Afrique

Trafic de cocaïne : Dakar, une reine «blanche» en Afrique de l’Ouest

Trafic de cocaïne : Dakar, une reine «blanche» en Afrique de l’Ouest
Une vue générale du Port de Dakar

Avec son port stratégique, Dakar est devenue un vrai hub régional pour l’économie sénégalaise. Mais les réseaux de narcotrafiquants sont en embuscade. Et malgré les saisies importantes de cocaïne, ils sont déterminés à en faire un bastion pour leur business en Afrique de l’Ouest et surtout vers l’Europe, quoi qu’il leur en coûte.

Entre janvier et avril 2020, la Marine nationale du Sénégal et les douanes ont annoncé la saisie de 6 tonnes de haschich et 120 kg de cocaïne grâce à leurs opérations respectives en haute mer et au port de Dakar. Ce bilan fait écho aux coups de filets spectaculaires qui avaient eu lieu en 2019, une année à marquer d’une pierre… blanche en matière de recrudescence des saisies de drogues dures au Sénégal. Une demi-dizaine d’opérations de grande envergure effectuées par ces mêmes services avaient alors permis de mettre la main sur au moins 2.079 kilos de cocaïne. Du jamais-vu sur une année civile: Dakar est clairement une cible de choix pour les trafiquants.

De la cocaïne dissimulée dans des véhicules au port de Dakar en juin 2019.
Mouhamadou Kane, chercheur-consultant au Enhancing Africa’s Response to Transnational Organized Crime (ENACT), un projet de lutte contre les trafics transnationaux en Afrique, explique cette évolution à Sputnik: «Après avoir relativement épargné Dakar ces dernières années, les réseaux criminels ont changé de stratégie en faisant de son port le nouveau hub sous-régional du trafic de cocaïne.»

Outre l’aspect géostratégique de son emplacement, Dakar abrite aussi le troisième port le plus dynamique en Afrique de l’Ouest après Lagos et Abidjan. Un point de passage obligé pour les voiliers et conteneurs en route vers l’Europe et l’Amérique.

La recrudescence des attaques contre ce port relativement bien géré apparaît comme un mystère si on sait que les douanes sénégalaises, réputées efficaces dans la lutte contre les trafics, sont constamment en alerte. Mais pour Mouhamadou Kane, il y a une explication plausible:

«En 2017, il y a eu une production record de cocaïne: 2.000 tonnes disponibles à travers le monde. Pour les cartels, il fallait absolument se débarrasser de cette drogue en l’exportant vers deux destinations vitales pour l’économie de l’écosystème: l’Europe et l’Amérique du Nord. C’était une nécessité, même s’ils savaient bien que toute la marchandise n’arriverait pas forcément à bon port.»

Le commissaire Cheikhna Keïta, ancien directeur de l’Office central de répression des trafics illicites de stupéfiants (OCRTIS), confirmait, à l’été 2019, cette stratégie des cartels dans une déclaration au média sénégalais Emedia. «Les narcotrafiquants agissent avec intelligence. Ils envoient en tirs groupés leurs expéditions. S’ils veulent acheminer dix tonnes de cocaïne, ils en font transiter 100 tonnes. Ainsi, ils sont assurés d’en faire passer une certaine quantité avant d’être démasqués.»

Ni dogmatiques ni suicidaires, les cartels cultivent d’autres «qualités» comme le pragmatisme et la flexibilité pour s’adapter à toutes sortes de situations afin d’atteindre leur but, souligne Mouhamadou Kane.

«En plus des routes traditionnelles de la drogue, ils ont décidé de tester de nouveaux chemins tels que le port de Dakar, pourtant réputé comme étant relativement bien géré. Même le port de Banjul, qui n’était pas sollicité jusque-là par les seigneurs des cartels, a reçu son quota de cocaïne l’année dernière.»
Avec son nouveau statut de hub sous-régional, la capitale sénégalaise passe pour être un point de départ pour le transit de la drogue vers d’autres destinations. Ainsi, en février 2019, les policiers bissau-guinéens ont intercepté un camion frigorifique immatriculé au Sénégal ayant à son bord 800 kg de cocaïne. Valeur estimée: 64 milliards de francs CFA, l’équivalent d’environ 98 millions d’euros.

«Il n’existe pratiquement pas un pays de la sous-région qui ne soit épargné par les réseaux narcotrafiquants. Cependant, les États côtiers se présentent comme les cibles préférées des cartels sud-américains. En 2016 déjà, l’Office des Nations unies contre la drogue et les crimes (ONUDC) classait le Sénégal, le Cap-Vert et le Ghana comme étant les plus grands hubs pour le trafic de la cocaïne», précise Mouhamadou Kane.

Au début de l’année 2019, le Cap-Vert avait enregistré la plus grosse saisie de cocaïne de son histoire: 9,5 tonnes. Et le glissement des zones d’opérations a touché le golfe de Guinée avec la découverte, en décembre dernier, de 750 kilos de cocaïne au port de Cotonou. Le Bénin est du reste la destination favorite des trafiquants, qui y déversent de grandes quantités d’une drogue de synthèse comme la méthamphétamine.

«L’Afrique n’est plus un simple point de transit des stupéfiants. Des études récentes ont montré que de plus en plus de drogue restait dans la région. Il ne fait aucun doute que notre pays est consommateur de cocaïne, après le cannabis et le Mandrax. Elle coûte plus cher et ne se répand donc que chez les plus aisés, dans des quartiers huppés de la capitale. Cela explique en partie pourquoi la drogue transite de plus en plus par Dakar», déclare Mouhamadou Kane.

Vols sur saisies

Les vols récurrents sur les quantités de cocaïne saisies par les différents organes de lutte contre les stupéfiants accréditent cette thèse. Ainsi, sur les 798 kg découverts par les douanes en juin 2019 au port de Dakar, 80 kg ont disparu alors que toute la «marchandise» était déjà sous scellés.

Un fourgon blindé de la police sénégalaise en surveillance à Dakar à la suite de la promulgation de l’état d’urgence par le Président.

«En fait, nous avons toujours eu des problèmes de fuite de drogue au Sénégal car justement, celle-ci n’est jamais suffisamment sécurisée après saisie. Il est même arrivé que des scellés disparaissent», rappelle l’ex-patron des stups du Sénégal.

Le pays a engagé le processus de création d’un office anti-stups plus efficace et moins corruptible, relié à un parquet spécial antidrogue. Une révolution qui serait en phase avec d’autres programmes en cours en Afrique de l’Ouest et dans le golfe de Guinée. «La Cedeao a mis en place en 2008 un plan d’action contre le trafic de drogue avec le soutien de l’ONUDC. En 2009, l’Initiative côtes de l’Afrique de l’Ouest (WACI en anglais) avait été lancée pour harmoniser le combat contre les trafiquants grâce à des unités de lutte contre la criminalité transfrontalière (TCU) entre des pays comme la Côte d’Ivoire, la Sierra Leone, la Guinée-Bissau et le Liberia», explique Mouhamadou Kane.
L’équation des drogues en Afrique de l’Ouest

Les États et les organes internationaux déploient sans doute beaucoup d’efforts pour arrêter ou ralentir l’essor du business de la drogue, mais il semble que les trafiquants et leurs réseaux disposent toujours de plusieurs longueurs d’avance sur eux.

sputniknews

Top 10 de l'info

Haut