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Pauvreté dans les régions au Sénégal : et Dieu créa les « Jakarta » pour les jeunes gens…

Kaolack Circulation Moto
circulation à Kaolack

L’émigration clandestine refait surface avec son lot de drames en mer. Des dizaines de jeunes gens auraient péri dans le chavirement de leurs pirogues. L’émoi est grand partout dans le pays. Le reporter du « Le Témoin » a fait une tournée dans quelques régions du Sénégal pour constater la pauvreté dans ces contrées.

Pour celui qui vient de quitter Dakar en cette fin du mois d’octobre, le climat de la ville de Kaolack pourrait paraitre plus clément malgré la chaleur qui y prévaut. Cette chaleur, plutôt que de pousser la population à trouver refuge dans les concessions, semble au contraire les précipiter dans les rues tellement la vie est animée. Normal, nous sommes dans une ville-carrefour, ancienne capitale du Bassin arachidier. Une situation géographie privilégiée dont aurait pu profiter la jeunesse en termes d’opportunités économiques et d’emplois.

Hélas, il n’y a pratiquement rien dans cette vaste ville qui pourrait occuper cette jeunesse. Des entreprises qui ne tiennent plus et qui ont du se débarrasser de leurs employés. Dès l’entrée de la ville, le visiteur est accueilli par une nuée de motos Jakarta. C’est en fait la seule activité qui occupe les jeunes qui y trouvent un moyen pour être utiles à leur famille. Ces motos noient d’ailleurs la présence des taxis qui supportent mal cette concurrence jugée déloyale.

« Nous sommes fortement concurrencés par les Jakarta. Mais on ne lâche pas prise puisqu’on arrive à gagner correctement notre pain », indique un conducteur de taxi. Assis à califourchon sur sa moto garée à côté d’une clinique, le garçon guette les clients.

« Je gagne ma vie avec cette moto. Je n’ai pas le choix. Nous n’avons pas d’autres alternatives. Les politiciens ne font que mentir. Tu as constaté que presque nous (Ndlr : jeunes) tous conduisons des Jakarta. Cette moto, j’ai pu l’acquérir grâce à un prêt », lâche Ibrahima avant de conduire votre serviteur vers sa destination.

Dans cette ville qui fut la capitale arachidière et qui a connu une époque florissante, le chômage des jeunes est visible à l’œil nu. C’est impressionnant de voir toute une jeunesse sans activité au coin de chaque quartier autour du thé. A Tambacounda, ca canicule est telle que les gens fuient la rue pour chercher refuge dans les maisons ou sur les berges du fleuve. L’image de la ville est la même qu’à Kaolack. L’activité principale des jeunes est de conduire des motos Jakarta pendant que les taxis broient du noir. Il est même rare de voir un taxi en bon état.

« Nous n’avons que cet emploi. Quand je vois des gens nous dire que la conduite de moto Jakarta n’a pas d’avenir, cela me fait mal au cœur. Qu’est-ce que les gens veulent en fait ? Qu’on prenne les pirogues ou bien qu’on reste chez nous sans rien faire et attendre ? Les autorités devraient avoir honte de voir que la principale activité des jeunes dans toutes les régions du Sénégal est constituée par la conduite des motos Jakarta », confie un jeune jakartaman d’une vingtaine d’années.

Comme Kaolack, Tambacounda aurait pu tirer profit de ses potentialités pour développer son économie et occuper les jeunes à travers des emplois salariés. Quant aux femmes de la ville, elles s’investissent dans de petits commerces comme la vente de sandwichs. Et jusque tard dans la nuit, elles sont devant leurs tables attendant des clients noctambules dont les voyageurs qui arrivent tardivement dans la ville. A voir toutes ces femmes occuper les abords de la route nationale pour leur petit commerce ne rapportant pratiquement rien, on éprouve de la peine.

