Football

« Onze d’Or 2019 », Sadio Mané déclare : « je viens de très, très loin »

Sadio Mané - Onze d Or 2019
Sadio Mané, Onze d’Or 2019

Cette année, près de 200 000 personnes ont voté pour le « Onze d’Or 2019 ». En tête de bout en bout, Sadio Mané a terminé devant Lionel Messi et Kylian Mbappé. Auteur d’une saison exceptionnelle, l’international sénégalais a logiquement été récompensé par les lecteurs d’Onze Mondial. Lorsqu’on annonce à son agent qu’il faut convenir d’un rendez-vous pour décerner notre mythique trophée à son poulain, l’euphorie est de mise. En quelques heures, une date est trouvée. Direction une somptueuse villa située sur les hauteurs de Majorque. Courtois et avenant, « SM10 » nous reçoit tout sourire. Au moment de recevoir le précieux sésame, ses yeux brillent. Avant un shooting photo tout en décontraction, l’ancien du FC Metz se pose pour un entretien XXL, malgré ses nombreuses sollicitations médiatiques. Des rues de son village au sommet de l’Europe, Sadio s’est lâché avec transparence et confiance. Rencontre avec le meilleur joueur du monde.

Que ressens-tu au moment de recevoir ce Onze d’Or ?

To be honest… (il rigole puis reprend en français). Vraiment, je suis très, très heureux. Je suis content d’être élu meilleur joueur de la saison. C’est un énorme plaisir pour moi de remporter ce trophée. Surtout vu les autres joueurs nominés pour ce titre. Je tiens à remercier mes coéquipiers, mon coach, mon club et les supporters. Sans eux, je n’aurais jamais pu remporter ce Onze d’Or. C’est vraiment un travail d’équipe et de groupe. Je suis vraiment content.

Sais-tu que des dizaines de milliers de fans ont voté pour toi ?

C’est incroyable. Pour moi, c’est une énorme satisfaction. Ça fait plaisir que les gens reconnaissent mon travail durant toute la saison.

Enfance

Quand tu étais petit, tu imaginais réussir une telle carrière ?

Bonne question ! Ce n’était vraiment pas évident de se projeter. Surtout vu d’où je partais. Je viens de très, très loin. Je me rappelle, quand j’étais jeune, je disais à ma mère : « Je vais devenir footballeur ». Mais on vivait tellement loin de Dakar, elle me disait : « Comment tu vas faire ? Nous n’avons pas les moyens. Des joueurs meilleurs que toi n’ont pas réussi, arrête de penser à ça et va à l’école ! ». Je lui répondais : « Je veux vivre mon rêve ». Il est vrai que dans notre village, quasiment tous les jeunes voulaient devenir footballeurs et aucun n’y est parvenu. Il n’y avait donc pas de référence. Mais tout ça, c’était dans la tête ! Je savais que j’allais réussir. Juste, je ne savais pas comment parce que je me trouvais très loin de la capitale. Aucun recruteur ne venait jusqu’à mon village. Du coup, c’était dur de se faire voir. Ce qui m’est arrivé ensuite, c’est juste énorme. J’ai parcouru un très long chemin. Aujourd’hui, je veux juste remercier le Bon Dieu.

Quand et comment as-tu compris que tu avais un don pour le football ?

Depuis que je suis né, je ne connais que le foot ! Pour moi, c’était le seul travail que je pouvais faire. C’était le seul moyen qui pouvait me permettre d’aider mes parents. Quand j’étais petit, je ne me posais qu’une question : « Comment ? ». Je n’ai jamais baissé les bras, j’ai travaillé dur et j’ai persévéré. Mes parents m’ont finalement souvenu et je suis arrivé à devenir footballeur.

