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[Tribune] L’Ucad, le Sénégal en miniature – Par Ousseynou Sokhna

[Tribune] L’Ucad, le Sénégal en miniature - Par Ousseynou Sokhna
Ousseynou Sokhna

« Université. C’est une industrie qui sert à alimenter le marché commun de la pensée de la nation », disait De Jean-Jules Richard. Mais cette industrie intellectuelle, à l’image de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), est aussi un espace socio-pédagogique qui reflète la sociologie de tout un pays.
Au Sénégal, l’UCAD représente le plus grand prytanée de l’enseignement supérieur public à travers lequel on peut inférer un imaginaire de toutes les autres universités du pays. Elle reflète dans son quotidien la société sénégalaise avec son campus social grandiose ainsi que son espace pédagogique où génèrent des idées, des pensées, la formation… qui conduisent et orientent, d’une part, l’avenir de ladite nation.

Plusieurs facteurs analytiques permettent de nommer l’UCAD : le Sénégal en miniature. Ces facteurs de nature culturelle et ethnique, religieuse, politique, sociale…se remarquent plus ou mieux au niveau du campus social. Ce dernier accueille et héberge chaque année des milliers d’étudiants venus des 14 régions du Sénégal et de la sous-région. En 2020, l’UCAD comptait 78 500 étudiants et cet effectif s’est vu augmenter jusqu’à, environ, 80 100 apprenants en 2021, charpentant un terrain d’une superficie de 72 hectares répartis entre le campus social et pédagogique. Ceci faisant environ une densité de 1112,5 étudiants par hectare.
Cependant, la particularité de notre analyse est que celle-ci ne s’attarde point sur ces données démographiques ou numériques importatissimes mais elle est plutôt un élément qualitatif qu’est la diversité de provenance de la population estudiantine. En effet, les étudiants de l’UCAD sont issus des 14 régions, les plus reculées aux plus proches, du Sénégal.

Cette diversité originaire de la population ucadienne est le socle d’un brassage culturel et ethnique au sein des campus et reflète la culture sénégalaise. Toutes les ethnies du Sénégal : Wolof, Peulh, Sérère, Diola, Socé, Lebou… se retrouvent à l’Université Cheikh Anta Diop ; toutes nos dialectes ou presque y sont parlées. Chaque groupe y promeut sa culture à travers les journées culturelles des amicales locales, des associations régionales etc. C’est l’exemple du Kékendo et du Ndeffleng, pour en citer que ceux-là, qui sont deux associations d’étudiants qui véhiculent respectivement la culture du Sud, casamançaise (Diola, Socé, Manding…) et celles des Sérères. La cohabitation de toutes ces ethnies ou groupes sociaux au sein du campus social est nourrie par une paix et une solidarité édifiées avec le cousinage à plaisanterie garant d’une stabilité sociale dans tout le Sénégal. Toutefois, le seul bémol est que cette coexistence n’est pas toujours prémunie de tensions sociales entre groupes d’étudiants d’appartenances différentes et que la sécurité fait défaut dans les campus qui ne sont pas fréquentés par les forces de l’ordre à cause des franchises universitaires qui, en réalité, ne concernent que l’espace pédagogique. En outre, bien que notre langue officielle, le Français est parlé au campus pédagogique comme dans l’espace social du COUD (Centre des Œuvres Universitaires de Dakar), les étudiants communiquent fréquemment avec leurs langues maternelles, nos langues nationales; ce qui reflète également une diversité culturelle et ethnique. On note aussi que la langue la plus parlée au campus social de l’UCAD est le Wolof, à l’image de la société entière, montrant ainsi que la majorité de la population sénégalaise est composée de wolofs dont la langue est la nationale.

Ainsi, les habitants de l’UCAD, venus des différentes communes du Sénégal, reflètent, de par leurs modes de vie originels qu’ils réitèrent, la diversité culturelle, ethnique et linguistique du pays de la « téranga ».
Si le surpeuplement, la promiscuité et la diversité ont été à l’origine, à un moment de l’histoire, de tensions sociales et de nouvelles anomalies sociales, dans la ville de Chicago, qui ont servi de prétexte à la création de l’école de Chicago. Au Sénégal, cela n’a jamais été problèmatique, au contraire ils ont été gages de paix, de stabilité et d’équilibre social. L’université Cheikh Anta Diop suffit d’exemple patent pour matérialiser cette particularité bien sénégalaise.

Au Sénégal, la religion occupe une place importante dans la société. Plus de 90% de la population est musulmane et la minorité est chrétienne (5%) et animiste. Cette diversité religieuse déséquilibrée, entre musulmans et chrétiens surtout, est facile à appréhender à l’UCAD avec la grande mosquée du campus social qui demeure le seul lieu de culte religieux au sein de cet espace et accueille des milliers d’étudiants pendant la prière du vendredi. Néanmoins la communauté chrétienne minoritaire ne se passe pas inaperçue surtout les dimanches et lors des festivités et cérémonies pontificales souvent organisées au sein du campus ou à l’église cise devant l’université sur la VDN, qui est d’ailleurs fréquentée par beaucoup d’ucadiennes et ucadiens.
L’Islam, au Sénégal, est caractérisé par une diversité confrérique avec les Mourides, les Tidianes, Layènes, Khadres etc. Et le campus social de l’UCAD est le cadre parfait pour apprécier cette charmante pluralité des confréries. En effet, chaque jour on ausculte le retentissement des Qasîdas (poèmes religieux mourides) chantés par les disciples de Bamba réunis dans des Daahiras (associations religieuses) ainsi que les Wazifas réguliers (litanie comprenant des versets de coran, des Duas…) des disciples tidianes et les zikks des adeptes layénes. Les jeudis soirs (Gùddi Al Diouma) et vendredis, comme dans tous les quartiers du Sénégal, l’UCAD vibre au rythme de l’islam. Mieux les portrais des hommes religieux sénégalais sont aperçus partout dans le campus social, surtout dans les chambres d’étudiants, comme on les voit dans nos maisons. Au cœur même de l’espace social sur le grand baobab situé devant la direction du COUD sont gravés les portraits du grand Cheikh, Ahmadou Bamba Mbacké, fondateur du Mouridisme et de l’un de ses célèbres disciples par ailleurs, Mame Cheikh Ibrahima Fall. Et cette marque d’affection du peuple sénégalais aux hommes religieux s’exprime visiblement dans les rues du pays.
L’intérêt pour la religion au Sénégal est ainsi reproduit à l’UCAD à travers des étudiants qui lui donnent une place de choix dans leur vie.

