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Abdou Latif Coulibaly sur le report de la Présidentielle : « je n’ai pas de mots pour qualifier ça »

Abdou Latif Coulibaly
Abdou Latif Coulibaly

Samedi dernier, le chef de l’Etat a annoncé lors d’une adresse à la Nation le report de l’élection présidentielle prévue le 25 février. Une annonce qui a surpris plus d’un. Abdou Latif Coulibaly, le secrétaire général du gouvernement qui a annoncé sa démission, est revenu au micro de Rfi sur les raisons de son départ.

Quelques heures après le discours du chef de l’Etat annonçant le report à une date encore inconnue de la présidentielle, l’ex-ministre Abdou Latif Coulibaly, qui a accompagné Macky Sall depuis 2012, a décidé tout bonnement de démissionner. Interrogé par Radio France International, Abdou Latif Coulibaly est revenu sur les raisons de son départ. «J’ai décidé de partir, de quitter le gouvernement. Je l’ai annoncé au président de la République immédiatement après son discours. J’ai décidé de partir parce que j’ai envie de retrouver toute ma liberté. Ma liberté de pouvoir exprimer mes opinions, de pouvoir également dire ce que je pense par rapport à ce qui se déroule aujourd’hui dans mon pays, parce que je considère qu’il y a des moments de l’histoire où on ne doit pas se taire, où on ne doit pas respecter la solidarité gouvernementale au point d’être complètement en-dehors».

Pour lui, cette décision de report a été l’entorse de trop, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. En effet, explique-t-il, le président de la République n’avait pas le pouvoir de le faire, l’Assemblée nationale encore moins. «En 2016, nous avons parcouru le Sénégal et le Président Macky Sall avait raison de procéder à la réforme de la Constitution pour faire en sorte que le mandat du président de la République, dans sa durée comme dans le nombre, soit érigé en un principe intangible : la loi est sublimée pour faire en sorte que le mandat ait le même caractère et la même nature juridique que l’intangibilité du caractère républicain de l’État sénégalais. Et nous étions d’accord avec lui, et c’était bien de la faire. Et aujourd’hui, lui-même décide de renoncer à tout ça», laisse-t-il entendre.

L’ancien secrétaire général du gouvernement pense que Macky Sall a rejeté tout ce qu’il avait dit et tout ce dans quoi il avait engagé les Sénégalais en 2016. «Le président lui-même disait en 2012, quand le président Obasanjo [ex-chef d’État du Nigeria, Ndlr] venu comme observateur avait suggéré l’idée de reporter l’élection de 2012, qu’il n’est pas envisageable ni même possible que le président de la République, lui-même, puisse augmenter d’une journée son mandat», soutient-il.

En réponse à la journaliste qui demande s’il n’y avait pas une visée politique alors que la campagne du Premier ministre Amadou Ba semble avoir du mal à décoller, Abdou Latif de soutenir que ce n’est pas parce que la campagne d’Amadou Ba a du mal à décoller qu’il fallait en conclure qu’il faut annuler l’élection de février. «Lui-même, Macky Sall, en 2012, il avait moins de 27% des suffrages. On aurait pu dire que sa campagne décollait mal. Abdoulaye Wade en est sorti avec moins de 40 et quelques pourcents, sa campagne n’avançait pas. Pour autant, Abdoulaye Wade n’avait pas décidé de supprimer l’élection. Il a laissé les Sénégalais juger».

Dépité, le maire de Sokone lance : «je n’ai pas de mots pour qualifier ça, ça me dépasse totalement, c’est la raison pour laquelle je suis parti. Si j’avais des mots pour qualifier ce qui se passe… Et la chance, c’est qu’il m’a fait l’amabilité de m’écouter, je lui ai expliqué mon point de vue. Je suis un citoyen sénégalais, j’ai toujours dit qu’il y avait deux choses qui étaient essentielles et sacrées pour moi : l’État et la République. C’est en la République que nous croyons, c’est avec elle que nous sommes forts, sans elle nous sommes affaiblis. Personne n’a le droit d’affaiblir la République. Ce qui se passe est qu’on affaiblit la République».

Pour Abdou Latif Coulibaly, ce report n’est pas un avantage pour lui. «Justement, je ne peux pas comprendre ses intentions. Peut-être satisfaire quelque part une demande que je ne réalise pas, dont je ne vois pas l’objectif final. Peut-être est-ce simplement que quand on exerce le pouvoir, on croit que tout est possible. Et tout ce qu’on pense devoir faire, on le fait. Oui, mais dans la seule mesure où ça va dans un sens qui se déroule dans le sens de l’histoire que nous voulons pour notre pays. En 2023, le 3 juillet, avec une lucidité remarquable, le président se présente aux Sénégalais et leur dit : ‘’je ne serai pas candidat, même si la loi m’en donne le droit’’. À mon avis, il aurait été préférable, s’il voulait rester au pouvoir, de s’engager comme Abdoulaye Wade l’avait fait, d’avoir à faire face à des contestations, ce qui aurait été normal. Il s’est présenté au suffrage des Sénégalais : s’il gagne, il est président de la République, s’il ne gagne pas, eh bien il fait comme Abdoulaye Wade avait fait», fait-il savoir.

Pour lui, ce report est pire même que le troisième mandat. «S’il était candidat, il aurait lui-même participé au cours de l’histoire. Mais, cette fois-ci, il arrête l’histoire. Même momentanément, il l’arrête. Et tout le monde est concerné. S’il se présentait et assumait sa volonté de le faire, il aurait été contesté mais il se serait présenté au suffrage des Sénégalais, les Sénégalais auraient dit oui ou non. Et là, c’est lui-même qui décide du sort global du pays».

A la question de savoir si le chef de l’Etat a pu conclure un accord avec le Parti démocratique sénégalais de Karim Wade pour un report du scrutin, Abdou Latif de soutenir que la signature d’un accord écrit n’a pas été révélé au grand public ; cependant un accord sur la démarche et la procédure, c’est évident. «La majorité a voté, avec le Pds. Le Pds qui accuse d’ailleurs de façon très grave le Premier ministre d’avoir corrompu des magistrats, et ça, c’est écrit noir sur blanc. Le Premier ministre de la République avec qui on siège au conseil des ministres, avec qui on n’a pas rompu, la majorité l’a accusé comme ça. Il n’est pas devant une haute Cour, qui n’existe d’ailleurs plus au Sénégal. Il n’est pas jugé. Et voilà aujourd’hui qu’on le jette en pâture et qu’on jette toute une majorité en pâture», déplore-t-il.

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