Tu as fugué pour tenter ta chance à Dakar. Imagine si tu n’avais pas fugué…

Je serais peut-être devenu professeur ou je ne sais pas trop quoi (rires). Je me souviens, j’avais dit à une seule personne que j’allais fuir, c’était mon ami. Je lui avais dit : « Je pars tenter ma chance à Dakar ». Un gars du village m’avait dit : « J’ai un ami à Dakar, il a une équipe de foot, tu pourras jouer avec lui là-bas ». J’ai fui sans que mes parents soient au courant. Mes parents ont ensuite fait des problèmes à mon pote avec ses parents. Il a finalement dit où je me trouvais (sourire). Ils m’ont attrapé puis fait revenir au village. Je me suis ensuite bien préparé pour l’année d’après. Et ils m’ont accompagné dans ce que je voulais faire. Cette fugue a changé toute ma vie. C’était vraiment une bonne chose de faire ça. J’encourage mes jeunes frères à faire pareil (il éclate de rires). Ça pourrait marcher…

Tous les Sénégalais vont le faire si tu dis ça…

Qu’ils tentent leur chance. Bon, uniquement ceux qui savent jouer au ballon, hein (rires).

FC Metz
Il paraît que lorsque les autres dormaient, tu allais courir seul. C’est vrai ?

(Sourire). Oui, c’est vrai. Je me réveillais à 6h du matin pour courir. Les autres dormaient. Au centre, il y avait Madame Brech, c’était un peu comme une maman pour nous. Elle était dure avec nous. Quand on foutait un peu le bordel, elle se fâchait car elle n’aimait pas ça (rires). Quand je me réveillais tôt pour courir, je me cachais pour sortir discrètement. Je savais que si elle me voyait, elle allait me dire : « Retourne au lit ». Moi, je ne voulais pas dormir, je voulais bosser encore plus. J’allais courir pendant une heure, je revenais, je prenais mon petit déjeuner puis j’allais m’entraîner.

Pourquoi tu faisais ça ?

Parce que je voulais absolument réussir ! Je sentais que j’avais besoin de travailler physiquement. Et à Metz, on ne courrait pas beaucoup contrairement à l’académie. Finalement, mon travail a payé.

En général, les jeunes préfèrent dormir…

Oui. Et ça, je pense que c’est vraiment une erreur. Justement, quand tu es jeune, c’est là que tu dois en profiter pour bosser encore plus, pour progresser et atteindre un certain niveau. Personnellement, j’ai compris très tôt qu’il fallait s’arracher pour réussir. Tout ce qui m’arrive, c’est le fruit du travail. J’essaie de dire aux jeunes de travailler plus. Sinon, ce sera compliqué pour eux.

Salzbourg

Avant de signer à Salzbourg, tu connaissais ce club ?

Honnêtement, je ne connaissais pas Salzbourg, je ne savais même pas où c’était. Quand mon agent m’a parlé de Salzbourg, j’ai fait des recherches. J’en ai parlé avec mes parents. Ils m’ont dit : « Nous aussi, on ne connaît pas ce club » (rires). Après, on s’est bien renseignés. Moi, je ne voulais pas partir. Les dirigeants de Salzbourg me disaient que c’était nécessaire pour un jeune joueur comme moi de continuer ma progression chez eux. Je voulais rester à Metz surtout qu’on venait de descendre en National et que je venais de signer un contrat de cinq ans. Mon rêve était d’écrire l’histoire dans mon club formateur, Metz, avant de partir. Ça n’a malheureusement pas été le cas. Le club avait besoin d’argent à ce moment-là. Ils m’ont dit : « Sadio, faut que tu partes » (sourire). Attention, au début, Metz ne voulait pas me laisser partir. Du coup, le club avait fixé mon prix à 2,5 millions d’euros. À ce tarif, plusieurs clubs étaient prêts à mettre le prix. Après ça, ils ont dit : « Finalement, c’est 4 millions d’euros ou rien ». Pour eux, c’était impossible qu’un club s’aligne sur ce tarif pour un jeune joueur qui vient de descendre en National. Et contre toute attente, Salzbourg a mis cette somme. Après ça, ils m’ont demandé de partir (rires). Moi, je ne voulais pas. Metz était comme ma deuxième famille, j’étais bien là-bas. Ça m’embêtait de changer de club. J’ai ensuite compris que mon départ était nécessaire…

Elles ont donné quoi tes recherches sur Salzbourg ?

Je suis allé sur Youtube, j’ai regardé des résumés de matchs. La première chose que j’ai retenue, c’était que le buteur du club s’appelait Soriano (sourire). Après, j’ai fait des recherches sur le club et le pays sur Google. C’était vraiment important pour moi d’aller là-bas. C’est à Salzbourg que j’ai appris le vrai football. Je n’ai jamais regretté mon choix. Tant mieux pour moi.

