion du pouvoir. Plusieurs facteurs expliquent cette contradiction. D’abord, le manque de transparence sur le financement de ces dépenses alimente les soupçons de mauvaise gestion. Dans un pays où la corruption a longtemps gangréné la vie publique, l’absence de comptes rendus détaillés sur l’utilisation des fonds publics est un faux pas majeur. Ensuite, ces dépenses ostentatoires, même si elles répondent à des impératifs diplomatiques ou logistiques, envoient un message contradictoire à une population appelée à faire des sacrifices. Le choix d’un jet privé, par exemple, aurait pu être remplacé par des vols commerciaux ou un avion gouvernemental moins coûteux. Enfin, le Pastef fait face à des attentes immenses après son succès électoral. La mise en œuvre de réformes ambitieuses, comme la renégociation des contrats pétroliers ou la réforme fiscale, exige du temps et des ressources.
Mais les dépenses perçues comme élitistes détournent l’attention des progrès réalisés, comme les efforts de Sonko pour promouvoir l’intégration économique régionale.
Le Pastef a bâti sa popularité sur un discours de proximité avec le peuple, en particulier les jeunes, qui forment l’essentiel de son électorat. Cependant, ces décisions controversées risquent d’éroder cette confiance. Sur X, les hashtags dénonçant l’hypocrisie présumée du régime se multiplient, amplifiant le mécontentement. L’opposition, bien que affaiblie après sa débâcle aux législatives, saisit cette opportunité pour accuser le Pastef de trahir ses engagements et de favoriser ses militants. Le climat politique reste tendu, avec des boycotts de l’opposition à plusieurs séances de l’Assemblée nationale, dénonçant un fonctionnement autoritaire sous la présidence d’El Hadj Malick Ndiaye. Ces polémiques risquent d’aggraver la polarisation, compliquant la mise en œuvre du programme « Sénégal 2050 », qui ambitionne de transformer le pays à l’horizon 2050.
Un réarrangement nécessaire
Pour combler ce fossé et préserver sa crédibilité, le Pastef doit adopter une approche plus cohérente. Publier des comptes rendus détaillés sur les dépenses publiques, y compris les coûts des voyages officiels et des acquisitions, permettrait de répondre aux critiques et de rassurer la population. Le gouvernement devrait également éviter les dépenses perçues comme ostentatoires, comme l’utilisation de jets privés, et privilégier des options plus sobres, en phase avec les appels à l’austérité. Une communication claire sur les bénéfices à long terme de ses initiatives, comme la tournée régionale de Sonko, est essentielle pour justifier les dépenses et démontrer leur impact sur le développement économique. Enfin, impliquer davantage les citoyens dans les processus décisionnels, par exemple via des consultations publiques, renforcerait le lien avec la base électorale et réduirait le sentiment de trahison.
Le Pastef est arrivé au pouvoir avec la promesse d’une gouvernance radicalement différente, fondée sur la sobriété, la transparence et la justice sociale. Pourtant, des décisions comme l’utilisation du Falcon 7X, les voyages présidentiels fréquents et l’achat de voitures pour les députés révèlent un décalage entre ces engagements et la réalité. Ces dépenses, perçues comme exorbitantes dans un contexte de crise économique, menacent la confiance populaire, au moment où le Sénégal a besoin d’unité pour relever ses défis. Pour préserver sa légitimité, le Pastef doit aligner ses actions sur son discours de rupture, en plaçant les besoins de la population au cœur de ses priorités. Sans cet ajustement, le parti risque de perdre l’élan qui l’a porté au pouvoir, compromettant ses ambitions pour un Sénégal prospère et équitable à l’horizon 2050.
Sidy Djimby NDAO