Sur le plan politique l’UCAD constitue un maillon essentiel pour les partis politiques sénégalais même si, comme le disait Max Weber : « la politique n’a pas sa place dans une salle de cours d’une université ». Tous les grands partis politiques du Sénégal ont des sections ou mouvements dédiés aux étudiants. Ces derniers sont activement présents à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. On peut citer principalement le MEER (Mouvement des Elèves et Etudiants Républicains) de l’Alliance Pour la République (APR), parti au pouvoir, le MEEL (Mouvement des Elèves et Etudiants Libéraux) du Parti Démocratique Sénégal (PDS), le premier parti d’opposition représentatif au Sénégal, la Section UCAD du Pastef … On note aussi que toutes les structures politiques estudiantines nationales sont coordonnées par des étudiants de l’UCAD. La population de l’UCAD avec son effectif pléthorique est un poids électoral que les partis politiques ne négligent pas à l’image des grandes communes du Sénégal. Ainsi, des campagnes électorales purement politiques sont organisées au campus social de l’UCAD pendant et en vue des échéances électorales par les mouvements politiques estudiantins.

La plus grande école politique des étudiants est le syndicalisme dans les amicales de facultés et locales. Ces amicales sont dirigées par des étudiants qui constituent des listes et des coalitions comme les partis politiques et partent en élections pour élire des délégués qui, à leur tour, vont former un bureau qu’on pourrait même appeler gouvernement universitaire. A la veille des élections de ces délégués les listes et coalitions mènent des campagnes colossales par des meetings, des tournées au niveau des pavillons avec une ambiance folklorique comme on a l’habitude de le voir pendant les campagnes des partis politiques. De nombreuses autorités politiques sénégalaises sont passées par ces amicales. C’est le cas du Président de la République, M. Macky SALL, qui a eu à diriger l’amicale des étudiants de l’Institut des Sciences de la Terre de l’UCAD, du député libéral Toussaint Manga qui était président de l’amicale de la faculté de médecine, d’odontologie et de pharmacie de l’UCAD, de Thérèse Faye Diouf de l’APR qui était un leader du mouvement syndical à la faculté des lettres et sciences humaines de l’UCAD … En outre, les partis politiques ont une influence considérable dans les élections des délégués de facultés en allouant des moyens, voire des sommes faramineuses d’argent, aux listes dirigées par les siens, leurs membres et se lancent dans une sorte d’élections préliminaires afin de défendre leurs intérêts et leurs emprises dans l’espace universitaire. Ce qui d’ailleurs cause beaucoup de querelles et d’instabilités dans les universités.
La politique sénégalaise pourrait être donc analysée à l’échelle micro à travers l’UCAD et, mieux, la façon de diriger des délégués, qui sont de très probables dirigeants du pays, n’est pas loin de celle des autorités politiques.

Enfin, dans l’espace social de l’UCAD on y trouve presque tous les lieux de loisir qu’on voit dans les régions du Sénégal : boîte de nuit (Soweto, au pavillon A), terrains de sport (football, handball, basket…), salles de sport (musculation, arts martiaux), restaurants etc. Et ces lieux ont des influences positives comme négatives sur la vie des étudiants. L’inégalité sociale qui prévaut au Sénégal avec le fort taux de pauvreté est aussi facile à décelée à l’UCAD. En effet, on y voit des étudiants qui dorment dans les couloirs des pavillons parce que n’ayant pas la chance et/ou le mérite de loger dans les chambres lors des codifications ni l’argent pour louer hors du campus.
La pauvreté et le bas niveau de vie, d’un autre point de vue, se reflètent à travers la situation qui prévaut lorsqu’il y a un retard dans le paiement des bourses allouées aux étudiants. Ces derniers vivent la croix et la bannière tout en restant dans l’expectative.

En définitive, loin d’être exhaustive, cette liste de facteurs et de mécanismes d’ordre social, culturel et ethnique, politique, religieux…témoignent que l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar reflète diligemment la société sénégalaise dans sa plénitude et ses différents composantes, ce malgré le fait que toutes les classes d’âge n’y sont pas représentées. Elle pourrait être l’échantillon d’analyse du pays de la Téranga dans ses profondeurs et sa diversité sous le nom de Sénégal En Miniature.
Par Ousseynou SOKHNA
Etudiant à l’Institut des Sciences de la Terre de l’UCAD
Président Commission Social (PCS) AEIST
Délégué dans la Coordination des Ecoles et Instituts (CEI)

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