Southampton

Tu signes ensuite à Southampton. Ce choix a été fait dans le but de s’ouvrir les portes des gros clubs anglais ?

Ce transfert aussi a été chaud et compliqué (sourire). Bon, je vais te dire la vérité. Southampton est un très bon club, mais je ne voulais pas aller là-bas (rires). C’était vraiment compliqué. C’est là-bas que j’ai changé d’agent. J’ai connu mon agent actuel, Björn Bezemer. À l’époque, il était jeune, il avait 29 ou 30 ans (rires). Björn est une personne qui a beaucoup fait pour moi. Il a énormément compté. On passe beaucoup de temps ensemble (il regarde son agent). Bon, avant de me connaître, il habitait dans un petit appartement, aujourd’hui, il vit dans une villa (rires). Plus sérieusement, il s’est battu pour me sortir de Salzbourg car le club refusait de me céder. Mon objectif était de signer à Dortmund surtout que Jürgen Klopp me voulait. Sauf que Salzbourg était déjà d’accord avec le Spartak Moscou. Le club voulait me vendre en Russie pour empocher un maximum d’argent. Dortmund était prêt à payer 12 millions d’euros de transfert. Salzbourg voulait plus. Il voulait faire comme Metz, en fait. Et moi, j’ai dit « non ». Mon rêve était de jouer dans les meilleurs championnats. Cette histoire a créé des problèmes entre le club et moi. Finalement, j’ai raté un match. Et ils se sont fait sortir de la Ligue des Champions. Là, ils ont commencé à dire que c’était de ma faute. Salzbourg campait sur ses positions en disant « Pas Dortmund » et moi, je disais « Pas Moscou ». Et là, Southampton s’est présenté ! Je n’avais pas le choix, du coup, je suis allé à Southampton (rires). Je ne pouvais plus rester à Salzbourg et je ne pouvais aller ni à Dortmund, ni à Moscou. Du coup, j’ai signé à Southampton.

Comment as-tu fait pour t’adapter à la Premier League ?

La Premier League est l’un des meilleurs championnats au monde, les meilleurs joueurs y évoluent. Ça n’a pas été évident. J’ai mis du temps à m’adapter. Les supporters m’attendaient de pied ferme parce que le club m’avait payé cher et parce que j’avais pris le numéro 10. Ils pensaient que j’allais arriver et tout casser d’entrée. Ça a mis plus de temps que prévu. J’ai bossé comme il fallait et j’ai réussi à changer les choses.

Liverpool

Tu as bien fait de refuser Manchester United…

(Rires). Il ne faut pas me mettre mal avec leurs supporters, hein. Sinon, ils vont encore m’insulter. Eux pensent que je suis contre eux alors que pas du tout. Oui, on a failli aller à United. On a finalement opté pour Liverpool. Je pense qu’on a fait un bon choix. C’était le moment pour aller à Liverpool, surtout qu’il y avait le coach qu’il fallait.

Jürgen Klopp te voulait à Dortmund, tu l’as finalement trouvé à Liverpool. Qu’a-t-il de si particulier ?

À la fin de la saison 2015-2016, on était sur le point d’aller à United, mais on hésitait un peu. Du coup, on a attendu parce que mon agent et moi pensions que Liverpool était le club idéal. Et là, Jürgen Klopp nous a appelés. Là, on n’a pas hésité une seule seconde, on a juste dit « oui ». Et les choses se sont passées.

Comment est-il dans son management ?

C’est un manager très spécial. Il a beaucoup de qualités et de particularités. Mais ce qui m’a le plus frappé chez lui, c’est que c’est une personne très, très sympa en dehors du foot. Son côté humain m’a touché. Il est très humain. Et de nos jours, c’est très rare de tomber sur des personnes humaines. Surtout dans le football. C’est un coach qui aime ses joueurs, il est là pour ses joueurs. En même temps, il responsabilise ses joueurs. Nous, les joueurs, sommes prêts à tout pour lui ! On se défonce sur le terrain pour lui. Que ce soit à l’entraînement ou en match, on s’arrache pour lui. C’est un coach qui te donne envie d’aller à la guerre.

