Histoire

Massacre de Thiaroye 1944 : 78 ans après, ce « mensonge d’État » qui empêche toujours le triomphe de la vérité

Massacre de Thiaroye - 1944
Massacre de Thiaroye en 1944

La version officielle de l’événement du 1er décembre 1944 à Thiaroye fut pendant 70 ans celle d’une « mutinerie » de tirailleurs sénégalais, soldats de l’armée française, réprimée par les armes, dans le sang. « Mutins », les soldats africains tués et blessés au camp de Thiaroye par les balles françaises étaient ainsi présentés comme seuls coupables, comme le furent leurs camarades condamnés par le tribunal militaire de Dakar en mars 1945, et jamais réhabilités depuis. Si le nom de « mutinerie » était le plus souvent repris par les historiens, il n’en restait pas moins que des approches différentes existaient concernant la responsabilité des autorités françaises dans ceux-ci. Les recherches qui ont permis de mettre réellement en cause la version officielle française, celle de la répression nécessaire d’une mutinerie, datent de la décennie 2000-2010. Il s’avère évident que toute la vérité n’est pas encore dite sur ce massacre, tant sur le nombre exact de victimes que sur les lieux d’inhumation des victimes. C’est du moins les avis croisés de l’historienne Armelle Mabon et de Yves Monteil, Photographe, chercheur interrogés par Dakaractu.

Massacre de Thiaroye 1944

Zone du Massacre des tirailleurs sénégalais par l’armée française à Thiaroye en 1944

Le double mensonge d’Etat »

Pour Yves Monteil photographe, chercheur qui travaille depuis plusieurs années sur « les prisonniers de guerre africains et le massacre de Thiaroye en 1944 », il n’y a jamais eu de mutinerie au 1er décembre 1944. Contrairement à ce que font croire les autorités françaises.

De l’avis du photographe, chercheur, la France refuse de connaître la vérité sur cette affaire. Mais la vérité pour lui c’est un massacre qui est prémédité et planifié par l’armée française. L’autre gros mensonge sur cette affaire, selon Yves Monteil, c’est que la France n’a pas voulu reconnaître « son mensonge », tant sur le nombre exact de victimes que sur le lieu d’inhumation. « On a demandé aux tirailleurs de se rassembler et ils ont tiré sur des hommes désarmés. Ensuite on a menti sur le nombre de morts et même sur l’endroit où ils sont enterrés. Maintenant pour comprendre la vérité sur ce massacre, il faut un travail scientifique de fouille et d’exhumation. Sur les cartographies que j’ai mises sur Twitter, on a montré les sites qui abritent les fosses communes, c’est au lieu du massacre à Thiaroye, à côté d’un bassin de rétention qui a été construit là-bas.

Deuxième hypothèse, il y aurait une fosse commune au niveau des cimetières. Mais la France ne reconnaît pas totalement ce mensonge, notamment sur le nombre de rapatriés. Parce que le nombre est supérieur à ce que l’armée française a déclaré. Cela dit que l’armée française a menti en disant que certains avaient débarqué à Casablanca. L’historienne avec qui je travaille a trouvé le journal de bord du bateau et la vérité c’est qu’aucun tirailleur sénégalais n’est resté à Casablanca. Ils ont essayé de masquer le nombre de rapatriés pour amoindrir le nombre de morts. Officiellement, la France reconnaît 35 morts, François Hollande en 2014 avait parlé de 70 morts mais si un jour on arrive à fouiller les fosses communes on peut arriver à plusieurs centaines de morts », renseigne le photographe, chercheur.

De fausses archives pour dissimuler la vérité

Pour cacher la vérité dans cette affaire, l’historienne Armelle Mabon, Enseignante-chercheure et maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Bretagne-Sud, regrette que même les archives ont été falsifiées rien que pour cacher la vérité sur ce massacre. Mais ce qui dérange de l’avis de l’historienne c’est que le mensonge d’État continue de s’amplifier dans cette affaire, sans que les autorités sénégalaises cherchent à trouver la vérité dans le massacre de Thiaroye 1944. « Ce qui dérange beaucoup aujourd’hui, c’est que le mensonge d’État s’est reproduit et s’est amplifié quand le président François Hollande est venu au Sénégal à Thiaroye, même devant les tombes. Et c’est ça qui dérange beaucoup. Parce qu’il faut qu’il reconnaisse non seulement le crime d’origine et la perpétuation de tous ces mensonges répétitifs », se désole l’historienne.

70 ans pour arriver au bout de la réalité

Cependant, il a fallu 80 ans après le massacre pour arriver au bout de la vérité. En effet, lors de la visite du président français François Hollande au Sénégal en 2014, cette affaire connaît un nouveau rebondissement. Et la France reconnaît que l’endroit où se reposaient les victimes n’était pas dans les cimetières de Thiaroye. « Depuis la venue du président François Hollande au Sénégal en 2014, la France a fait un premier pas en reconnaissant que l’endroit où reposaient les tirailleurs à Thiaroye n’était pas les cimetières. Parce que dans son discours François Hollande a dit que l’endroit demeure mystérieux. Donc c’est une première reconnaissance d’un mensonge d’État après toutes les interrogations que l’on a faites au niveau du ministère des armées en France, on voit bien qu’ils retiennent des informations.

Autre chose, on voit que depuis 1944 la France n’a pas dit la vérité sur cette affaire. On a dépouillé tous les rapports militaires, mais il n’y a pas eu de mutinerie à Thiaroye. Mais ce que nous fait croire l’armée française de 1944 jusqu’au début des années 2000. Maintenant depuis 2021 les communiqués du ministère commencent à parler de massacres. Donc il a fallu presque 80 ans pour arriver au bout de la réalité sur cette affaire. Aujourd’hui des historiens restent encore persuadés qu’il n’y a jamais eu de mutinerie à Thiaroye, mais plutôt un massacre », regrette le photographe chercheur Yves Monteil.

L’exhumation des fosses communes, la seule voie pour faire triompher la vérité…

Mais pour l’historienne Armelle Mabon, il est temps que le Sénégal se déporte de cette idée de la France pour faire triompher la vérité sur ce massacre qui n’a fait que trop durer. De ce point de vue, il demeure impératif voire urgent même pour aller vers la fouille des tombes, des fosses communes et exhumer les corps pour que la vérité triomphe. « Si on veut avancer très vite maintenant, il faut que les autorités sénégalaises fassent un arrêté pour autoriser les fouilles dans les fosses communes, dans les cimetières et voilà ce qu’il faut en urgence absolue. Et là il n’y a que le président Macky Sall qui a le pouvoir pour ordonner la fouille des fosses communes et des tombes et les fosses communes qui se trouvent dans les cimetières. Parce cela va contribuer à libérer les relations entre le Sénégal et la France.

Cette décision ne viendra pas d’un président de la France qui s’appelle Macron mais du côté des autorités sénégalaises. C’est une façon de dire que nous avons notre responsabilité pour faire éclater la vérité dans cette affaire pour tout le continent africain, parce qu’il y a peu de sénégalais. Car il y avait d’autres comme les guinéens, les maliens, les Ivoiriens, les burkinabés », propose l’historienne. Reste à voir si réellement cette recommandation de Armelle Mabon sera bien saisie par les autorités sénégalaises pour faire jaillir la vérité sur ce massacre de Thiaroye qui est aujourd’hui à son 70ème anniversaire, pour le grand bonheur de toute personne, ces familles et chercheurs épris de justice et de vérité.

Avec Dakaractu

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