Fatiguées, les traits tirés, certaines dorment même assises. « Je suis une mère de famille. Je ne peux pas tout attendre de mon époux. Tout ce que je gagne ici, c’est pour mes enfants. C’est difficile et risqué de rester jusqu’à ces heures tardives dehors, mais nous n’avons pas le choix », dit Khady en haussant les épaules tout en servant ses clients installés sur un table banc. De l’autre côté de la route, les jeunes sont toujours là assis sur leurs motos et guettant des clients. « Sincèrement, nous ne dormons presque pas. Car, les clients arrivent jusqu’au petit matin. Notre vie se résume à conduire ces motos », confie le jeune Mamadou.

Le paradoxe de Kédougou : riche en or mais à la population miséreuse !
Le plus grand paradoxe reste cependant Kédougou. Dans cette ville pourtant capitale d’une région minière, la situation de la jeunesse est même pire qu’à Kaolack ou Tambacounda. Dans cette grande ville située au bord d’un fleuve, les jeunes sont partagés entre la conduite des motos Jakarta et la recherche de l’or dans les sites d’orpaillages traditionnels appelés « diouras ». Une quête effrénée qui n’est pas toujours synonyme de succès. D’où son lot de désillusions qui fait que certains, pour échapper à la misère ambiante, plongent dans l’alcoolisme.

Les femmes vont vivre des familles
Dans la célèbre contrée appelée « Manda Douane », à quelques poignées de kilomètres de Vélingara, les femmes ne sont pas encore au rythme de la surenchère de nos pittoresques marchés. Dans ce coin perdu et pas comme les autres, les marchandises s’écoulent à bas prix. Le décor est planté. Celui-ci est la preuve vivante que ce sont les femmes qui nourrissent le monde. Plusieurs dames mais aussi des petites filles y gagnent leur pain et certainement font vivre des familles entières. J’y suis arrivé dans la nuit à 4h du matin. Et ces braves femmes étaient encore debout à cette heure dans l’attente d’improbables clients.

Debout et proposant leurs marchandises tout en distillant aux alentours de gracieux sourires. Remplissant les lieux de cette chaleur bien féminine. Le véhicule à bord duquel nous voyagions était dans l’obligation, comme tous les autres d’ailleurs, de passer la nuit à cause de la fermeture du passage. Ces braves dames accourent de partout dès qu’elles aperçoivent une voiture. Elles l’envahissent avec le refrain «sukar on» «sukar» (sucre en Peul Fouta). Elles vendent également des bonbons et du lait concentré en boîte. Généralement, toutes les marchandises qu’elles proposent proviennent de la Gambie où elles les achètent dans les boutiques. On sanctionne les fraudeurs, et pourtant, dans ces boutiques de « Manda Douane », tout est légalisé.

A Kolda, l’activité économique se déroule comme partout ailleurs au centre-ville. On peut s’aventurer à dire qu’il y a plus de mille Jakarta qui circulent dans cette région. Preuve du chômage endémique qui a poussé tous ces jeunes à enfourcher des motos. Une circulation indescriptible, des taxis qui broient du noir. Mais parviennent quand même à se faire quelques clients. Les bus Tata s’imposent petit à petit face au diktat des Jakarta.

C’est pareil à Sédhiou où la ville est déserte. A part les Jakarta, les jeunes désœuvrés sont assis autour du thé et passent leur temps à discuter de tout et de rien. Cela presque tous les jours, a confié un jeune de la ville qui ne vit que de ce que rapporte sa moto. « Nous n’avons pas d’autres boulots. On se contente de ce travail. Nos autorités ne sont là que pour elles-mêmes et leurs familles », dit le bonhomme désespéré.

A Ziguinchor, même chose qu’ailleurs. Dans chaque rue presque, il y a un petit garage créé par les Jakartamen. « Ce sont des arrêts Jakarta. On est organisé comme dans les gares. Nous nous battons ici pour sortir de nos difficiles conditions de vies », nous confie un jakartaman. Tranches de vie de jeunes et femmes de quelques régions de l’intérieur du pays. Des régions dépourvues d’ entreprises susceptibles de donner du travail à cette jeunesse qui vit dans une extrême pauvreté.

Avec Le Témoin

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