Comment faire pour stopper Sadio Mané ? Balle au pied, on dirait que tu es inarrêtable…

Je ne vais pas te donner le secret sinon les Algériens vont m’attraper à la CAN (il éclate de rires). J’essaie d’être le plus physique possible. Et le plus imprévisible possible aussi. Voilà mes forces. Je travaille toujours plus pour être au-dessus de mon adversaire.

Tu aimes écœurer ton défenseur ?

Parfois, je tombe sur des défenseurs qui sont de vraies bêtes. C’est pour ça que je fais tout pour être prêt physiquement et mentalement à chaque match. Le reste, ça va tout seul. Et oui, j’aime voir souffrir mon défenseur. Je prends du plaisir à lui faire mal. Mon but, c’est de me rendre le match facile. Donc si je le vois souffrir, c’est déjà une grande chose. À tous les matchs, je veux que mes adversaires vivent un cauchemar.

Tu fais beaucoup de choses pour ton pays. Tu te sens obligé de donner ?

Pas du tout. Tout ce que je fais, je le fais naturellement. Pour moi, c’est très important d’être humain et de penser à l’humanité justement. Si aujourd’hui, toutes les personnes riches du monde essaient de faire une petite chose pour les autres, je pense qu’il n’y aura plus de nécessiteux. Je ne suis pas là pour donner des leçons ou pour dire : « Il faut aider les nécessiteux ». Mais je pense que c’est important d’aider son prochain. Regarde, aujourd’hui, nous sommes quatre dans cette pièce. Je pense que grâce à Dieu, nous vivons bien. Si on donne chacun 10 ou 20 euros, on peut permettre à plein de gens d’être bien. Pourquoi se priver de ce petit geste ? Un geste minime peut faire un énorme bien… voilà ce que j’essaie de faire. Tant que je serai en vie, je ferai tout mon possible pour aider les nécessiteux.

Quand on devient une super star comme toi, on oublie un peu d’où l’on vient…

Voilà, beaucoup de personnes se trompent à la fin. On peut dire : « Je ne sais pas où je vais ». Mais on ne peut pas dire : « Je ne sais pas d’où je viens ». C’est une erreur d’oublier d’où l’on vient. C’est là que les gens se trompent. Ce n’est pas bien d’oublier d’où l’on vient. Il faut toujours penser aux gens qui t’ont élevé et qui t’ont aidé. Il ne faut jamais oublier de regarder derrière soi.

La CAN approche.Tout le pays attend beaucoup de toi.Tu n’as pas la pression ?

Non, c’est quelque chose de positif. J’essaie d’accueillir ça de manière positive. Ce n’est pas évident mais bon, il faut assumer et prendre ses responsabilités. C’est ce que j’essaie de faire tous les jours. Avec mes coéquipiers, on va tout faire pour gagner cette CAN et rendre fier notre peuple.

C’est quoi la définition d’un bon Lion de la Teranga ?

Je n’aime pas dire ça ! Tu sais pourquoi ? Parce que le « Lion de la Teranga », ça veut dire un gentil lion, tout mignon. Alors qu’au contraire, un lion ne doit pas être gentil, il doit s’imposer comme un patron ! Je veux bien être un Lion de la Teranga dans la vie de tous les jours, pas sur le terrain. La définition du mot « Teranga » ne me plaît pas vraiment. Beaucoup de gens ignorent la définition de ce mot. Pour moi, on doit juste être des Lions sur le terrain.

Si tu n’avais pas été footballeur, tu aurais fait quoi ?

J’aurais pu devenir médecin (sourire).

Si tu était journaliste, tu poserais quelle question à Sadio Mané ?

(Rires). Elle est bonne ta question. J’aurais dit : « Pourquoi tu ne souris pas sur le terrain ? ». (son agent intervient et demande à Sadio Mané : « Comment peux-tu travailler autant ? »). C’est mon travail ! C’est normal que je me sacrifie pour atteindre mes objectifs. Depuis tout petit, je fais ça. Pourquoi m’arrêter en si bon chemin ? Je travaille autant car je sais d’où je viens et j’ai trop envie de faire de grandes choses.

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